Au carrefour de l’économie, de la culture et de l’ouverture sur le monde

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n Par Amar Naït Messaoud

En faisant le point de son secteur en 2007, l’ancien ministre du Tourisme, Nourddine Moussa, a fait de judicieuses observations :  » Il faut que les espaces de loisir et de divertissement deviennent des espaces de consommation économique qui créent de la richesse et des postes d’emploi. »

Les pouvoirs publics ont arrêté, depuis l’année dernière, une stratégie de développement du secteur touristique à l’horizon 2015.  » Il y a un enjeu sur l’aménagement du territoire parce que les projets touristiques sont structurants ; un enjeu sur le plan de l’environnement, car le tourisme est vecteur de sensibilisation ; le troisième enjeu est l’insertion des produits touristiques dans l’espace des jeunes et qui permet aux gens de faire de leur potentiel une activité économique créatrice de richesses, et donc de fixer les populations là où elles sont », affirmait Noureddine Moussa.

Comment susciter les flux touristiques ?

En se déployant sur le terrain de la communication et de la sensibilisation, qu’espère entreprendre l’Algérie à court terme dans le domaine touristique ? Ce secteur d’activité est devenu une véritable industrie sous d’autres latitudes au point de pouvoir suppléer à l’absence de matières premières et au déficit de maîtrise technologique.

Cette vérité reste, dans note pays, prisonnière de la mentalité rentière qui a fermé les chemins de son éclosion au grand jour. Le secteur touristique demeure, malgré les promesses et les plans échafaudés par les pouvoirs publics, le parent pauvre de la politique économique. Dès les premiers dards du soleil de juin, le ministère de tutelle et les municipalités des villes côtières- supposées balnéaires- s’affairent à ‘’préparer’’ l’arrivée de touristes sur les plages algériennes avec une précipitation qui en dit long sur la légèreté et la désinvolture par lesquelles est géré l’un des secteurs les plus pourvoyeurs d’emplois et de richesses sous d’autres cieux, à commencer par les pays voisins. D’après les statistiques de l’Organisation mondiale du tourisme, il y a eu, en 2006, quelque 800 millions de touristes dont les dépenses sont évaluées à 623 milliards de dollars. A eux seuls, le Maroc et la Tunisie ont reçu près de 12 millions de touristes, tandis que l’Algérie en a reçu moins d’un million et demi dont les deux tiers représentent la communauté algérienne établie à l’étranger. Pour les spécialistes de la question, comme pour ceux qui suivent de près l’activité touristique dans notre pays, cette situation scandaleuse n’est guère étonnante. Elle traduit, en effet, l’état de déliquescence et de médiocrité dans lesquelles sont plongées les infrastructures touristiques et tout l’environnement supposé lui servir de support (routes, communications, transport, administration,…).

Certes, le pays vient de sortir d’une situation d’insécurité exceptionnelle qui s’est étalée sur plus d’une décennie et qui a isolé le pays des grands airs de la culture et des échanges humains. Ce débile cloisonnement du 21e siècle ne peut être combattu que par plus d’ouverture, plus d’imagination et moins d’esprit rentier. Les conditions d’accueil- qui font partie de la culture ancestrale, de l’hospitalité et du savoir-vivre du pays- ont été, dans la foulée de nos errements et la folie de nos reniements, tout bonnement perverties.

Médiocrité de l’offre et croissance des besoins

Certaines infrastructures publiques datant des années 70 croulent aujourd’hui sous le poids de la bureaucratie, de la pléthore du personnel et du déficit flagrant en management. Les pouvoirs publics sont aujourd’hui acculés à les privatiser au moins partiellement. D’après le ministère du Tourisme, 90% du parc hôtelier existant (public et privé) sont en-deçà des normes internationales en matière de prestations. En tout, l’offre hôtelière ne dépasse pas les 83 000 lits avec les conditions que l’on connaît. De plus, les prix pratiqués dans beaucoup d’établissements- largement disproportionnés par rapport à la qualité des prestations- servent souvent à amortir les frais d’un personnel surnuméraire. Ils découragent en premier lieu les Algériens qui préfèrent des destinations comme la Tunisie. Et que dire des sites historiques, curiosités naturelles, panoramas,…etc, qui sont considérés comme la matière première de l’activité touristique ? L’état d’abandon de certains d’entre eux, la non prise en charge scientifique de la réhabilitation d’autres et le déficit en matière de promotion et de marketing pour l’ensemble, ont fini par reléguer la mémoire algérienne au dernier rang des préoccupations des touristes.

C’est conscient de ces défis majeurs qui se posent pour un secteur émergent, que Cherif Rahmani veut chasser l’“esprit de campagne touristique’’ pour inscrire l’action touristique dans la durée. « Je tiens à dire que nous ne préparons pas une saison (…) Je ne prépare pas de saison ni de campagne ; ce n’est ni mon genre ni ma mission, encore moins ma conviction. Nous voulons mettre en place des stratégies et les mettre en œuvre. Nous préparons l’Algérie comme nouvel entrant dans le tourisme mondial « , a-t-il déclaré en août 2008.

