L’État, les institutions et la bonne gouvernance

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Par Amar Naït Messaoud

C’est pourquoi, l’association des divers partenaires (associations, syndicats,…) s’avère indispensable. Au cours du développement de certains thèmes liés à ce grand sujet de réformes de l’État, l’ambassadeur n’a pas manqué de souligner qu’il avait constaté que  » l’administration algérienne est calquée sur le modèle français « .

Concernant la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) telle qu’elle est mise en place en France, le conférencier estime qu’elle est  » une véritable constitution de l’État français. Cette loi [datant de 2001] a provoqué une refonte complète des textes et procédures budgétaires « .

En Algérie, c’est au début du mois de février dernier qu’un forum, portant sur les modes et les systèmes de la gestion publique, s’est tenu sous le parrainage du ministre des Finances, Karim Djoudi. Intitulé « la performance au rendez-vous de la réforme budgétaire », ce forum était organisé par le Groupe Deloitte, fournisseur de services en fiscalité et audit.

Les experts et les hauts responsables du secteur des Finances ont, à l’occasion de ce forum technique, débattu du système budgétaire algérien en vigueur tel qu’il est véhiculé par la loi de finances annuelle qui décline le budget de l’État en budget de fonctionnement et en budget d’équipement, comme il a été aussi question de la réforme du plan comptable national qui a subi une refonte totale selon les normes internationales IFRS et applicable à partir du 1er janvier 2010.

La réforme budgétaire ne peut évidemment pas se concevoir comme étant un projet isolé ou autonome. Elle fait partie du grand projet des réformes de l’administration, des structures de l’État (territoire, institutions et missions).

La nouvelle loi portant sur la Fonction publique est censée être confortée et prolongée par le projet du nouveau découpage du territoire, une décentralisation plus hardie et rationnellement configurée de l’administration et la promulgation des nouveaux codes de la commune et de la wilaya mis sous le coude depuis des années. Dans le cas où ces segments importants de la vie publique sont pris isolément ou en tant que simples éléments libres et épars qui ne répondraient à aucune vision globale et homogène ou qui ne seraient pas soumis à la logique d’ensemble autour de laquelle ces éléments s’articulent, ces réformes paraîtraient bien au-deçà des attentes et aspirations des citoyens qui espéraient une véritable modernisation de l’État dans sa globalité.

Cet axe de réflexion rejoint indubitablement la grande problématique de la décentralisation/régionalisation mise sur la table à plusieurs reprises par les spécialistes de l’aménagement du territoire, des universitaires, les gestionnaires des secteurs économiques, les responsables de l’administration locale, des personnalités politiques de l’opposition et des représentants de la société civile.

Une centralisation asphyxiante

Le nouveau schéma territorial en préparation au département de l’Intérieur prendra-t-il en considération les propositions de la Commission des réformes des structures de l’État- animée par Missoum S’bih au début des années 2000- en matière de décentralisation ? En évoquant la typologie des six wilayas historiques, Salah Boubnider, ancien colonel de la Révolution, suggéra d’aller vers plus de décentralisation pour asseoir une véritable démocratie. Une chose est certaine : dans la configuration actuelle des structures de l’État- caractérisée par une patente asphyxie centralisatrice-, ni l’économie du pays, ni la gestion des affaires administratives, ni la société ne trouvent réellement leur compte. Partout dans le monde, la gestion centralisée a montré ses limites, et la meilleure solution est d’anticiper les changements pour ne pas avoir à les subir de façon douloureuse, voire dramatique.

Le diagnostic des dysfonctionnements de l’administration algérienne s’était focalisé un moment sur certains symptômes extérieurs : inflation du personnel, bureaucratie et archaïsme des méthodes de travail. La Commission S’bih, pour se pencher sur les problèmes de l’administration et de l’État, est allée plus loin dans ses investigations en faisant état de la médiocrité de l’encadrement, de l’inefficacité des méthodes de travail, du manque d’adéquation entre la formation scolaire et universitaire avec les véritables missions de service public et de puissance publique et, enfin, des incohérences et travers générés par l’hypercentralisation des pouvoirs de décision aggravés par une division déséquilibré du territoire. C’est apparemment au compte-goutte et de manière sélective que le gouvernement ‘’glane’’ dans ce fameux rapport pour annoncer, par intermittence, des mesures qui sont encore loin de répondre aux besoins des défis qui se posent à l’administration algérienne. Et pourtant, cela est connu à travers tous les pays du monde, aucune réforme économique n’est susceptible de s’imposer ni, a fortiori, d’avoir le souffle long sans une administration compétente, efficace, décentralisée et ouverte sur les méthodes modernes de gestion.

