Ce mal qui ronge les couples

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Dans un couple, la jalousie est souvent un motif pour la séparation ou même à l’origine de bévues irrémédiables. Qui n’a pas entendu parler des histoires de jalousies qui poussent les gens à commettre des gestes irréparables ? La liste des crimes liés à la jalousie est très longue.

“La jalousie fait faire n’importe quoi à ceux qui sont pris dans son piège », nous dira Hamida, 48 ans, divorcée depuis deux ans de son propre cousin A.I, 42 ans, comptable : “Nous étions promis l’un à l’autre depuis notre tendre enfance. Nous avons grandi avec cette idée. Notre amour a grandi avec aussi. Nos parents ont béni notre union et nous ont pressé un peu pour nous unir. Ce que nous avons fait dès que j’ai eu 21 ans. J’étais encore étudiante. Les premiers signes de jalousie sont apparus suite à mon entrée à l’université. Il épiait mes moindres gestes et me faisait suivre. Il critiquait mes moindres faits. Il a, ensuite, commencé à faire des tapages en plein public, provoquant même un scandale. Le motif pouvait être ma tenue vestimentaire, le salut d’un camarade et même celui des filles. Au départ je lui trouvais des excuses par rapport au complexe qu’il s’est entêté de développer concernant le fait qu’il n’ait pas pu pousser ses études plus loin que la terminale alors que moi j’avais réussi à le faire. Ma mère était toujours là pour le défendre et me demander de patienter et que cela devrait s’arranger une fois le mariage consenti. Je n’aurai pas dû l’écouter, je l’avoue. J’aurai dû écouter mon instinct”. Hamida regrette ne pas avoir eu l’occasion de faire des études plus poussées. Aujourd’hui encore, elle rêve de son doctorat, elle qui était plutôt occupée à gérer les crises de jalousie de son mari qui est devenu, vers la fin de leur mariage, très violent. Les premiers coups commençaient à pleuvoir dès que Hamida a exprimé son désir d’entamer la préparation de sa thèse de doctorat elle qui s’est contentée de limiter ses ambitions pour éviter les foudres de son tortionnaire. La torture était plus morale que physique au départ. Quand A. I. a commencé à perdre la raison, Hamida s’est rendue compte bien tard, que la jalousie de son mari n’était pas passagère et non sans danger. Dès la première scène de violence, Hamida a déposé plainte et a demandé le divorce. Elle a pris son fils et a dû quitter la localité où elle résidait auparavant avec son mari. Elle s’est installée en ville avec son unique enfant et enseigne actuellement dans un lycée de la ville. Sa fille, 19 ans, étudiante en biologie, est le seul lien avec son ex-mari devenu, au fil des années, fou de jalousie. Hamida dit avoir tout tenté pour l’aider. En vain. “Maintenant, il est temps que ma vie commence !”, conclut-elle.

Autre forme de jalousie dans le couple. Celle-là n’est aucunement liée au niveau d’instruction de la partenaire ni à ses aspirations d’indépendance et de liberté, plus que légitimes d’ailleurs, comme c’est le cas de Hamida. Cette jalousie est juste liée à un caractère très prononcé de possessivité.

C’est l’histoire d’Achour et Alia.

