Les aléas sociaux de la politique de l’habitat

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n Par Amar Naït Messaoud

Même si le prix de certains matériaux de construction a connu un reflux suite à la crise financière mondiale, les facteurs de ralentissement du rythme des travaux et les hantises liées à la conjoncture économique international sont là pur peser de leur poids sur le sort du programme de logements.

En dehors du pari lancé par les autorités du pays à partir de 2005 de construire un million d’unités d’habitation toutes catégories confondues, la question devrait malgré tout se poser de savoir jusqu’à quand la problématique du logement continuera à être appréhendée en termes exclusivement quantitatifs au détriment d’une vision globale qui intégreraient toutes les données du problème. Multiplier le nombre d’unités de logements au rythme de la progression géométrique que connaît la démographie dans notre pays paraît un travail d’Hercule qui épuiserait toutes les énergies nationales sans pouvoir satisfaire un jour la demande en la matière. En plus de l’impératif de diversifier les formules d’acquisition de logements par les ménages –en faisant intervenir des crédits immobiliers et d’autres formes de soutien-, il importe aussi de se pencher sur la manière dont se pose le problème du logement en Algérie et sur les raisons d’une demande astronomique concentrée en milieu urbain. Il y a lieu, dans le cadre du Plan de soutien à la croissance économique lancé par le président de la République, de réfléchir sérieusement à la problématique du logement, non seulement sur le plan technique (normes, matériaux, coût du m2, règles parasismiques,…), mais aussi sur le plan social et économique et dans une perspective d’aménagement du territoire rejoignant les réflexes de prospective générale que sont censés développer les gestionnaires et les décideurs du pays.

Depuis l’indépendance du pays, les gouvernants successifs ont lancé des programmes de constructions de logements sous différentes formules (logements sociaux clefs en main, évolutifs, auto-construction ; logements promotionnels, LSP, AADL, habitat rural, programme ‘’séisme’’,…) faisant la jonction avec les programmes d’urgence conçus par le ‘’Plan de Constantine’’ et lancés par les autorités coloniales à la veille de l’indépendance de l’Algérie.

L’état actuel du bâti, de l’urbanisme et du cadre de vie en général mérite plus qu’un simple constat ; il s’agit d’établir un bilan, devenu nécessaire, d’une situation où l’anarchie urbanistique, les goulots d’étranglement crées par le transport, le déficit d’hygiène et de propreté, joignent leurs nuisances aux risques naturels (inondations, séismes) et risques industriels (usines, adductions de gaz,…).

Goulots d’étranglement

L’observateur le plus distrait ne peut certainement pas s’empêcher de relever le fort contraste entre le Vieux-Constantine (Faubourg Lamy, Saint-Jean, Sidi M’cid et Sidi Mebrouk) et la nouvelle ville de Aïn El Bey que l’on peut dominer à partir de Djebel Ouah’ch. Malgré la vétusté du tissu urbain et le sort peu glorieux que la démographie et le laisser-aller ont imprimés à la vieille ville perchée sur un rocher compact, la suite infinie de bâtiments que compte la plaine n’offre nullement la chaleur humaine et le cadre d’habitabilité propres à l’ancienne cité. La proximité de l’aéroport ne suffit nullement à rendre plus humaine et moins oppressante la vie des carrés de béton occupés au cours de ces dernières années par des familles déplacées du Khroub, de Ouled Rahmoun, de Aïn Beidha ou de Aïn S’mara. Un ancien entrepreneur britannique chargé de la construction des brigades de gendarmerie en Algérie pendant les années 80, nous avoua, dans le salon de l’aéroport de Aïn El Bey, qu’il ne comprenait rien à la stratégie d’occupation de l’espace dans notre pays et que, pire, sur des sites verdoyants et pittoresques on a pu installer morosité, froideur et insalubrité.

