Par-delà la loi, une question de culture et de civisme

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L’état de recul dans lequel se trouve cette espèce animale déclarée en voie de disparition et protégée par la loi, ainsi que les menaces pesant sur la gazelle, l’outarde et d’autres espèces faunistiques viennent nous rappeler une réalité difficile à accepter et qui amoindrit un peu plus chaque jour notre richesse en tant que citoyens et habitants d’un écosystème supposé assez “généreux” pour permettre la continuité de la biodiversité.

Les différentes agressions subies par les milieux naturels en Algérie risquent de se prolonger par une menace sérieuse contre l’existence même de certaines espèces végétales et animales qui font jusqu’à présent le joyau de la biodiversité du pays. Même si depuis le milieu des années 80, des textes législatifs ont été élaborés pour protéger le patrimoine naturel algérien — non seulement en énonçant des clauses coercitives, mais également en mettant en place des structures spécialisées dans la défense et la promotion de la biodiversité —, la réalité du terrain contraste étrangement avec cette politique initiée par les pouvoirs publics sur proposition des milieux scientifiques et universitaires.

La déforestation continue des massifs montagneux, les différentes formes de pollution des milieux d’habitat de la faune, le processus d’urbanisation et les différentes interventions anthropiques en milieu rural ont eu raison de certaines niches écologiques où évoluaient ou étaient abritées des espèces animales autrefois abondantes.

Le patrimoine faunistique national ne cesse ainsi de se dégrader au fil des jours à tel point que certaines espèces familières à l’homme et vivant dans son entourage immédiat se sont volatilisées en quelques années.

Le gouvernement, conscient de la menace de disparition complète qui pèse sur certaines espèces animales, entend prendre sérieusement en charge ce très complexe problème en adoptant une ordonnance en juillet 2006 portant sur les mesures de protection des espèces animales en voie de disparition dans les différentes zones écologiques d’Algérie. En effet, le constat d’une baisse graduelle de la fréquence de certaines espèces dans des milieux où ils évoluaient habituellement — biotopes —, a été fait il y a plusieurs années. Du garde-forestier jusqu’au simple flâneur, en passant par la corporation des chasseurs et des passionnés de la nature, tout le mode a pu s’apercevoir de la régression des espaces vitaux où, naguère, pullulaient tritons, grenouilles, hérissons, perdreaux et autres curiosités animalières. Dans les forêts, les maquis, les mares, les lacs et autres milieux de vie, le nombre et les espèces d’animaux ne font que reculer. Un déséquilibre écologique est à craindre, particulièrement lorsqu’on sait à quoi sont réduits les tissus forestiers au cours de la décennie de terrorisme et de lutte anti-terroriste. Dans un grand nombre de bois, il n’y a que le sanglier et le chacal qui manifestent leur présence, parfois même d’une façon insolente et dangereuse.

L’ordonnance du 15 juillet 2006 dresse une liste non exhaustive d’animaux menacés de disparition tout en précisant que ladite liste « peut être étendue à d’autres espèces animales menacées de disparition par voie réglementaire ».

Les animaux ciblés par cette loi sont « les espèces de faune sauvage dont l’existence en tant qu’espèce subit une atteinte importante entraînant un risque avéré d’extinction et qui, de ce fait, font l’objet de mesures de protection et de préservation particulières ».

Trois classes animales sont touchées par ces mesures de protection et de préservation : les mammifères (mouflon à manchettes, oryx, cerf de Barbarie, hyène rayée, cinq variétés de gazelle, le fennec, le guépard, le chat des sables et l’addax), les oiseaux (ibis chauve, erismature à tête blanche, faucon crécerelle, faucon pèlerin et trois espèces d’outarde) et les reptiles (tortue grecque, fouette-queue et varan du désert).

Arrêter la saignée

La loi sur la protection des animaux en voie de disparition s’appuie sur les articles de la Constitution qui portent sur la préservation et la protection de l’environnement, sur la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction signée à Washington le trois mars 1973 et à la quelle a adhéré notre pays en décembre 1982, et enfin, sur la Convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage faite à Bonn le 23 juin 1979 et approuvée par l’Algérie en mars 2005.

« La chasse des animaux mentionnés sur la liste fixée à l’article trois de la présente ordonnance est interdite par tout moyen », précise le texte réglementaire, qui ajoute que sont également interdits « la capture, la détention, le transport, la naturalisation et la commercialisation des animaux ou parties d’animaux d’espèces menacées de disparition ».

La seule dérogation à cette mesure coercitive demeure l’utilisation de spécimens de ces animaux à des fin scientifiques ou de reproduction pour repeuplement.

Pour coordonner la politique de préservation et de protection d’espèces animales menacées de disparition, le gouvernement met en place une commission présidée par le ministre chargé de la chasse, autrement dit, le ministre de l’Agriculture et du Développement rural. Cette commission sera consultée sur « toutes les questions relatives à la situation générale de ces espèces, leur protection et leur préservation ».

Il est également prévu la délimitation des aires dans lesquelles subsistent les animaux menacés de disparition, leurs espaces de reproduction et leurs zones de repos. Dans ces périmètres, il sera procédé à l’observation et à l’évaluation des effectifs des espèces concernées ainsi qu’au suivi de leur reproduction/multiplication. Sur ces questions, un rapport annuel devrait être élaborée et adressé au ministre de l’Agriculture par la commission spécialisée. Les clause répressives de la nouvelle réglementation précisent que les contrevenants- ceux qui seraient tentés par le braconnage des espèces classées comme étant menacées de disparition- sont passibles d’une peine d’emprisonnement d’un an à trois ans et d’une amende de deux cent mille à cinq cent mille dinars. En cas de récidive, la peine sera doublée.