Ils vivent ensemble depuis plus de 32 ans : Elle a quitté son Oranie, très jeune pour suivre son premier amour. Lui, était étudiant dans la région et est rentré à Tizi-Ouzou qui l’a vu naitre et grandir. Alia a tout quitté pour son amoureux pensant qu’un conte de fée commençait pour elle. Achour n’a rien à envier à sa dulcinée en dehors de sa beauté indescriptible. Toutes les années de souffrance et de privation n’ont pu effacer un trait de sa beauté. A 51 ans, Alia reste au sommet de sa beauté. Un atout qui ne semble pas réjouir autant Achour même si c’est sa beauté qui lui a tourné la tête à ses vingt ans au point d’oser rompre ses fiançailles avec la fille du meilleur ami de son père, attirant les foudres de ce dernier. Les premiers signes de jalousie ont pointé du nez dès les premiers jours du mariage. Alia trouvait ça normal au départ. Sa mère et ses sœurs l’ont rassuré en avançant la fameuse formule : Un homme qui n’est pas jaloux de sa femme, n’a pas d’amour pour elle. La jalousie serait donc une preuve d’amour, son absence synonyme d’indifférence. Il faut, donc, se réjouir quand le partenaire est jaloux, même aux excès. La vie d’Alia est devenue un véritable enfer, depuis son installation en Kabylie. Elle a, d’abord, vécu chez ses beaux-parents dans un village situé à 25 kilomètres de Tizi-Ouzou. A cette époque-là, même si la jalousie d’Achour était déjà prononcée, il faisait quelques efforts devant ses parents mais il n’était pas question que sa femme pointe le bout du nez dehors, même pour accompagner ses belles-sœurs à la fontaine. Alia était cloitrée à la maison et ne sortait carrément pas de sa chambre quand la famille recevait de la visite, notamment et surtout masculine. Elle se sentait déjà assez mal à cette époque même si sa belle-mère et ses belles-sœurs faisaient des efforts pour elle quand son mari n’était pas à la maison. Sa belle-mère a même osé, une fois, lui faire faire quelques pas en dehors de la maison. Elle l’a emmené avec elle chez la voisine qui avait donné une réception à l’occasion du succès de son fils au BEM. On avait pris mille précautions pour cette sortie. Si Achour n’était pas à une centaine de kilomètres de Tizi-Ouzou pour une mission, nul ne se serait aventuré à entrainer la malheureuse plus loin que la porte de sortie. On avait même prié les autres femmes invitées de ne pas souffler un mot à Achour de cette escapade. Même si à cette époque Alia était déjà assez malheureuse, les vrais malheurs ont commencé bien après. Huit ans après son mariage, Achour a été promu pour un poste de responsabilité. On lui a attribué un logement de fonction et le déménagement vers la ville était inévitable. La vraie prison attendait Alia. Elle a longtemps regretté cette époque où sa belle-mère prenait mille et un risque avec la complicité de son beau- père pour que sa belle-fille puisse se permettre de prendre un bol d’air. Alia est, depuis son déménagement, cloitrée au sens propre du mot à la maison. Le logement de fonction est devenu un grand duplex dans la périphérie de la ville mais la vie d’Alia commence toujours au seuil de la porte et se déroule à l’intérieur de la maison. Son mari essaie de la combler avec des présents somptueux et des bijoux de valeur qu’elle ne porte que pour aller de son salon à sa cuisine ; contrairement au mari de Hamida, Achour est très gentil et très affectueux envers sa femme. Il ne l’a jamais blessé ne serait-ce avec une parole. Son seul problème est de garder sa femme chérie pour lui tout seul loin des yeux des autres mâles. Sa jalousie est telle qu’il ne laisse même pas le double des clefs de la maison en partant au travail. Ses enfants devenus grands ne peuvent rien pour elle. Son ainé a essayé à maintes reprises de faire entendre raison à son père. En vain. Alia n’a pas le droit de pointer le nez dehors sans lui. C’est la règle et elle ne changera pas de si tôt. Achour a peur de perdre sa femme au simple fait qu’un autre homme que lui puisse la regarder. C’est aussi simple que ça. Selon l’ensemble des psychologues, la jalousie est fondée sur la peur. Celle, d’abord, d’être abandonné et celle de ne pas être à la hauteur de la relation. Ce sont ces angoisses de l’enfance qui reviennent à l’âge adulte chez les sujets jaloux. La dévalorisation, le manque d’assurance, vont favoriser des comportements excessifs partout, en famille comme au travail, dans la vie sociale et dans le couple. C’est dans la relation de couple que ce comportement est plus remarqué et est le plus exprimé.

Les sentiments de jalousie peuvent être parfois très violents en amour car ils viennent d’une souffrance profonde enfouie depuis la tendre enfance. La souffrance est généralement liée à la relation mère-enfant mal vécu par les sujets jaloux. Le partenaire devient au fil du temps un facteur de souffrance qui réveille toutes les blessures enfouies. Il devient le premier responsable. Les réactions deviennent violentes et agressives. Il s’agit de la jalousie amoureuse.

