Un nouvel ordre pour conjurer l’insécurité alimentaire

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n Par Amar Naït Messaoud

Les effets de la déréglementation des prix agricoles se font sentir ces derniers jours d’une façon pesante sur les ménages. Fruits, légumes, viandes, œufs voient leur côte monter de plus en plus chaque jour sans qu’une régulation publique puisse y apporter des solutions. C’est pourquoi d’autres schémas d’organisation sont au stade de la réflexion pour réexaminer le rôle des mandataires et les soutiens accordés aux chambres froides. Des bénéficiaires de chambres froides ont en effet participé à la spéculation sur la pomme de terre en jouant sur l’achat massif du tubercule et son stockage prolongé jusqu’à la création de la pénurie.

La nouvelle loi sur l’orientation agricole, votée l’année dernière par les députés de l’Assemblée populaire nationale, a été farouchement défendue au sein de l’Hémicycle par le ministre de l’Agriculture et du Développement rural, M.Rachid Benaïssa. Ce dernier juge que ce projet de loi « vise à consacrer les règles garantissant la sécurité alimentaire du pays et à renforcer la place de l’agriculture dans l’économie nationale ». La faiblesse de la part du secteur de l’agriculture dans la croissance générale peut être illustrée par ces statistiques relatives à l’année 2006 qui établissent la croissance agricole à 1,9 % alors que la croissance globale du PIB a enregistré un bond de 5,1% (grâce aux BTP, hydrocarbure et services). Ainsi, les exportations hors hydrocarbures ont difficilement atteint, pour l’année en question, 907 millions de dollars, alors que les ambitions du gouvernement depuis la fin des années 1990, étaient de 2 milliards de dollars. En 2008, elles ont à peine dépassé le milliard de dollars. Les spécialistes et les pouvoirs publics ont depuis longtemps identifié certaines contraintes majeures qui obèrent l’essor de l’agriculture algérienne, mais la stratégie d’y apporter des solutions définitives ne semble pas trouver de prolongement sur le terrain. Le problème du foncier fait que le statut des terres publiques (EAC et EAI) est considéré comme un frein aux investissements d’autant plus que les usufruitiers développent un esprit de défiance fort symptomatique à l’égard de l’administration et, dans certaines régions, se rendent complices de l’avancée du béton sur les terres agricoles.

0,25 hectare par habitant

La nouvelle loi prévoit de sévères sanctions contre de telles dérives (jusqu’à sept ans d’emprisonnement ferme et 500 000 dinars d’amende). M. Rachid Benaïssa avait rappelé à l’occasion de l’examen de la loi d’orientation agricole que la surface agricole par habitant au lendemain de l’Indépendance était de 0,75 ha, alors qu’actuellement elle ne dépasse pas 0,25 ha.

Vu la sensibilité du sujet qui touche au foncier agricole, à la propriété de la terre et à la nature des concessions qui y sont prévues, le nouveau projet de loi, même s’il a été entériné, n’était pas passé comme une ‘’lettre à la poste’’. Des députés de différentes formations politiques se montrèrent très exigeants en matière de garanties inhérentes à la permanence du caractère agricole des terres et à l’utilité pratique de la nouvelle loi, d’autant plus qu’il n’y a pas de nouveaux éclaircissements sur le type de concessions effectuées sur la propriété privée de l’Etat, en l’occurrence les EAC et EAI (exploitations agricoles collectives et individuelles échues à des exploitants en vertu de la loi 19-87 de 1987 qui a institué ce type d’exploitation en remplacement des anciens domaines autogérés). La loi d’orientation agricole note seulement que « le mode d’exploitation des terres agricoles relevant du domaine privé de l’Etat est la concession ». En vertu de la loi domaniale amendée l’année dernière, cette concession est fixée à 99 ans avec droit de transmission/dévolution par voie d’héritage.