Le texte n’omet pas de souligner que même les complices seront punis d’emprisonnement et contraints à payer une forte amende. Il s’agit de toute personne ayant permis, facilité, aidé ou contribué, par quelque moyen que ce soit, à la chasse ou à la capture, la détention, le transport et la commercialisation des loi sur la ou parties d’animaux mentionnés sur la liste fixé à l’article 3 de l’ordonnance.

A la recherche d’un développement propre

Les déséquilibres ayant affecté les systèmes écologiques et environnementaux en Algérie ont atteint un tel degré de menace sur les ressources naturelles et les qu’ils risquent même de compromettre la vie des générations futures. Le paradoxe pour l’Algérie est de subir les retombées et les tares du monde moderne sans qu’elle puisse en goûter aux doux fruits : l’urbanisation effrénée et anarchique a déstabilisé le cadre de vie des citoyens victimes de l’exode rural et du chômage; les monticules de décharges sauvages font se multiplient à vue d’œil sans soulever une indignation particulière; des cimenteries sont trop polluantes car techniquement mal gérées ; le couvert forestier se réduit en peau de chagrin sous les coups de boutoir des pyromanes et délinquants de tous bords. La dégradation du couvert végétal a induit des phénomènes négatifs en chaîne: dérèglement de l’écoulement des eaux (inondations), tarissement des sources de résurgence où s’abreuvaient les animaux sauvages et domestiques, diminution de l’offre fourragère dans les pâturages naturels, envasement des barrages d’eau et réduction des produits ligneux (bois et liège) et sous-produits forestiers (plantes médicinales, aromatiques, tanin…).

La prise de conscience par les spécialistes et les pouvoir publics du grave danger qui pourrait mettre en péril l’équilibre général du territoire a donné naissance à l’idée d’un schéma d’aménagement qui intégrerait les données physiques et biotiques des différentes zones du pays ( littoral, monts du Tell, Atlas saharien, système oasien et zones arides du Sahara) à la composante humaine et à l’activité économique de ces territoires. Les aires et zones désignées comme étant des périmètres d’habitat, de reproduction ou de repos de espèces animales proposées à l’action de sauvegarde sont également protégées, puisque « tout usage, activité, construction ou établissement non expressément autorisé » est interdit. Toute infraction à cette disposition entraîne une peine d’emprisonnement et une amende à l’encontre du contrevenant.

Participant des grands équilibres de la nature et des sources de la biodiversité, la faune et la flore sont menacées dans notre pays par une politique de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme qui ne s’est ouverte à la donne écologique et environnementale qu’au cours de ces dernières années. L’avancée du béton sur des terrains agricoles, les défrichements délictueux et anarchiques des espaces forestiers, les incendies de forêts, la pollution des sources et des espaces de nourriture, sont, entre autres, quelques facteurs qui mettent à mal, sinon annihilent, des centaines de niches écologiques.

Le destin aléatoire des lois

D’autres lois et règlements censés défendre la nature et les patrimoines naturels- loi forestière, code des eaux, loi sur la chasse, sur l’environnement- ont existé par le passé et sont toujours en vigueur. C’est visiblement leur application sur le terrain qui pose problème comme pour une grande partie de la législation algérienne. Il y a aussi, il faut le souligner, le manque de coordination entre les services et les directions concernés. Alors que la protection de la nature sous toutes ses formes doit être une préoccupation de tout le monde- commune, wilaya, directions techniques et instituts chargés de la protection-, la réalité du terrain est beaucoup plus nuancée puisqu’on retrouve souvent une seule institution sur laquelle sont braqués tous les regards et qui patauge dans de pires difficultés pour des résultats pas toujours brillants. Il faut souligner aussi que l’état de délabrement dans lequel se trouve la forêt algérienne après plus d’une décennie d’une guerre qui ne dit pas son nom a presque annihilé toutes les énergies et abattu les volontés qui étaient à l’avant-garde de la protection de la nature et de la promotion des valeurs de l’environnement.

L’espoir d’une réhabilitation des espaces forestiers après les mesures prises pour le repeuplement et la régénération des forêts algériennes, y compris dans le programme Hauts-Plateaux lancé depuis deux ans, est naturellement accompagné de l’espoir de voir se reconstituer et se multiplier les différentes niches écologiques sources de biodiversité.

L’Algérie a, depuis l’Indépendance, élaboré de beaux textes réglementaires et législatifs relatifs au domaine de l’environnement, de même qu’elle a signé toutes les conventions internationales y afférentes. Mais, en matière de mise en œuvre sur le terrain, il y a loin de la coupe aux lèvres. Même s’il y a lieu de prendre acte de certaines initiatives — certes très cloisonnées dans leurs secteurs respectifs —, force est de constater que le meilleur des investissements n’est visiblement pas encore à l’œuvre : la formation du citoyen par l’école et par une culture environnementale conséquente à tous les niveaux

Dans une économie rentière comme la nôtre, qui installe les solutions de facilité dans les esprits et donne l’illusion d’une richesse inépuisable, c’est de révolution des mentalités qu’il s’agit pour faire prendre conscience aux citoyens et aux autres segments de la société civile du danger qui guette notre environnement immédiat et celui aussi qu’on léguera aux générations futures.

Amar Naït Messaoud

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