Origines de la jalousie

S’il existe trois formes de jalousie, tout le monde est d’accord pour trouver les origines de la jalousie dans l’enfance: La jalousie normale ou concurrentielle, liée à la peur de perdre le sein maternel, la jalousie projetée basée sur les soupçons de l’autre quand soi-même on se reproche des choses et la jalousie délirante qui se base sur des idées folles qui trouvent leurs origines dans les doutes et les soupçons. Celles-ci sont toutes des formes de jalousie liée à l’enfance. Les premiers sentiments de jalousie naissent généralement dans la toute petite enfance, quand le petit garçon ou la petite fille prend conscience de la place occupée par son père ou sa mère. L’arrivée d’un frère ou d’une sœur génère une grande jalousie. Le sentiment de devoir partager l’amour parental et renoncer à sa position privilégiée d’enfant unique ou de petit dernier en favorise la survenue. La souffrance est telle que toute sa vie future et son comportement en dépendent. Les parents jouent un rôle indéniable pour limiter les dégâts. Ils doivent être à l’écoute, le laisser exprimer ses sentiments. L’enfant se sentira sinon très mal de ressentir autant de jalousie. Si la jalousie est bien exprimée et aidée, l’enfant s’en sortira indemne de cette expérience et apprendra à gérer sa vie avec deux principes principaux ; la non-possessivité et la responsabilité.

Sabrina, 35 ans, maman de deux enfants de 2 et 4 ans explique son cas : « Entre mes deux garçons l’écart d’âge n’est pas très important. Mon aîné, même si on s’est attelés à le préparer pour cet événement, s’est montré très jaloux dès que son frère est venu au monde. Je le surprenais à pincer son petit frère en cachette, à lui donner même des coups. Nous avons remarqué qu’il faisait plus l’intéressant qu’autre chose. Pour éviter qu’il fasse plus mal à son frère, nous avons tout fait pour montrer la faiblesse de ce dernier devant lui. Nous l’avons responsabilisé. Il m’aidait à donner le bain à son petit frère et à m’occuper de lui. Il s’est vite senti plus responsable et surtout plus capable que son petit frère. Nous ne rations pas une occasion pour l’en féliciter et montrer à quel point on était fiers de lui. Tout est rentré dans l’ordre en quelques semaines. Maintenant que le petit a deux années et qu’il commence à avoir tous les regards de la famille sur lui, mon ainé recommence ses petites crises de jalousie. Il devient de plus en plus violent. Nous adoptons la même stratégie qu’avant et ça à l’air de marcher ».

Hommes et femmes…égaux devant la jalousie

les hommes ne sont pas moins jaloux que les femmes même si les histoires des hommes sont plus courantes que celles des femmes jalouses. Les signes sont tout simplement plus visibles chez la gent masculine. Le facteur culturel y est pour beaucoup. Si l’infidélité de l’homme est plus au moins tolérée c’est parce qu’on considère souvent qu’un homme peut avoir des relations uniquement pour le sexe, alors qu’une femme met forcément des sentiments dans sa relation. Et là, la jalousie est « justifiée ». Si les hommes sont aussi jaloux que les femmes, la jalousie maladive semble ne toucher que la gent masculine.

Pour Aldjia, 39 ans, secrétaire juridique : «Les hommes trop jaloux sont dangereux et envieux. J’en ai l’expérience. Lorsque j’ai décidé de quitter mon mari devenu insupportable à cause de sa jalousie, il a tout essayé pour m’en dissuader. Harcèlement téléphonique, interpellation dans la rue. Il m’a même fait suivre partout où je vais. Il était en bas de chez moi chaque matin quand j’accompagnais mes enfants à l’école. il en est venu aux mains un jour où je discutais avec le vendeur d’un magasin où je faisais mes courses. Là, je l’ai arrêté par des moyens autres que la gentillesse. J’ai déposé plainte et l’ai fait arrêter. J’ai dû retirer ma plainte pour ne pas faire du mal à mes enfants. Je lui ai bien montré que je ne suis pas un objet qu’on achète et qu’on possède à vie. Il m’a laissé tranquille depuis ». Il semblerait que la jalousie soit plus pathologique chez les hommes que chez les femmes. Seulement les femmes aussi sont jalouses et savent l’être, même à l’extrême.