Un processus historique lié à la colonisation

L’histoire du processus ayant consacré l’hégémonie des États centraux diffère selon les aires géographiques et civilisationnelles des pays concernés. Si, chez les nations européennes, la centralisation et son corollaire, le jacobinisme, sont en relation avec la révolution industrielle et la chute des monarchies ayant accompagné le siècle des Lumières, les pays anciennement colonisés doivent cette forme d’organisation de l’État d’abord à l’héritage colonial et ensuite à une gestion monopolistique des indépendances par les élites politiques issue des indépendances..

La nécessité de disposer de matières premières pour leur propre développement a poussé les États européens à coloniser les pays du Sud en y installant une administration coloniale calquée sur leur propre modèle. Pis, pour le cas de l’Algérie qui a subi une colonisation de peuplement, il ne s’agissait même pas de calquer le modèle français, mais de le prolonger et de donner de nouveaux territoires à son autorité. Après la défaite de l’Émir Abdelkader le 14 août 1843, le territoire algérien sera organisé en trois départements français : Alger, Oran et Constantine. Seuls les colons obtiennent une représentation au Parlement. Les lois du senatus-consult et la loi Warnier exproprient les Algériens de leurs terres et disloquent les tribus à partir de 1863. L’autonomie financière accordée à l’Algérie en 1900 ne changea rien au caractère centralisé de la colonie qui restera sous l’emprise totale de la Métropole. Le renforcement de la centralisation du pays au cours du 20e siècle était aussi dicté par la volonté de contenir et de réprimer le Mouvement national qui a commencé à se structurer à partir de 1926 (ENA). Après l’Indépendance, le nouveau pouvoir algérien n’a fait que reproduire le schéma de la puissance coloniale avec des slogans symétriquement équivalents : un seul peuple, une seule langue, un seul territoire.

La centralisation à outrance de l’État algérien, outre qu’elle se trouve être un héritage colonial, trouve ses défenseurs zélés parmi les sphères décisionnelles entendu qu’elle est conçue comme un instrument de gestion de la rente et de la société.

L’enjeu de pouvoir que représente la centralisation est d’autant plus grand que la processus de la rente énergétique commençait à s’installer durablement dès le début des années 1970. Dans la foulée de ce qui était considéré comme une économie ‘’socialiste’’, l’État était devenu un makhzen distributeur de rentes et de privilèges, créant ainsi une clientèle en ville et en province capable de ‘’pacifier’’ le Bled Essiba (pays de l’insoumission et de la rébellion selon la terminologie khaldounienne) et de la ramener dans son giron par des actes d’allégeance au profit du pouvoir central. Ce consensus rentier, géré au jour le jour par une caste se réclamant du parti unique, a fini par vider les énergies créatrices du pays de leur substance en subventionnant la consommation via l’importation au détriment de l’investissement et de la production. Ces errements, qui vont à contre-sens de la logique économique vont connaître leurs limites dans l’impasse d’octobre 1988.

Une nécessaire redistribution des pouvoirs

Les travers les plus visibles de la centralisation du pays se cristallisent dans la planification uniformisante et standardisée (plans quadriennaux et quinquennaux) ignorant les diversités naturelles, humaines et sociologique de l’Algérie. Le concept d’ ‘’équilibre régional’’ qui était alors en vogue, non seulement n’avait pas de prolongement sur le terrain, mais, même du point de vue conceptuel, il se trouve dépassé par les notions d’aménagement scientifique du territoire basé sur des unités écologiques homogènes et des groupements de régions répondant à des critères géographiques et stratégiques précis.

De même, cet état de fait est soutenu par le processus de prise de décision qui répond à une logique pyramidale descendante, allant du ministère jusqu’aux entités minimales de gestion, à savoir les communes. Une hiérarchie infaillible est ainsi instaurée sans aucune intermédiation autonome à même de faire valoir les spécificités régionales en matière de développement ou d’administration. La planification économique et la centralisation administrative étaient d’une telle raideur et d’une telle rigidité qu’elles ont tenté d’annihiler toute diversité naturelle ou humaine des territoires composant la république. L’établissement des sociétés nationales obéissait au même schéma uniforme qui faisait irradier leurs directions générales sur l’ensemble du territoire national.

