Quel souffle pour les réformes scolaires ?

Partager

n Par Amar Naït Messaoud

Les cadres qui en sont issus forment aujourd’hui la crème des laboratoires, de l’administration et des entreprises d’Algérie comme ils font valoir leur compétence dans les boites et instituts étrangers. En matière de réussite personnelle et sociale, l’on peut dire que le pari est gagné pour cette génération, même si le sentiment d’indignation de voir le niveau scolaire actuel rétrograder à une vitesse vertigineuse et la frustration, pour les cadres expatriés, de ne pas pouvoir exercer dans leur propre pays relativisent bien ce beau parcours.

Depuis une année, la nouveauté dans ce secteur assez sensible de la vie nationale réside dans une législation adoptée au début de l’année passé et qui se donne pour objectif de refonder l’enseignement en Algérie. En effet, la loi d’orientation scolaire n°08/04 du 23 janvier 2008 abroge de facto l’ordonnance portant institution de l’École fondamentale datant du 16 avril 1976. Selon Abdelmadjid Hadous, cadre supérieur au ministère de l’Éducation, les nouveautés induites par la nouvelle loi  » ont trait à l’encadrement juridique, notamment en termes de finalités et de missions de l’École. Elles concernent aussi l’organisation des cycles d’enseignement et les dimensions éducatives que doivent contenir les programmes scolaires tout au long du cursus de l’élève. Ces nouveaux textes maintiennent et consolident les acquis antérieurs, notamment les principes d’égalité, du droit à l’éducation et à gratuité de l’éducation de base  » (‘’Le Cap’’ du 1er au 15 janvier 2009).

C’est pour recenser les outils réglementaires nécessaires à la mise en application de la nouvelle loi que des ateliers ont été organisés lors de la Conférence nationale tenue le 19 novembre dernier à Alger. Les syndicats agrées et les fédérations des parents d’élèves ont eu voix au chapitre par une représentation qui leur a permis de faire les propositions dans le sens d’un meilleur parti à tirer de la nouvelle législation.

De même, un Conseil national des programme est envisagé pour prendre le relais de l’ancienne commission des programmes mise en place en 1999. Ce Conseil aura pour mission d’ « assurer la crédibilité scientifique des contenus d’enseignement et de veiller à la cohérence des programmes « .

Contrairement aux déclarations du ministre de tutelle où il affirmait que l’année 2008 était la dernière années des réformes de l’École, M.Hadous soutient que  » la réforme du système éducatif est un processus continu et permanent et dont le souci premier demeure la recherche pédagogique pour améliorer la qualité de l’enseignement. C’est pourquoi les chantier de la réforme ne sont jamais achevés « .

Une école-protesta

Moins de deux mois après la rentrée scolaire 2008/2009, la routinière protesta a repris ses droits dans la corporation des enseignants du moyen et du secondaire. L’année passée, les rues des villes et villages de la presque totalité du territoire nationale ont connu des processions diaprées de jeunes filles et garçons descendus pour défendre leur avenir. C’était une protesta ‘’civilisée’’ malgré quelques dérives insignifiantes ça et là. On apprend difficilement, sans casser les meubles, à dire non dans un climat d’unanimisme de façade et de silence castrateur.

Le mal est profond au sein de l’institution qui est censée porter tous les espoirs de promotion sociale, de libération culturelle et de dynamisation de l’économie du pays. Le malaise ne se limite pas à une catégorie de personnels ou à un niveau scolaire précis. Il n’est pas, non plus circonscrit dans des revendications purement sociales ou exclusivement pédagogiques. C’est l’ensemble du corps et de l’organisation qui sont remis en cause trente-deux ans après la fameuse ordonnance d’avril 1976 qui a consacré l’École fondamentale.

La symptomatologie des divers dysfonctionnements de l’école algérienne se dresse dans un éventail où se mêlent la pédagogie, le contenu des programmes, la didactique, le fonctionnement administratif des établissements, l’intendance et la logistique. Mais la terrible question qui semble ne pas se poser avec la même aplomb pour l’ensemble des acteurs est bien celle de savoir pourquoi mobiliser le premier budget de la nation pour une institution qui s’appelle l’école. En d’autres termes, et comme pour l’ensemble des secteurs d’activité, il s’agit de définir les objectifs et de tracer une stratégie pour les atteindre.

Des questions de ce degré de gravité ne s’imposent véritablement à l’esprit que dans les grands moments d’hésitation, voire de remise en cause, lorsque les objectifs supposés être naturellement connus de tous sont chaque jour démentis par la réalité.

C’est, en tout cas, à la suite de la persistance du chômage devenu endémique au sein des catégories de jeunes formés par l’école algérienne des deux dernières décennies que la réflexion sur l’école a commencé à faire son chemin aussi bien dans l’administration que chez les franges les plus conscientes de la société. Les partis politiques n’ont pas, non plus, déserté ce terrain de réflexion même si le diagnostic posé et les solutions proposés ne sont pas toujours dénués d’arrière-pensées idéologiques.