Le cas de Constantine n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Le verdict vaut pour la plupart des villes algériennes lesquelles, une fois tirées au-delà du centre nodal de l’ancienne médina arabo-berbère ou de la cité coloniale, peinent à faire valoir les valeurs de citadinité ou de simple habitabilité. Le problème tient aussi bien aux règles d’urbanisme et aux normes de construction qu’aux ‘’candidats’’ à l’occupation de ces immeubles, populations extraites généralement d’une paisible vie campagnarde. Le déracinement des populations- entraîné par l’occupation d’un nouvel espace qui ne s’accorde pas aux pratiques de la vie rurale et par la promiscuité de groupes sociaux et culturels assez contrastés venus d’horizons différents- finit par ‘’rurbaniser’’ les nouvelles cités algériennes.

Un autre exemple, toujours à l’Est du pays, s’impose par l’excessive dynamique de sa croissance et qui ne répond à aucune logique urbanistique ou d’occupation de l’espace. Il s’agit d’El Eulma. L’ex-Saint Donat est en train de dévorer la distance (27 km) qui la sépare de la mégapole de Sétif. Le secteur du trabendo en a fait une plaque tournante, avec Tadjenent, du commerce informel alimentant tout le pays. L’opulence générée pour certains barons a fait pousser des ailes à la ville au-delà de toute imagination. Le désordre urbain y est la règle à tel point que la toponymie – des rues et des quartiers- n’y trouve plus son terrain d’expression. On y désigne les lotissements par des chiffres, par quelque commerce célèbre ou par un sobriquet populaire.

Des progressions sans progrès

Le programme de construction d’un million de logements pendant le quinquennat qui s’achève avec l’année 2009 paraît tenir d’un défi que les hautes autorités du pays se font un point d’honneur de relever. Or, la primauté d’une vision quasi exclusivement statistique risquerait de faire perdurer le problème à l’infini tant que des solutions radicales- liées à l’aménagement du territoire et à la maîtrise des flux de populations- ne sont pas mises en œuvre.

Des anciens petits villages coloniaux, situés généralement au milieu de vignobles ou de vergers d’agrumes, se sont vus pousser des excroissances anarchiques le long des routes et des pistes pendant les années soixante donnant lieu à des quartiers longilignes sans aucune esthétique et sans les infrastructures et équipements nécessaires qui en feraient des cadres de vie décents. Ce sont souvent des opérations menées à la hâte suite à une pression sociale grandissante qui ne vient pas de la simple démographie galopante des années 60 et 70, mais surtout de la grande mobilité de la main-d’œuvre algérienne se caractérisant par un exode rural massif. Le dépeuplement des campagnes était une conséquence directe du désintérêt des pouvoirs publics pour l’arrière-pays qui avait payé le prix fort pour l’indépendance du pays et de la politique d’industrialisation qui avait ciblé les banlieues des grandes villes (Oran, Alger, Annaba). Les flux de nouveaux migrants issues des montagnes (Kabylie, Titteri, Ouarsenis, Aurès, Nememcha,…) et des Hauts Plateaux (Aïn Boussif, Ksar El Boukhari, Sidi Aïssa, Barika,…) ont fini par constituer des ceintures de misère autour des cités industrielles de Rouiba, El Hadjar, Arzew ; ceintures qui prendront les aspects de bidonvilles que les Algériens ne connaissent que trop. Le problème ne s’est pas limité aux grandes agglomérations. Boufarik, Tipasa, Bordj Menaïl, Boumerdès, Tahir, El Kala, Beni Saf, Mohammadia, Aïn Beidha, sont des villes moyennes qui ont accueilli pendant quatre décennies les paysans déracinés qui ont abandonné leurs hameaux, leurs terres et leurs traditions d’authenticité campagnarde pour s’offrir, à leur corps défendant, comme candidats à une citadinité chimérique. Il faut dire aussi que la Révolution algérienne avait alimenté des rêves de ce genre : s’installer en ville équivalait à prendre la place enviée et convoitée du colon ; c’est un standing qui charrie des fantasmes de ‘’modernité’’ et de pouvoir.