Sortir de la politique velléitaire

La routine veut qu’à chaque début d’été, le ministre du Tourisme donne le coup d’envoi de la saison touristique à partir d’un site connu dans le catalogue national. Mais que peut représenter le rite des inaugurations et des festivités pour un secteur économique qui ne trouve pas encore ses marques ? Un secteur auquel les autorités locales et les décideurs politiques n’ont jamais accordé un intérêt à la mesure des potentialités réelles du pays et de ses régions. Rahmani explique certaines contraintes du secteur et met en garde contre les solutions de facilité : « Nous avons tous conscience que notre secteur, affaibli par les terribles épreuves du terrorisme et les multiples crises traversées, doit rentrer dans un cercle vertueux. Mon souhait est de nous voir nous éloigner du scepticisme du type ‘’on attendra pour voir’’, de l’autoflagellation ou bien de l’autosatisfaction en pensant qu’au cours d’un grand soir, nous allons spectaculairement tout régler. »

En tout cas, le secteur touristique se trouve en Algérie dans une période charnière où il est appelé, au vu des grands enjeux économiques qu’il charrie et au regard aussi d’une mondialisation accélérée, à jouer les grands rôles afin de desserrer l’étau sur les autres sources de rentrées de devises et d’assurer la pérennité de celles-ci. L’activité touristique, telle qu’elle est comprise par les pays dépourvus de ressources minières, est censée suppléer aux déficiences des autres secteurs et générer des recettes permanentes et régulières pour l’économie et l’État.

L’Algérie, via l’Office national du tourisme (ONT) a participé au cours des deux dernières années à des salons et foires organisés à l’étranger (Marseille, Berlin, Montpellier) afin de ‘’vendre’’ la destination Algérie. Cette opération d’‘’exhibition’’ des charmes de l’Algérie est bien nécessaire après une rupture des flux touristiques vers notre pays qui aura duré bientôt une quinzaine d’années. Au contact des tour-opérateurs européens, les représentants du secteur escomptent un retour d’écoute qui se concrétisera par un renouvellement d’intérêt pour les sites et panoramas d’Algérie.

À l’échelle mondiale, le bilan touristique des dernières années établit des flux touristiques de l’ordre du milliard de touristes qui se sont déplacés dans les quatre coins du globe et des recettes de plus de 800 milliards de dollars occasionnées par ces activités. Cherif Rahmani, au cours de la célébration de la Journée mondiale du Tourisme (le 29 septembre 2008), a fait état de certaines réalités. « Le tourisme a enregistré une croissance continue en dépit des risques de baisse d’activité auxquels il a été exposé, notamment à cause du terrorisme, de l’alerte sanitaire due à la grippe aviaire et de la hausse des prix du pétrole. Le tourisme est devenu une industrie qui concurrence les plus grandes industries mondiales en créant de la richesse et des postes d’emploi. C’est le miracle économique du 20e siècle et du début du 21e siècle ».

À la même occasion, le secrétaire général de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), Francesco Frangialli, a insisté sur le rôle de la femme dans l’activité touristique: « Ces dernières années, les femmes augmentent leur part de marché du travail au point d’occuper parfois autant de postes que les hommes. Cette augmentation est la plus forte dans les pays pauvres et dans les domaines comme l’artisanat et le développement des communautés qui sont étroitement liés à la protection de la diversité culturelle ».

L’enjeu de la communication

L’Office national du tourisme a eu pour objectif, à travers les forums et séminaires auxquels il a assisté, “renforcer l’image de l’Algérie pour insérer les produits touristiques dans les circuits des échanges touristiques internationaux et la mise en valeur des potentialités touristiques de notre pays’’. L’ancien ministre du Tourisme, Noureddine Moussa, a qualifié l’année 2007 pour son secteur de “transitoire’’. Il avait dit : “C’est pendant l’année 2008 que le secteur concrétisera la stratégie de développement à travers un programme de travail qui a pour but de permettre aux activités de se hisser au niveau des standards internationaux.”

Le directeur de l’ONT, Laïd Maghmoul, intervenant dans une émission radio en juin dernier, dira que « le budget de l’Office a augmenté de 400% pour faire face à la nécessité d’améliorer l’image de l’Algérie qui a subi toutes les formes de déformations surtout sur le plan médiatique, ce qui a influé négativement sur les flux touristiques et les investissements ». Il pense également que la détérioration de l’image de l’Algérie à l’extérieur n’est pas uniquement due à la situation sécuritaire dans notre pays mais aussi à un patent déficit en communication.