Climat de tension permanent

Beaucoup de chiffres ont été donnés par le ministre de l’Éducation nationale au cours de la journée d’étude organisée l’année dernière pour évaluer la progression du secteur et présenter les perspectives qui s’offrent à lui à l’horizon 2009. En effet, s’il y a un secteur qui aura profiter d’une façon substantielle des nouvelles dépenses budgétaires induites par le Plan de soutien à la croissance économique (PSCE), c’est bien celui de l’Éducation nationale. Même si les médias n’ont pas monté en épingle l’ensemble des projets qui sont à l’indicatif de ce département ministériel, les sommes qui lui sont allouées sont des plus conséquentes pour le quinquennat concerné, lequel s’appuie sur le deuxième Plan présidentiel conçu en 2005 et sur le Programme complémentaire des Hauts Plateaux adopté par le gouvernement en février 2006. Cela paraît un peu paradoxal au vu du climat peu serein régnant dans ce secteur. En effet, depuis plus de quatre ans, il ne se passe pas un semestre sans que les établissements scolaires et les élèves ne soient pris en otage par le climat délétère généré par les revendications socioprofessionnelles du personnel enseignant.

Il y a trois ans de cela, la situation avait atteint un tel degré de gravité que la perspective d’une année blanche se profilait à l’horizon. Après un semblant d’accalmie, la contestation- certes avec une intensité moindre- continuait sur fond de controverses homériques sur la représentativité syndicale, la gestion des œuvres sociales et le dossier des salaires des travailleurs de l’Éducation. Aussi bien le corps enseignant que l’opinion publique et les médias, personne n’arrive à comprendre la raideur de l’administration lorsqu’elle campe sur sa position de ne vouloir dialoguer qu’avec les organisation syndicales agréées. Le principe étant que, face à une situation de blocage qui remet en cause ou compromet la scolarité des enfants, aucune ‘’arrogance’’ ou formalisme juridique ne peuvent servir d’argument, d’autant plus que, sur certains points, le ministère de tutelle pouvait se prévaloir- comme pour les départements de l’Enseignement supérieur et de la Santé qui vivent eux aussi une agitation sociale et des remous cycliques- des ‘’conditionnalités’’ liées au statut de la Fonction publique. Ce dernier a été promulgué en 2007. Restent maintenant les textes d’application et l’élaboration des statuts particuliers des différentes catégories de travailleurs de la Fonction publique.

Justement, la nouvelle pierre d’achoppement s’avère le statut particulier des travailleurs de l’Éducation lequel n’agréerait pas à l’ensemble des syndicats.

De fil en aiguille, la contestation nourrie l’année passée au sein des établissements scolaires a vite gagné les élèves eux-mêmes qui s’inquiètent du contenu et des modalités de l’examen du baccalauréat. Pendant les journées de la protesta, les déclarations et les réponses de la tutelle étaient à mille lieues du contenu des banderoles et des cris des lycéens.

Une autre frange du personnel de l’Éducation ne cesse de se plaindre de sa situation et du statut de l’enseignement qui lui est confié : il s’agit des enseignants de tamazight.

La nouveauté de l’introduction de cette discipline ne peut pas expliquer, à elle seule, les déboires de ces enseignants et les aléas pesant sur la matière elle-même. L’Association des enseignants de tamazight ont, à plusieurs reprises, interpellé le ministre sur la fragilité de leur statut et le rôle peu clair de l’enseignement de cette matière. Dans un climat d’opacité et de bureaucratie administratives, cette langue n’arrive pas à tirer profit des résultats des recherches effectuées par des Centres ou des Instituts spécialisés.

Assommantes statistiques

Au-delà des chiffres annoncés à chaque rentrée scolaire par le ministère de l’Éducation –chiffres relatifs au nombre d’enfants scolarisés, aux manuels scolaires et aux quelques ‘’réformettes’’ annuelles touchant le volet pédagogique-, la véritable ‘’arithmétique’’ se trouve sans doute dans les projets inscrits pour ce département ministériel dans le cadre du PSCE. En effet, ce sont pas moins de 200 milliards de dinars qui ont été consacrés à ce secteur (Éducation et Formation professionnelles), soit environ 12,4% du montant du Plan. On compte des projets portant sur la construction de 5 000 établissements primaires, 1 100 collèges (CEM) et 500 lycées et la réalisation de 1 098 cantines et 500 infrastructures sportives scolaires. Depuis les fameux programmes spéciaux de wilayas initiés par Boumediene au cours des années 70, ce sont certainement les réalisations les plus importantes dont va bénéficier le secteur de l’Éducation et de la Formation depuis l’Indépendance.