Le nouvel État algérien n’avait rien fait pour relativiser cette vision et pour offrir des conditions de stabilité aux populations des campagnes. Au contraire, sa propension à davantage de centralisation et de déploiement sur les grandes villes du pays a, en quelque sorte justifié l’afflux des ruraux vers la ville. Et ce n’est pas le slogan creux de ‘’l’équilibre régional’’ en vogue pendant les années 70 qui pourrait nous apprendre le contraire.

Mobilité problématique et ‘’appel d’air’’

Les corollaires de l’exode rural sont perceptibles d’une manière dramatique à deux niveaux : d’abord sur les lieux d’arrivée, les villes, où de nouveaux besoins apparaissent : l’école pour les enfants, de nouvelles structures sanitaires pour le nouvelles populations et, surtout des logements supplémentaires pour les abriter et pour éradiquer les bidonvilles qui ternissent l’image de la ville et du pays. Ces besoins ne s’arrêtent pas là, puisque d’autres candidats, inspirés et enhardis par leurs devanciers, vont taper à la porte de la ville en suivant le même itinéraire. Ceux d’entre eux qui n’auront pas réussi à ‘’pendre leur crémaillère’’ dans des immeubles décents servis par l’État, trouveront mille astuces pour s’accrocher aux falaises de Z’ghara et de Sidi M’sid ou pour investir les berges de Oued Aïssi et du Rhumel en attendant qu’un jour les pouvoirs publics se penchent sur leur cas si, toutefois, d’ici là, une inondation ou un séisme ne viennent pas hâter les choses. Grande est notre surprise lorsque, au début des années 1990, nous aperçûmes des femmes et des hommes emprunter les escaliers presque verticaux accrochés aux falaises de l’Oued Rhumel pour se rendre ‘’chez eux’’ dans le fond de la célèbre rivière. Leurs chaumières en toiture de zinc étaient bâties sur le lit même de l’oued.

Deuxièmement, sur les lieux d’origine, le hameau ou le village. Ici, le départ des populations a entraîné avec lui l’insouciance des pouvoirs publics quant aux actions de développement. Des pistes sont restées non bitumées pendant une trentaine d’années. Les anciennes routes ouvertes par le génie militaire français pour les besoins de la guerre, et qui avaient desservi aussi des bourgades et des villages, sont tombées en ruine. Le retard d’électrification, d’adduction d’eau potable, d’assainissement et de raccordement au téléphone n’encouragent pas les anciens habitants à retourner chez eux. Et, raison capitale, aucune politique de l’emploi en milieu rural, basée sur l’agriculture, l’élevage et l’artisanat n’avait été initiée. La rente pétrolière pouvait suppléer à toutes les paresses. Même dans les anciens ‘’villages socialistes agricoles’’ (VSA), l’emploi agricole est devenu minoritaire : les gens sont versés dans l’économie informelle, le transport clandestin et le fonctionnariat. C’est un véritable échec ‘’planifié’’ qui a gangrené la société et l’économie en général. Comme si cela ne suffisait pas, la dernière décennie du vingtième siècle a mis sens dessus dessous le capharnaüm algérien suite à la subversion du terrorisme islamiste- lequel doit beaucoup au déracinement de la société algérienne ayant subi l’exode rural- et les problèmes sociaux s’en trouvent amplifiés.

Typologie uniforme, paysage difforme

La planification économique et la centralisation administrative étaient, jusqu’au début du nouveau siècle, d’une telle raideur et d’une telle rigidité qu’elles ont tenté d’annihiler toute diversité naturelle ou humaine des territoires composant la République. L’établissement des sociétés nationales obéissait au même schéma uniforme qui faisait irradier leurs directions générales sur l’ensemble du territoire national.

