L’élection présidentielle étant en principe le couronnement d’un contrat social au sens de Rousseau, les éléments de ce contrat en Algérie se trouvent dans leur étape de maturation au vu des grandes épreuves que les populations et les institutions algériennes ont eu à subir depuis l’Indépendance du pays. Ces épreuves ne se sont pas limitées aux défis économiques ou à des crises sociales anodines comme ont eu à les vivre d’autres pays de parcours analogue au nôtre. Dans des moments de tension extrême dont les stigmates ne sont pas près de s’effacer, c’est l’État lui-même qui était menacé dans ces fondements. Le principe même de ‘’l’Algérie, Nation et société’’ cher à feu Mostefa Lacheraf a été traîné dans la fange et promis à un renversement qui ferait du pays de Novembre 1954 un khalifat des temps modernes.
Certes, les données sécuritaires ont changé au profit d’une sérénité plus palpable. Une grande partie du registre où Abdelaziz Bouteflika a puisé son argumentaire pour sa campagne électorale d’avril 2004 pour briguer un second mandat n’a pas été sollicitée pour la campagne qui vient de s’achever, ou si peu. Et pour cause. S’il y a un élément qui doit attirer l’attention dans la campagne électorale qui s’est achevée avant-hier, c’est bien ce dépassement de l’aspect sécuritaire ou de l’argument de la lutte antiterroriste. Certes, il a été fait allusion par-ci par-là aux conditions devant précéder une éventuelle amnistie. Le président-candidat a dit ne pas pouvoir pardonner à la place des victimes ou familles de victimes. Mais, rares les commentateurs qui ont souligné que si l’Algérie se permet ce genre de débats sur la gestion des séquelles du terrorisme, c’est que, sur ce plan, la page paraît tournée et ce sont d’autres thèmes, constituant l’avenir de l’Algérie, qu’il convient d’aborder et de mettre sur la table. Dans une grande mesure, ce fut chose faite avec les interventions des différents acteurs politiques qui ont animé la campagne pendant trois semaines avec, il est vrai, un talent et un pouvoir de persuasion inégaux. Entre les deux extrêmes, à savoir l’idéalisme social trop bruyant de Louisa Hanoune et la pondération trop didactique de Mohamed Saïd Oubelaïd, il y a eu de l’expérience d’homme de d’État de Bouteflika et les récriminations à tout-va de Djahid Youni et de Fawzi Ali Rebaïne. Malgré la caractère archaïque et le souvenir de pronunciamiento déguisé en redressement de la “Déclaration du 19 juin 1965”, celle-ci comporte un passage inspiré des grands idéaux des fondements des États modernes : » Un État qui survive aux événements et aux hommes « . Nonobstant le régime présidentialiste de la Constitution algérienne et la personnalité ombrageuse de Bouteflika, il serait méthodologiquement incorrect et politiquement contre-productif de réduire l’Algérie et ses institutions à la personnalité du président. Ce dernier a grandement contribué à faire regagner à l’Algérie sa place dans le concert des nations et a été l’initiateur de réformes internes dans plusieurs domaines de la vie publique tendant à la réhabilitation de la notion d’État en tant qu’organisation solidaire de la collectivité et en tant qu’espace d’exercice de la souveraineté et de la citoyenneté, ceci au milieu d’une adversité et d’un chaos peu communs. Il n’est pas le seul à en avoir le mérite. Tous les patriotes, civils ou militaires qui se sont mobilisés pour sauver l’État algérien face à la tentation théocratique brandie par l’intégrisme islamiste armé, en portent les honneurs.
La vision nihiliste au rebut
À un autre niveau de réflexion, les difficultés d’impulser la relance sur le plan économique et social ne tirent pas leur origine d’une démarche inadaptée de ces dernières années. La nature rentière et bureaucratique du système de gouvernance algérien remonte loin dans le temps. Le début des années soixante-dix du siècle dernier en dessine les grandes tendances. Avec le président Bouteflika qui prend les commandes du pays en 1999, le plus grand plan de développement du pays depuis l’Indépendance a été mis en place. Il concerne les grandes infrastructures routières, portuaires, les grands barrages hydrauliques. Certes, des insuffisances y ont été constatées venant de certains experts ou même de cercles présidentiels (à l’image de Abdellatif Benachnehou qui a émis des réserves sur le degré de préparation des entreprises algériennes à ce genre d’ouvrages). Il n’en demeure pas moins que tous les observateurs s’accordent sur le caractère structurant de ces projets lesquels, une fois achevés, sont à même d’attirer des investissements créateurs d’emplois et de richesses.