Ce n’est pas Salah qui va nous contredire : Sa femme lui fait la tête avec ses doutes et ses craintes qu’il la quitte un jour pour une autre.

Du coup c’est l’enfer. « Je ne peux plus parler à une femme sans qu’une scène de ménage éclate à la maison. Je suis dégouté mais quand on a trois gosses que voulez-vous que je fasse ? Puis je sais que ma femme souffre alors je la supporte et fais en sorte de ne pas l’irriter. Seulement je n’ai plus le droit de parler à qui que ce soit même pas à mes cousines. Elle me suit partout et assiste à toutes mes entrevues avec mes proches, surtout de la gent féminine. Je souffre parce que je n’ai jamais donné à ma femme matière au doute. Je suis un homme très droit et j’aime ma femme. Je ne vois pas de justificatif à son comportement. Seulement comme je sais qu’elle souffre aussi, je préfère en prendre sur moi et essayer d’éviter ce qui l’irrite. Je n’ai aucun intérêt à augmenter ses souffrances. J’ai essayé de l’orienter vers une aide psychologique. En vain. Elle refuse d’y aller », raconte Salah conscient de la douleur de sa femme. Comme pour le cas de la conjointe de Salah, le manque de confiance en soi est souvent derrière la jalousie excessive. Le jaloux qui doute de son potentiel de séduction, fait n’importe quoi pour attirer l’attention de son conjoint et le faire souffrir de son propre sentiment d’incapacité. Lorsque l’on a suffisamment confiance en soi, on projette en général sa confiance sur l’autre. Ce qui est paradoxal c’est que de nombreux jaloux, en fait des anxieux qui doutent d’eux-même, choisissent des partenaires qui ne supportent pas ce sentiment. D’où le nombre de séparation flagrant en raison de la jalousie. Seulement dans certains cas, la jalousie peut-être un mode de vie librement consenti. La jalousie est un critère positif.

C’est une preuve d’amour et d’intérêt, selon certains couples. La confiance est, donc dans ce cas là, prise pour de l’indifférence.

Nacim, 28 ans, fiancé à Zakia, étudiante : C’est le cas de « Je pense qu’un peu de jalousie dans un couple est tout à fait normale. C’est un sentiment naturel et il est tout a fait normal de l’avoir dans le couple. Je ne parle pas des partenaires qui sont obsédés qui ont le besoin de contrôler et d’être mis au courant des moindres gestes et faits de l’autre. Cela est maladif. Seulement si un homme n’éprouve aucune jalousie envers sa femme c’est vraiment grave. Moi je ne pourrai jamais laisser ma femme discuter avec un homme sans éprouver de gènes. J’en serai malade ».

Kamelia, 26 ans, raconte à son tour. « Jaloux c’est bien et bon signe mais il ne faut pas dépasser les limites. Mon ami m’a zappé tous mes amis, homme et femme. Je ne me suis pas rendu compte du vide qui se faisait autour de moi jusqu’au jour où une amie m’a avoué que mon amoureux interdisait à mes amis de me côtoyer et les menaçait de me le dire. Même s’il était super gentil avec moi et qu’entre-nous nous n’avions aucun problème, je l’ai zappé à mon tour. Je ne veux pas gâcher ma vie avec un homme qui ne me fait pas confiance. C’est tout simple ».

Et la solution ?

S’il existe des pièges qu’on doit impérativement éviter c’est celui par exemple d’essayer de se guérir tout seul et sans aide. Ce n’est pas en se contrôlant au maximum qu’on arrive à sortir de la jalousie obsessive. Quand la jalousie est maladive il n’y a qu’un professionnel pour nous en sortir. On ne parle pas des petites jalousies de couple, plutôt positives pour ce dernier et stimulatrice de l’intérêt que se portent mutuellement les partenaires.

La personne jalouse doit d’abord admettre son état et accepter de se faire aider. Ce qui n’est pas facile dans une société comme la nôtre où le psychologue n’intervient que dans les cas extrêmes. Avant qu’elle ne soit maladive et qu’elle pousse aux extrêmes, la jalousie est vue comme un comportement normal et culturel. Ce n’est que quand l’inévitable survient qu’on concède à voir la dangerosité du phénomène.

Samia A.

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