Les schémas d’urbanisme et de construction étaient les mêmes à Bir El Djir (Oran), Bab Ezzouar (Alger) ou Hassi Messaoud. La frénésie de la construction dans cette dernière ville pétrolière n’a-t-elle pas fait d’elle une ville du Nord installée au Sud ? Des bâtiments de cinq étages-simples cubes de béton inesthétiques- avec des murs ayant la même épaisseur que ceux du Nord sous un soleil de 50° à l’ombre. Au soir d’une coupure d’électricité pendant le mois de juillet, nous avions assisté à un spectacle affligeant où des cohortes de femmes descendent précipitamment les escaliers tenant des bassines d’eau dans les bras où étaient immergés les corps frêles de jeunes nourrissons menacés par la chaleur. Elles passèrent la nuit ainsi sur le trottoir. Dans le même temps, des villages-oasis de la même aire géographique, mais miraculeusement épargnés par la planification dévastatrice, possèdent encore des maisons qui n’ont pour climatisation que le seul génie ancestral de la construction propre aux habitants du Sud. Cependant, en faisant de ces nouvelles agglomérations des centres de vie- du moins où l’on peut dénicher un poste de travail et scolariser ses enfants-, les pouvoirs publics ont renforcé la tendance à l’exode rural.

L’horizon aéré de la ville, c’est…la campagne !

Il en résulte que la demande en logement va crescendo et épouse une courbe exponentielle sans fin. En outre, le déséquilibre de la répartition démographique caractérisant le territoire national- la zone côtière se trouve surchargée par rapport aux Hauts Plateaux et au Sud du pays – ajouté à la consommation effrénée des terres agricoles pour les besoins du béton, font peser, à moyen terme, un lourd danger sur le cadre général de vie des Algériens et sur l’environnement immédiat, déjà bien mis à mal par toutes sortes de pollutions et de ‘’rurbanisations’’. Au lieu que les autorités et les techniciens algériens consacrent leurs efforts à la réflexion sur un meilleur cadre de vie en améliorant la qualité du bâti, l’architecture des immeubles et l’embellissement des espaces secondaires de nos cités, ces personnels se voient réduits à faire de sempiternels calculs en millions d’unités d’habitation à délivrer à des dizaines de millions de demandeurs. Et c’est un cycle infernal qui se répétera indéfiniment, du moins tant qu’une politique rationnelle et hardie en la matière n’est pas adoptée.

Quelques initiatives très localisées méritent cependant d’être mises en relief pour leur caractère novateur. Ainsi, par le truchement du ministère délégué au Développement rural, le gouvernement a ébauché une nouvelle stratégie d’intervention intégrée en milieu rural à partir de 2002. Outre la création d’emplois par des projets de dimensions plus gérables (aide à la création de vergers, à l’élevage, au développement de l’artisanat,…), des mesures de consolidation sont aussi initiées et qui se matérialisent par l’aide à l’habitat rural (dont la typologie et l’architecture sont arrêtées par les pouvoirs publics), l’installation d’infrastructures publiques de santé, d’éducation et de desserte ainsi que par les équipements à même d’assurer une certaine stabilité de la vie en campagne (AEP, électricité, assainissement).

Ces programmes sont conçus sous forme de projets de proximité qui ont pour but de revitaliser les espaces ruraux par une meilleure exploitation des ressources existantes, de créer de l’emploi dans les campagnes dans les activités agricoles, pastorales et artisanales, d’asseoir un développement global où seront pris en compte tous les secteurs de la vie quotidienne : éducation, santé, infrastructures de bases, électrification rurale, communications et logement rural. M.Rachid Benaïssa, alors ministre délégué au Développement rural, a rappelé, lors des bilans tirés en 2007, les grands axes de cette stratégie et a fait état des premiers résultats, assez satisfaisants à ses yeux. De même, le président Bouteflika, dans le sillage du dernier sommet des non-alignés qui s’est déroulé à Cuba, avait mis en relief la nouvelle politique du développement rural en Algérie dont l’un des grands objectifs est d’arrêter l’asphyxie des villes tout en rendant vitalité et harmonie pour l’ensemble des espaces naturels du pays.

La pression sur les villes, particulièrement en matière de demande de logement, ne sera atténuée, et la qualité des constructions et du cadre de vie ne sera assurée, que lorsque l’exode rural aura reflué et lorsque les campagnes seront véritablement prises en charge par des programmes de développement conséquents. C’est ce qui a fait dire à un grand urbaniste que  » l’espoir de la ville c’est la campagne « !

Amar Naït Messaoud

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