Les maillons de la chaîne touristique peuvent se résumer- sans grande exhaustivité- en trois segments indispensables qui se complètent : potentialités naturelles ou liées à l’histoire et à la culture d’une nation (qui exigent entretiens, réhabilitation et accompagnement logistique), les structures d’accueil (hôtellerie, instance chargées des circuits touristiques) et l’environnement économique qui conditionne les nouveaux investissements liés au secteur. L’absence ou la mauvaise gestion de l’un d’eux déteint immanquablement sur le reste et compromet l’ensemble de l’activité. Il s’agit d’abord de l’existence d’une matière première brute ou façonnée par les hommes. L’Algérie ne manque pas de sites naturels auxquels son relief, sa végétation et son climat ont donné des caractéristiques que beaucoup de pays ne possèdent pas. Des 1 200 km de côtes jusqu’au Parc du Hoggar-Tassili, toute une série de lieux exceptionnels attiraient jadis des centaines de milliers de touristes européens : les monts de l’Atlas, avec le Parc du Djurdjura, Chréa et les Babors. Les zones humides de Annaba et El Tarf (lacs Malah, Oubeira,…). L’Atlas saharien avec les cèdres et les villages des Aurès (Balcons du Ghoufi) et le Sud-ouest oranais (Brizina, la vallée de Oued Namous). Les vestiges historiques de Timgad, Djemila, Tebessa, Souk Ahras. Les diverses sources thermales dont Hammam Mekhoutine constitue un incomparable joyau. Les communautés humaines et les activités artisanales auxquelles elles s’adonnent constituaient aussi des objets de visites pour découvrir le tapis des Aït Hichem, la poterie d’Aït Khelili, le burnous de Nédroma, la vannerie de Bousaâda, les encorbellements de La Casbah, les palmeraie de Foughala et de Sidi Okba, les cerisaies de Larbaâ Nath Iratène et le haïk m’ramma de Tlemcen.

Et puis le Sahara septentrional et central avec la multitude d’oasis qui sertissent les océans de sable. Dans la seule oasis de Bordj Omar Driss (ex-Fort Flatters), dans la wilaya d’Iliizi, il nous a été donné d’entendre des témoignages sur les marées humaines d’Européens qui venaient passer les deux Réveillons (Noël et la Saint-Sylvestre) dans cette bourgade de 2 500 habitants éloignée du chef-lieu de wilaya de presque 700 km. Il faut dire que jusqu’à la fin des années 60, l’aéroport de la ville desservait… Paris.

Structures dépassées et vision étroite

Dans l’euphorie des années fastes du développement national, l’Algérie a investi beaucoup d’argent dans des structures hôtelières lourdes gérées comme n’importe quel banal Souk El Fellah de l’époque. Sur la côte (Sidi Fredj, les ‘’Andalouses’’ d’Oran, le ‘’Sahel’’ de Mostaganem, le ‘’Kotama’’ de Jijel), dans les villes intérieures du Nord (Sétifis, Cirta, Amraoua de Tizi Ouzou, les ‘’Zianides’’ de Tlemcen) ou dans les villes du Sud (Adrar, Tamanrasset, Timimoun, Djanet), la même typologie est adoptée dans la construction, la gestion et les prestations de service. Étant considérées comme des entreprises publiques, ces établissements ont brillé par une gestion approximative et une pléthore du personnel qui les ont conduits vers des banqueroutes financières que n’ont pu temporairement endiguer que les interventions de l’État à travers les restructurations en EGT (Entreprises de gestion touristiques) et les prestations sollicitées par les structures administratives publiques (séminaires, journées d’étude, réunions officielles, congrès,…). Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces établissements ne sont pas du tout adaptés pour une activité touristique d’envergure qui suppose des prestations de haut niveau in situ (hébergement, art culinaire, moyens de divertissement) et des circuits touristiques maîtrisés et documentés. Des centaines de touristes européens préfèrent plutôt des méthodes traditionnelles qui consistent à s’appuyer sur des connaissances particulières ici en Algérie pour se faire héberger et conduire vers des sites à visiter. Au cours des années 80, et au vu du besoin de plus en plus pressant en la matière, le secteur tenta une forme de timide libéralisation à travers la création d’agences de voyages particulièrement au sud du pays. Les exigences du métier (présence de guide touristique et de l’interprète, connaissance des circuits, fourniture de documentations de qualité,…) et le manque de professionnalisme de ces intervenants ont vite fini par avoir raison de ces agences bien avant que l’insécurité s’installe au début des années 90. La plupart de ces petits établissements implantés à Illizi, Djanet, Tamanrasset, Ouargla et Béchar ont mis la clef sous le paillasson ou se sont convertis dans des activités plus lucratives, en tout cas moins exigeantes en professionnalisme.

Actuellement, 755 agences privées sont recensées à travers le territoire national. L’Office national du tourisme (ONAT) est, quant à lui, représenté par 30 agences. Le Touring club d’Algérie (TCA) en compte 25.

A. N. M.

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