Cependant, devant ces statistiques assommantes, le moins vigilant des citoyens se posera la question de savoir où va l’école algérienne, quelles sont les bases de la formation des cadres et des citoyens responsables de demain, et comment l’école doit-elle s’insérer dans les exigences et les besoins de la nouvelle société qui aspire à plus de liberté, de prospérité et d’ouverture démocratique ? Si l’argent du pétrole permet à nos gouvernants d’élaborer des projets gigantesques misant sur le quantitatif, qui pourra garantir la qualité et l’efficacité de l’enseignement dispensé par nos établissements ? Une première erreur qu’il y a lieu d’éviter est sans aucun doute de fonder la critériologie de la réussite de l’école sur le taux de réussite au bac. Dans une ambiance de médiocrité et de dilution des valeurs pédagogiques et morales, l’examen du bac ne constitue nullement une référence, d’autant plus que le déroulement de cette épreuve est souvent émaillée d’ ‘’incidents’’ divers. Il y a trois ans, une aporie dans la discipline mathématique a été détectée en retard et l’information a vite fait le tour du pays et a même dépassé les frontières d’Algérie. Nul besoin de s’appesantir sur les dérives- comme celle du règne du ministre Benmohamed- liées aux fuites des épreuves du bac et autres manœuvres frauduleuses qui décrédibilisent aux yeux du monde un examen autrefois noble et sacré. Sur le plan réglementaire et de la décision politique, on ne sait ce que sont devenues les recommandations de la Commission Benzaghou chargée en 2001 par le président Bouteflika de proposer des réformes radicales dans le secteur de l’enseignement et de l’éducation. En tout cas, en raisonnant à contrario, on peut imaginer la hardiesse et le caractère révolutionnaire des réformes proposées au vu des réactions de l’aile conservatrice qui ont accompagné le travail de cette Commission. Parmi les bribes d’informations auxquelles a eu droit la presse, l’enseignement bilingue des sciences et des mathématiques n’est pas des moindres. Depuis l’ordonnance d’avril 1976 instituant l’École fondamentale et qui vient d’être abrogée par la nouvelle d’orientation scolaire de janvier 2008, les contingents de bacheliers qui ont eu accès à l’université se sont débattus dans des problèmes inextricables du fait que la plupart des matières scientifiques dispensées à l’université le sont en français. Même dans les disciplines réputées arabisées (Droit, Sciences humaines, Histoire, Géographie), les référence fondamentales sont rédigées en français ou en anglais. N’étant pas assez formés dans ces langues, les étudiants se trouvent complètement désemparés devant une réalité que ne peut compenser aucun sens ‘’patriotique’’. Les dernières mesures qui relèvent justement d’un patriotisme promulgué par ‘’décret’’ ont trait à la levée quotidienne des couleurs nationales, devenue une obligation par instruction du ministre de tutelle. Les parents d’élèves et tous ceux qui tiennent à l’avenir des écoliers d’aujourd’hui seraient plus rassurés si ce rituel était accompagné des vraies changements afférents au contenu pédagogique, à la didactique et au cadre psychologique dans lequel se déroule cet enseignement.

Les limites d’un mouvement velléitaire

L’enseignement primaire, moyen et secondaire continue à coltiner les aberrations de l’ancien système et ce, malgré quelques réaménagements qui s’apparentent plutôt à des replâtrages de façade. Même si depuis 2006, la chariaâ ne constitue plus une spécialité au lycée, l’hégémonie de l’enseignement religieux- qui, plus est, reconduit souvent le pavlovisme de l’enseignement traditionnel- pèse d’un poids étouffant sur le volume horaire, le rythme scolaire et la pédagogie scientifique qui doivent prévaloir dans nos établissements. Dans un tel capharnaüm pédagogique et didactique, quel sera le rôle de l’Observatoire national de l’Éducation et de la Formation conçu en 2006? Quel rôle jouera-t-il dans la marche de l’école algérienne vers la réalisation des aspirations de la société en matière de la formation qualifiante- pour faire face aux défis de l’économie moderne et de la mondialisation- et de défense des valeurs de la citoyenneté et de la République ? En tout cas, ce sont les actes de la gestion future de nos écoles qui pourront conforter ou confondre le représentant du gouvernement, premier responsable de l’éducation dans notre pays, quant à ses promesses de réformes. Cependant, sur certains dossiers, comme celui de l’école privée, il est difficile de suivre la démarche du ministère sans se poser la question essentielle : en cherchant à ‘’domestiquer’’ ce genre d’établissement, quel est réellement l’objectif visé ? Si des Algériens en sont arrivés à envoyer leur progéniture dans ces établissements- en faisant de grands sacrifices sur le budget familial-, ce n’est certainement pas pour recevoir la même formation que celle dispensée par l’école publique. Si cette dernière est à ce point ‘’honnie’’- et pourtant gratuitement assurée-, c’est qu’elle ne répond plus aux besoins d’émancipation et de réalisation sociale de la famille algérienne.

En 2006, on a maladroitement poussé la brutalité jusqu’à fermer certaines écoles privées au milieu de l’année scolaire. En tout cas, partout dans le monde, l’école ne constitue pas seulement un moyen de réalisation et d’ascension sociales, mais aussi un tremplin pour la formation aux valeurs de la citoyenneté et de la démocratie.

Aucun logorrhée de chiffres, aucune promesse, aussi mirifique qu’elle puisse être, ne sauraient remplacer l’engagement des pouvoirs publics sur le terrain.

A. N. M.

[email protected]

Partager