« Une réflexion sur la décentralisation est indissociable d’une réflexion sur l’organisation des pouvoirs. Rompant avec le modèle de l’État centralisé, la décentralisation implique, en effet, une nouvelle distribution des pouvoirs.

Le modèle de l’État centralisé qui s’est longtemps imposé dans notre pays repose d’abord sur l’idée selon laquelle l’État est seul à même de définir l’intérêt général et d’arbitrer entre celui-ci et les intérêts particuliers. L’État se voit reconnaître un rôle exclusif pour structurer et coordonner les activités de la société.

De cette conception du rôle de l’État, découle le pouvoir de contrôle a priori qu’il doit exercer sur toute initiative afin d’assurer la conformité des initiatives à l’intérêt général et leur uniformité sur l’ensemble du territoire. En découlent également le pouvoir d’arbitrage qui lui est octroyé afin de veiller à l’égalité entre les citoyens, ainsi que le pouvoir d’expertise qu’exerce territorialement l’administration de l’État.

La décentralisation, au contraire, doit permettre aux collectivités locales de disposer d’une certaine liberté de décision pour définir les normes de leurs actions et les modalités de leurs interventions. Elle traduit donc un nouvel équilibre dans la répartition des pouvoirs « , note un document de vulgarisation sur la décentralisation publié par le Sénat français.

Le nouveau projet de découpage du territoire qui n’arrive pas encore à sortir des limbes contribuera-t-il à asseoir une décentralisation à la mesure des défis de l’étape de développement de notre pays ? Restera à savoir ce qu’il coûtera en termes de budget de l’État étant donné que les nouvelles structures administratives feront appel au recrutement de milliers de fonctionnaires et à la mise en place de nouvelles infrastructures.

L’articulation institutionnelle en débat

Jusqu’à présent, presque toutes les timides tentatives initiées par certaines institutions nationales pour décentraliser leurs services se sont soldées par un patent échec.

Ce sont généralement des actions isolées dont la réussite dépend, en réalité, de tout un écheveau de structures qui ne leur ont pas emboîté le pas. Moralité de l’histoire : la décentralisation-et la leçon a acquis sa part d’universalité- est un tout indivisible qui agit sur les institutions et les territoires.

Même si les textes fondamentaux du pays réservent la place qui leur sied à la commune-première cellule de la pyramide institutionnelle et unité minimale de la gestion territoriale- et à l’APC en tant que première structure élue la plus proche des citoyens, la réalité de la gestion de ces entités est autrement plus problématique et l’arsenal des textes les régissant demeure souvent un fouillis de vœux pieux.

Dans les pays développés qui se sont donnés une assise institutionnelle démocratique, la gestion des communes est en train de prendre de plus en plus les aspects de la gestion d’une ‘’petite république’’. Chez nous, le Code communal, au vu de l’évolution des réalités économiques, culturelles et sociales du pays, est frappé d’obsolescence. Des ministres et d’autres hauts dirigeants le reconnaissent. La nouveauté du futur Code communal, d’après le ministre délégué aux Collectivités locales, c’est l’approche d’une ‘’démocratie participative’’ qu’il convient d’asseoir dans les assemblées élues: les citoyens, par le truchement des associations de quartiers et des organisations professionnelles participeront aux décisions des exécutifs communaux relatives à la politique de la jeunesse, de l’éducation, de l’environnement, de la santé, de la distribution de l’eau, de l’assainissement,…etc. Le projet de Code communal comporte aussi une nouvelle vision de l’institution municipale à laquelle il compte conférer de nouvelles prérogatives tels que les possibilités des emprunts bancaires destinés à réaliser des investissements qui rapportent de l’argent (marché, centre commercial, abattoir,…). Comme, il donne la possibilité à l’APC de déléguer la gestion de certains services publics à des organismes privés. Le domaine de compétence du secrétaire général de mairie sera également redéfini étant entendu que, contrairement à l’élu, celui-là signifie la pérennité et la permanence de l’institution.