Nouveaux enjeux

A travers tous les pays du monde, un certain réveil de la ‘’conscience agricole’’ a été perçu à la faveur de la crise alimentaire rampante qui a commencé à peser d’un poids insoutenable sur les pays en voie de développement à partir de 2007. Dans tous les forums mondiaux et régionaux, la sécurité alimentaire est devenu le sujet ‘’fétiche’’ sans lequel les autres thèmes perdraient en crédibilité. Ainsi, face aux nouvelles réalités induites par une mondialisation accélérée des économies et une interdépendance de plus en plus problématique entre les régions et les pays de la planète, les défis qui se posent à l’agriculture algérienne deviennent de plus en plus complexes.

Pourtant, des efforts méritoires ont été déployés en direction du secteur de l’agriculture par les soutiens aux producteurs, la mise à niveau des exploitations agricoles et l’extension de la surface agricole utile (concessions, mise en valeur par l’accession à la propriété foncière,…).

L’ancien ministre de l’Agriculture, M. Saïd Barkat, avertissait, au début de l’année 2008, que le phénomène des terres agricoles laissées à l’abandon, exposées à la désertification, allait être pris en charge par la nouvelle loi portant Orientation agricole. Les usufruitiers coupables de tels actes seront poursuivis en justice et sanctionnées. «La mesure s’appliquera même aux propriétaires, entendu que la terre n’est pas leur propriété à eux seuls, mais c’est la propriété de toute la collectivité nationale», ajoutait-t-il. La nouvelle loi détermine, selon Berkat, « la nature des terres agricoles, les activités agricoles, la formation, la qualité de la production et l’organisation de la profession agricole de façon précise de façon à éviter les ‘’intrus’’ (faux agriculteurs) et les activités spéculatives qui en résultent ».

L’ancien ministre a aussi annoncé que son département était en phase de préparation d’une loi sur le foncier agricole qui ‘’mettra fin à la dilapidation des terres agricoles publiques qui sont considérées les plus belles et les plus fertiles terres du pays’’.

Cette mesure législative compte endiguer les transactions anarchiques et illégales des terres et organiser les modes d’exploitation collective et individuelle des exploitations agricoles. Parallèlement à cet arsenal juridique, les investigations de la Gendarmerie nationale relatives au détournement des terres agricoles de leur vocation initiale et aux transactions douteuses et illégales sont appelées à aller jusqu’au bout. Ces enquêtes portent sur le devenir de certaines EAC et EAI.

Dans la foulée des nouvelles mesures que compte prendre le ministère de l’Agriculture, le représentant du gouvernement annonçait que de nouvelles dispositions réglementaires sont en préparation pour réorganiser les EAC et EAI, comme il fait état de nouveaux projets de loi conçus pour encadrer spécifiquement le secteur des Forêts et les activités de la chasse. L’on apprend également que l’administration de l’Agriculture est sur le point de mettre en place une carte de l’agriculture algérienne.

De même, sur décision du président de la République, il sera crée prochainement une École supérieure de l’Agriculture et des Sciences forestières. Rappelons, à ce propos, que, jusqu’à un passé récent, l’Algérie disposait de deux grandes écoles spécialisées dans les sciences agronomiques : l’Institut National d’Agronomie d’El Harrach (INA, fondé en 1905) et l’Institut de Technologie Agricole de Mostaganem (ITA, fondé en 1971). Ce dernier a été annexé, au milieu des années 1990, à l’Université de Mostaganem. Parallèlement à ces deux écoles supérieures, des instituts d’agronomie sont crées au sein des centres universitaires pour mieux encadrer le secteur de l’Agriculture. Notons également que les anciens lycées agricoles datant de la colonisation ont été transformés en Instituts technologiques moyens agricoles et sont chargés de former des techniciens en agriculture. L’INVA (Institut national de vulgarisation agricole sis à Saïd Hamdine, Alger), avec ses antennes régionales, est chargé de former des vulgarisateurs agricoles. D’autres instituts techniques sont chargés de sous-secteurs spécialisés comme l’arboriculture fruitière et la vigne, le petit élevage,…etc.

