Le débat-régression

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Dans un pays où on entend plus de ténébreux imams que de juristes éclairés, le « débat » sur l’abolition de la peine de mort est condamné à tourner court. C’est déjà apparemment fait puisque les bonnes vieilles recettes de la « spécificité » ont été les premiers arguments intellectuels à être mis sur le tapis au détriment des valeurs humanistes qui ont été, partout ailleurs, les piliers porteurs de l’entreprise. Et il ne s’agit pas cette fois-ci, de n’importe quelle spécificité : convoquer le dogme religieux pour délivrer son certificat de conformité à une préoccupation de haute teneur humaine équivaut à assassiner un malade dans l’ambulance qui le transporte vers l’hôpital. Si l’orthodoxie musulmane était capable d’assumer la suppression de la peine de mort ou au moins soutenir le débat qui peut y conduire, ça se saurait et la loi du talion n’aurait pas autant d’adeptes passionnés, y compris -ou surtout- au sein de ceux qui s’invitent aujourd’hui dans une discussion, à l’évidence « trop sérieuse » pour eux. Qu’on ne s’y méprenne pas, l’abolition de la peine de mort est l’affaire de femmes et d’hommes capables de déranger le sens du vent et de donner des coups de pieds dans la fourmilière. Il y en a très peu par les temps qui courent, mais le nombre, en pareils cas, n’a jamais été un problème. Il était bien seul, le Français Robert Badinter quand il a entrepris son combat. Pas moins seul que François Mitterrand prenant la décision la plus impopulaire de sa vie de président de la République en empêchant l’exécution d’un dangereux criminel. Y-a-t-il quelqu’un dans ce pays pour pouvoir reprendre la merveilleuse formule « ce criminel dangereux est un être humain »? Certainement, sinon on ne serait peut-être même pas en train d’en parler. A condition qu’on n’aille pas le chercher parmi ceux qui voudraient bien accepter une horrible auto-flagellation. Conditionner la possibilité de supprimer la peine de mort par sa conformité avec la Chariâa n’est pas seulement une dangereuse ineptie qui clôt le débat avant qu’il ne soit ouvert, cela introduit le fait accompli juridique et constitutionnel, porte ouverte à toutes les (autres) régressions. Il faudra dans ce cas mieux « laisser tomber » et se dire encore une fois que « la société n’est pas encore mûre » pour le sujet. Pour le moment « le sujet » ne donne pas l’impression d’émouvoir grand monde au sein des élites. S’il faut encore le déflorer pour le confier à la vindicte…

S. L.

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