Concernant certaines initiatives citoyennes, l’on se souvient qu’à la veille des élections locales de novembre 2007, huit communes de la Kabylie maritime (région des Iflissen, Ath Djennad et Ouaguenoun) avaient paraphé une Charte dite intercommunale qui était censée regrouper les efforts des différents exécutifs communaux voisins dans la gestion des affaires publiques en dehors des classiques et peu performantes décharges intercommunales et des recettes du même nom. Cependant, au vu de la tension caractérisant la marche de certaines communes de la région, la tâche ne semble pas être facile. Quelle que soit, en fait, l’initiative citoyenne et quelles que soient les bonnes intentions qu’elle véhicule, elle finira par ‘’télescoper’’ inévitablement la raideur et les rigidités de l’État hypercentralisé, un État que le philosophe Thomas Hobbes a qualifié, en 1651 déjà, de ‘’Léviathan des temps modernes’’.

Aménagement du territoire : navigation à vue

Toute division du territoire est censée découler d’une vision et d’un objectif qui se cristallisent dans la notion d’aménagement du territoire. Le débat, les études et les écrits traitant de l’aménagement du territoire n’ont sans doute jamais été aussi présents et aussi prégnants qu’au cours de cette dernière décennie. Bien que les structures administratives et les services techniques chargés de ce volet important de l’économie nationale aient été installés depuis longtemps, au même titre que tous les autres services ayant simultanément les attributs techniques et de puissance publique, l’action et l’efficacité sur le terrain laissaient à désirer particulièrement à l’ombre de la rente pétrolière, pendant les décennies 70 et 80 du siècle dernier, où aucune espèce d’imagination ou de créativité n’était exigée des cadres et techniciens qui étaient chargés de l’administration spatiale de l’économie nationale et des équilibres naturels basés sur la gestion rationnelle des ressources.

L’agriculture, l’habitat, les grandes infrastructures routières, certains équipements publics, les services sociaux, enfin, tous les segments qui constituent l’essentiel de l’ossature de l’économie nationale continuent à souffrir d’une planification spatiale approximative générant désordres sociaux, déséquilibres écologiques et dysfonctionnements organiques. Sur ce plan, le secteur de l’urbanisme et de la construction est sans doute le cas le plus expressif et le plus dommageable de l’anarchie vécue dans l’aménagement du territoire. Les rapports, analyses et études produits à l’occasion du séisme de Boumerdès montrent à ce propos la grande part revenant à l’anarchie urbanistique dans l’ampleur des dégâts. De même, les constructions, parfois en toute légalité, sur des zones inondables ont généré leur part de malheurs suite aux pluies torrentielles survenant au début de l’automne, phénomène somme toute classique sous le climat méditerranéen. Le cas des inondations de Ghardaïa en automne dernier est une autre leçon d’une gestion de l’espace qui ne tient compte que de la pression immédiate sur l’habitat.

Sur ce chapitre, le bon sens paysan de nos ancêtres- qui ont installé Constantine sur un rocher, une grande partie de Tlemcen sur le plateau de Lalla Setti et Tizi Ouzou sur le Col des Genêts a plus de pertinence et de sens de la mesure qu’une technicité dévoyée, ligotée par une bureaucratie centralisatrice.

L’Arlésienne d’un nouveau découpage du territoire

Le ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, M.Nordine Yazid Zerhouni, a fait état au moins à deux reprises (en 2006 et en 2008), d’un projet d’un nouveau découpage du territoire national. De même le président de la République a donné plus de solennité et de crédibilité au projet de la nouvelle division administrative du pays lors de l’audition du ministre de l’Intérieur au cours du mis de septembre 2008. Le président Bouteflika avertit contre le jeu de complaisance et les accès de subjectivité dans la nouvelle approche de la configuration du territoire national. D’après lui, seuls les critères objectifs- en relation avec la démographie, l’économie et le territoire- devraient prévaloir.

Les appréhension de Bouteflika sont légitimement fondées puisque les expériences post-indépendance de 1974 et 1984 ne sont pas les meilleures voies ou les parfaits modèles en la matière. M.Zerhouni avait transmis la dernière mouture du nouveau découpage du territoire national au président Abdelaziz Bouteflika. Cette mouture aurait, d’après certaines indiscrétions de presse, porté sur la création de 107 circonscriptions administratives ayant statut de wilayas- déléguées et qui seront dirigées par des walis-délégués jusqu’à leur affranchissement total des wilayas-mères.

Amar Naït Messaoud

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