Les voies de la sécurité alimentaire

Depuis la mise en place du PNDA en 2000, les pouvoirs publics ont, par le truchement des leviers relatifs aux différents dispositifs de soutien, commencé à réorienter l’activité agricole dans le sens de la reconversion des systèmes de culture. Ainsi, d’après les chiffres révélés au début de l’année 2008, les superficies habituellement emblavées en céréales étaient de 4,5 millions d’hectares avec une production allant de 16 à 19 millions de quintaux, soit un rendement de 7 ou 8 quintaux/ha. Les nouvelles mesures de soutien ont ramené cette superficie à 3,2 millions d’hectares, mais avec un rendement moyen de 40 qx/ha. Dans le sillage de la nouvelle politique agricole, les agriculteurs ont été encouragés à réaliser une bonne préparation du sol (défoncements et épandages d’engrais de fond) et des désherbages efficaces. En outre, certaines superficies céréalières ont été reconvertis en vergers arboricoles ou viticoles de façon à mieux lutter contre les effets de la sécheresse qui menace cycliquement notre pays.

De même, les soutiens accordés par l’Etat aux activités céréalières ont connu, depuis le mois de mai 2008, une nouvelle orientations consistant à soutenir le quintal de blé produit et réceptionné aux dépôts de l’OAIC, au lieu de l’ancien mode soutien qui intervenait sur des segments intermédiaires dont la réussite est soumise à plusieurs hypothèques. Le taux de soutien apporté à l’agriculture jusqu’à la fin 2007 représentait 4% du PIB d’après l’ancien responsable de l’Agriculture. Le taux maximum enregistré est de 9%. Mais, fait-il observer, au niveau des pays de l’OCDE, ce taux représente 45%. L’agriculture dans notre pays représente à l’heure actuelle quelque 9% du PIB et utilise 25% de la main-d’œuvre.

Les statistiques de la production agricole indiquent que, pour plusieurs produits, l’Algérie a atteint l’autosuffisance. Si la facture alimentaire à l’importation est située autour de 2,26 milliards de dollars, c’est en raison de l’importation de céréales (1 milliard de $) et d’autres produits indispensables. Les besoins des Algériens en céréales sont évalués à 60 millions de quintaux, tandis que la production locale n’est que de 30 millions de quintaux. En matière de production laitière, l’Algérie produit 2,2 milliards de litres annuellement, tandis que la consommation annuelle atteint les 3 milliards de litres. La différence est importée pour un montant de 600 millions de dollars. Pour atténuer cette lourde facture, l’Algérie a importé 26000 vaches laitières entre 2005 et 2006. M. Berkat faisait savoir qu’il serait procédé à à l’importation de 50 000 vaches laitières tout en précisant que l’État soutient les producteurs et les collecteurs de lait frais à hauteur de 13 DA/litre.

L’étape suivante que compte franchir le ministère de l’Agriculture est la labellisation de certains produits pour lesquels l’Algérie a montré une certaine maîtrise. Ainsi, en est-il de l’huile d’olive, du miel et de la datte Deglet Nour.

La protection du consommateur n’a pas été omise dans la nouvelle stratégie de relance du secteur agricole. Lutte contre la spéculation, contre la fraude et contre les faux exportateurs. L’administration compte également structurer la Chambre de l’Agriculture de façon à l’habiliter à jouer un rôle essentiel dans la promotion du secteur agricole, l’exportation des produits de l’agriculture et le démantèlement du monopole, y compris le monopole des chambres froides.

L’on ne peut parler de l’exportation sans aborder le sujet crucial du marketing et du design. À ce propos, l’ancien ministre s’était montré pour le moins incisif. « Nous ne savons ni vendre ni acheter. Notre point faible se situe principalement dans le conditionnement et l’emballage ». Il fera aussi état de la responsabilité de nos ambassades et des Chambres de l’agriculture dans la promotion des produits algériens.

Le lourd passif du foncier

Le foncier agricole a subi beaucoup d’aléas et de confusions dues aux différents modes législatifs qui ont jalonné sa gestion depuis la domination turque jusqu’à la dernière loi domaniale en passant par le Senatus-consult, la loi Warnier, la révolution agraire et la restitution des terres nationalisées pendant la révolution agraire. La pression sociale provient aussi bien de la démographie galopante des années 60 et 70,que de la grande mobilité de la main-d’œuvre algérienne. Cette dernière se caractérise par un exode rural massif et a grandement contribué au chamboulement de l’espace. Le dépeuplement des campagnes était une conséquence directe du désintérêt des pouvoirs publics pour l’arrière-pays qui avait payé le prix fort pour l’indépendance du pays et de la politique d’industrialisation qui avait ciblé les banlieues des grandes villes au détriment des bourgades de la montagne ou de la steppe.