Ceux qui, parmi la classe politique, les médias ou la société civile qui voient en ces projets –en plus des réformes initiées dans d’autres domaines- de véritables rampes pour un développement socioéconomique harmonieux semblent se situer en porte-à-faux par rapport aux attitudes traditionnelles de la classe politique où le nihilisme l’emporte sur une vision sereine et objective. Cette classe—le concept est sans doute un peu présomptueux dans le contexte de la recomposition politique qui est en œuvre en Algérie—se trouve souvent réduite à un oppositionnisme stérile ou à des panégyriques zélés selon la distance qui la sépare des centres de décision et des milieux de la rente. Il serait, dans ce cas de figure, trop ingénu de s’attendre à un état de grâce à une compréhension sereine de cette démarche consistant à positiver des acquis dans un environnement politique délétère, fangeux et nourri à la combine et à la culture du “parti unique dans chaque parti’’. En effet, les organisations politiques issues de l’ouverture démocratique de 1989, outre l’hostilité du milieu où commençait à sourdre la bête immonde de l’islamisme, sont majoritairement frappées du syndrome de Stockholm qui fait que le personnel et les passagers d’un avion détourné finissent par fraterniser avec les preneurs d’otages en les soutenant dans leurs revendications. La culture du parti unique a fait des petits et a sévi sur l’ensemble du pays. Cela a été ressenti d’une façon plus tragique en Kabylie en raison de la déception que les partis ont ‘’réussi’’ à installer dans une région qui avait toutes les potentialités humaines pour concrétiser une devise qui n’a rien d’un slogan creux : la Kabylie, bastion de la démocratie. Il n’échappe à personne que l’émergence des aârchs au lendemain des massacres du Printemps noir est un signe irréfragable de l’échec patent des partis politiques traditionnellement ancrés dans la région, comme il constitue également un signe grave d’un sous-développement politique de l’État algérien qui n’a pas su travailler pour la cohésion et l’intégration nationales. En accompagnant les réformes initiées par le président de la République dans les domaines aussi sensibles que ceux de l’économie, l’école, l’administration et la justice, les citoyens voudraient opter pour une voie pragmatique dans une période cruciale où l’on ne peut pas faire valoir des coquetteries intellectuelles qui nous feraient passer ex nihilo d’une situation de rente et de sous-développement à une modernité politique, sociale et économique.
Les voies du pragmatisme
Il est vrai qu’il n’est pas très ‘’snob’’ de soutenir des projets et des idées venant du ‘’pouvoir’’ ; comme il est aussi, paradoxalement, difficile de faire admettre des idées simples et réalistes dans une conjoncture faite de surenchère et d’anathèmes. Nous sommes, par exemple, franchement surpris par l’obsession développée par certains acteurs politiques – qui distribuent des discours à la carte—de faire de tamazight une langue officielle. Nationale, elle l’est de fait, et pour cela elle n’avait pas besoin de la formalité qui avait solennellement réuni les deux Chambres du Parlement. Au lieu d’exiger que soient mobilisés pour cette langue les moyens de sa promotion (à commencer par les outils les plus populaires comme la télévision et la radio, puis les moyens de recherche comme une académie ou un centre de normalisation et de standardisation), nous nous trouvons face à une revendication qui voudrait se contenter d’un formalisme juridique (officialisation dans la Constitution) sans aucune portée pratique. Les trabendistes de l’arabisation au rabais auraient-ils fait des émules ?
Après tant d’épreuves, de mécomptes et de déceptions, la Kabylie voudra bien (re) baigner dans une ambiance de pratique pluraliste qui fasse table rase des préjugés et des idées inquisitrices. Les temps semblent difficiles. Mais, nécessairement, la recomposition se produira sur des bases plus pragmatiques. L’un des défis de l’élection présidentielle de ce jeudi est qu’elle puisse faire oublier aux Algérien le déficit de représentativité de l’Assemblée populaire nationale élue lors du scrutin du 17 mai 2007. Le taux d’abstention historique ayant caractérisé ce scrutin législatif – au point où des personnalités politiques avaient appelé à l’annulation du vote—n’honore pas le processus démocratique. Le ressaisissement du corps électoral peut signifier une autre façon de faire la politique autrement que par la démission.
Amar Naït Messaoud
iguerifri@yahoo.fr
