Contrairement aux décennies passées, témoins de la gloire des médecins de campagne, les dernières années ne semblent pas aussi favorables que les précédentes pour ces professionnels de la santé qui ont connu des jours meilleurs. On est plus à l’ère où on pointait à 7 heures du matin pour prendre un jeton et attendre son tour. Le bout du tunnel n’est atteint, des fois, qu’en fin d’après midi. Chanceux sont ceux qui passaient avant midi. Les urgences étaient, bien entendu, prioritaires. De ce côté-là rien n’a changé. Ce qui a changé c’est tout le reste, notamment l’affluence des patients chez les médecins de campagnes. Il n’est plus question de se casser la tête à l’organisation des plannings, notamment entre les consultations à domicile et celles du cabinet. Ce sont d’ailleurs les consultations à domicile qui comblent souvent l’activité des médecins de campagne devenue moins importante, depuis quelques années déjà.
La cause ? La multiplication d’ouverture de cabinets de spécialistes, toute spécialité confondue, dans la ville et les différentes localités de la wilaya semble en être le premier facteur.
Les patients souvent conscients de leur mal s’orientent seuls vers les spécialistes alors qu’en principe c’est au médecin généraliste de faire le premier diagnostique, selon les médecins de campagne. Des fois même si cet ordre a été respecté, le patient est « détourné » et ne revient plus chez le médecin de sa localité ne serait-ce pour une consultation et préfère qu’il soit suivi par un spécialiste.
C’est ce que reprochent d’ailleurs les médecins de campagne à leurs confrères spécialistes de la « ville ». N’a-t-il pas fait des études plus poussées ?, répondent souvent la plupart des patients quand ils sont interrogés sur leur choix. Qui est dans le tort qui a raison ? Nul ne peut y répondre objectivement à cette question.
Salle bourrée, médecin doué
Les salles d’attente des spécialistes qui sont souvent bourrées n’attestent nullement de leurs qualités professionnelles. La plupart des patients qu’ils reçoivent leur parviennent des recommandations des médecins de campagne.
Ces derniers ne disposant pas de matériel adéquat pour pousser certains examens plus loin les orientent vers les spécialistes. Ces derniers au lieu de renvoyer le patient vers leurs médecins avec les comptes rendus d’examens et les conclusions en vue d’un traitement, les gardent pour eux. C’est ce dont se plaignent les médecins de campagne qui ne retrouvent plus leurs patients une fois orientés ailleurs. « On a pas le choix.
On est obligé d’orienter le patient vers d’autres médecins soit par manque de matériel ou de moyens, soit pour un autre avis et diagnostic. Même si souvent ce n’est pas nécessaire et qu’on peut éviter de nous faire piquer des patients, on le fait dans l’intérêt de ce dernier. Seulement la plupart ne nous reviennent pas. Et c’est comme ça que nous n’avons plus la même activité qu’avant », nous raconte Dr B.G., installé depuis plus de 18 ans dans un village à 25 kilomètre de la ville de Tizi-Ouzou. Concernant les performances professionnelles, ce sont les patients qui jugent.
« Je n’arrivais pas à tomber enceinte la première année de mon mariage. J’ai fait un saut chez le médecin du village qui m’a fait les examens qu’elle était en mesure de faire. Elle a trouvé que je n’avais rien d’alarmant. Elle m’a quand même conseillé d’aller voir un spécialiste.
Ce que j’ai fait la semaine d’après et que j’ai regretté de suite. Le médecin que j’ai choisi m’a été recommandé par une voisine. Sa salle d’attente était pleine à craquer. J’ai dû attendre plus de 5 heures pour voir mon tour arriver.
Après un furtif examen, cette gynécologue a décrété que j’avais mille maux et que je n’aurais d’enfants que si je suivais son traitement. Elle avait parlé de kystes aux ovaires et de Galactorrhée. Alors qu’on ne peut se prononcer sur cette dernière qu’après un bilan hormonal. J’ai décidé d’instinct que je ne prendrai pas de traitement.
J’ai consulté un autre spécialiste qui m’a dit la même chose que mon premier médecin.
C’est-à-dire zéro problème. Je suis retournée chez elle. On a fait les analyses nécessaires. Elle a suivi de près le cycle qui a suivi ma visite. Elle m’a tellement rassuré que le mois d’après je suis tombée enceinte », nous raconte Zahia, vantant les mérites du médecin de son village.
Les séniors… fidèles à leur toubib
Ils sont nombreux ceux qui croient encore à leur médecin de campagne. Ils ont beau aller voir ailleurs, ils reviennent toujours le consulter pour telle ou telle douleur, sinon pour demander un conseil. On est mieux soigné que par celui qui nous connaît le mieux. C’est ce que nous explique Nna Ouiza, 70 ans : « Je ne peux pas aller voir un autre médecin. Le jour où il a fallu me faire opérer pour un problème de matrice, mon fils a dû faire intervenir cette dernière pour me convaincre de l’intervention. Aucune force ne pouvait me faire changer d’avis. Je ne voulais rien savoir. Je refusais cette opération de toutes mes forces. Elle, elle a su me rassurer et me convaincre. J’aurai aimé que ce soit elle qui m’opère mais mon fis m’a dit que ce n’était pas possible ». Da Vussad a également consulté ailleurs, seul le traitement du médecin de son village avait de l’effet sur lui.
« Il faut dire que les vieux sont particulièrement accro à leurs médecins. Ils les connaissent depuis longtemps. Ils leur font confiance. Les médecins aussi, de leur côté, savent traiter avec les plus âgés. Quand on suit continuellement un patient, on finit par le connaître et se permettre même la causette. Les vieux aiment qu’on s’intéresse à eux. Qu’on leur parle. Qu’on leur explique », nous explique Nouara, 38 ans, assistante chez un médecin de campagne. Cette dernière évoque le temps où elle ne se permettait pas de déjeuner en raison de l’affluence des patients. Ce changement, elle l’explique à sa manière. Selon elle, c’est la disponibilité des moyens de transports qui ont permis aux patients la facilité de déplacement qui est derrière ce renversement de la situation.
Disponibilité des moyens de transport
Autre facteur, donc : La démocratisation des transports. Maintenant que le transport est possible à n’importe quelle heure de la journée vers la ville, le déplacement n’est plus ce qu’il était il y a des années. Fini le temps où si l’on rate les horaires du bus, on ne pouvait rêver d’arriver au rendez-vous du médecin. Maintenant, pour la plupart des destinations, un fourgon démarre toutes les deux minutes en moyenne. Avec ça, aucune crainte de rater un rendez-vous. Aucune flemme d’aller chercher les soins là où ils sont. Plus de contrainte de se contenter du médecin du village si le premier diagnostic n’est pas concluant. C’est une des raisons qui font que les patients ont le choix et tentent d’autres soins que ceux prodigués par le médecin du coin. “Ce n’est pas parce qu’il est moins bon. C’est juste que, quand il s’agit de la santé, il n y a ni règle ni loi. Chacun fait comme il le sent. Et à chacun son critère de sélection. Sinon, ils ont tous fait la même école et les mêmes études”, conclut Nouara.
Samia A-B.