L’abandon graduel de l’activité agricole a eu des répercussions qui ne se sont pas fait attendre. Chaque année, des dizaines d’hectares des meilleures terres sont phagocytées par une urbanisation forcenée.

Les 8 millions d’hectares de SAU (superficie agricole utile) recensés en 1962 donnaient alors un ratio de 0,75 ha/habitant. En 1990, ce taux fléchit à 0,3 ha/habitant.

Le ministre de l’Agriculture, Rachid Benaïssa, vient nous apprend que le rétrécissement de ce ratio l’a conduit à prendre la valeur de 0,25 ha/habitant. Les anciennes fermes coloniales, faisant partie du domaine privé de l’État s’étendent sur 2,8 millions d’hectares, soit 35% de la SAU. 2,5 millions d’hectares, ont été organisés en EAC et EAI à partir de 1987 (soit 96 629 exploitations). Le reste, c’est-à-dire 300 000 ha, forment les fermes-pilotes et les parcelles d’expérimentation appartenant à des instituts universitaires de recherche.

Transactions illégales sur le foncier agricole

Les déperditions du capital foncier sont dues aux extensions urbaines que connaissent les villes algériennes, à la création de nouvelles agglomérations (exemple de Sidi Abdellah à la périphérie d’Alger ou de Boughezoul, au sud de Médéa) et à la création de nouvelles infrastructures routières, autoroutières ou de chemins de fer. En tout, ce sont pas moins de 150 000 ha de terres agricoles publiques et privées qui ont été ainsi sacrifiés depuis 1962 pour d’autres objectifs d’utilité publique. Quant à la dilapidation insidieuse due à des détournements et transactions illégales auxquels se livrent les usufruitiers, elle n’est certainement pas quantifiée d’une façon définitive. Les résultats des enquêtes de la gendarmerie issus de 18 mois de recherches ont abouti, d’après le Commandement de ce corps de sécurité, à la mise en examen de plus de 16 000 personnes accusées de dilapidation du foncier agricole (6 366 ha) dans la seule région d’Alger. L’on y apprend ainsi qu’à lui seul, l’homme d’affaire Brahim Hadjass, actuellement en fuite au Canada, aurait avancé 23 milliards de centimes pour s’accaparer 321 hectares des terres de 18 exploitations agricoles allant de Aïn Benian à Staouali en passant par Chéraga. Bien entendu, les actes de désistement auxquels ont recouru les usufruitiers n’ont aucune valeur légale.

Parallèlement au détournement du foncier agricole à des fins d’urbanisation (légale ou délictueuse), les terres agricoles algériennes subissent une menace réelle de désertification liée à des phénomènes aussi bien naturels qu’anthropiques. Les pertes des espaces steppiques et la déforestation rampante constituent des dangers imminents sur la sécurité alimentaire et environnementale des Algériens. L’Algérie n’a jamais connu des phénomènes d’érosion aussi dangereux que ceux enregistrés au cours des 15 dernières années. Le danger pèse non seulement sur la fertilité des sols, mais aussi sur leur stabilité mécanique, sur la stabilité de certains ouvrages de travaux publics et sur les capacités de rétention des ouvrages hydrauliques. Ces derniers voient leur longévité se réduire suite à l’envasement graduel qu’ils subissent. Certains barrages, comme celui du Ksob, dans la wilaya de M’Sila, sont déjà devenus inefficaces puisque leur capacité de stockage a été fortement réduite. C’est pour parer à ce genre de dérive que le ministère de l’Agriculture a conçu le Plan national de reboisement (PNR) touchant la plupart des wilayas du Nord. Ce Plan vise aussi a reconstituer les capacités de production de bois et d’autres produits forestiers

(à l’exemple du liège) dont notre pays a fortement besoin.

A. N. M.

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