Les militants de la cause ont travaillé durement durant ces années de plomb, sous le régime de feu Houari Boumediene, qui traitait la question avec une main de fer. C’était l’époque du panarabisme et de l’islamisme montant dans les pays arabes. En 1977, avec l’ouverture de l’université de Tizi-Ouzou, dont la première pierre fut posée par l’ancien président, qui qualifiait le projet de cancer au pays, au vu de la portée intellectuelle et politique que pouvait donner une université en Kabylie ?
C’était prémonitoire, puisque, en 1980, l’élément détonateur des évènements fut l’interdiction de la conférence de Mammeri, alors directeur du CRAPE à Alger, sur les poèmes kabyles anciens, devant se tenir à l’université de Tizi-Ouzou. C’était les premiers noyaux d’étudiants, qui deviendront par la suite les comités autonomes, qui avaient en charge l’animation culturelle et politique de l’université de Tizi-Ouzou, dont l’organisation de la conférence de Mouloud Mammeri. Se déplaçant d’Alger pour être au rendez-vous, il fut arrêté à Draâ Ben Khedda, lui signifiant que sa conférence risquait de provoquer des troubles. Conduit au siège de la wilaya et reçu par le wali de Tizi-Ouzou d’alors, il lui confirma l’interdiction de la conférence.
Cette mesure répressive d’interdiction, a été la mèche sur la poudrière. Les étudiants et les enseignants de Tizi-Ouzou appuyés par les travailleurs, dénoncèrent cette interdiction et appelèrent à la tenue d’une marche dans les rues de Tizi-Ouzou. La protestation s’élargit dans tous les lycées de la Kabylie, l’université d’Alger et celle de Bab Ezzouar, où un mouvement de solidarité prenait forme et l’organisation de la lutte s’installait et durait dans le temps. La répression et l’investissement des forces de sécurité dans les campus universitaires de Tizi-Ouzou, n’ont fait que rajouter de l’huile sur le feu.
La répression ne s’est pas arrêtée à la violation des franchises universitaires, mais en passant à tabac les étudiants. Les arrestations de tous les organisateurs ont donné de la force et du tonus à la contestation.
24 détenus de Tizi-Ouzou et d’Alger ont été traduits devant la justice pour atteinte à l’unité nationale et à l’ordre public. La solidarité agissante et grandissante a pesé pour que leur libération soit effective en août 80, après quelques mois de détention. Là, l’idée de la tenue du séminaire de Yakouren a surgi afin de rationaliser la contestation et conclure les travaux par un dossier transmis à qui de droit, contenant une batterie de revendications.
La dynamique de contestation a débordé du cadre strictement culturel et pris des contours politiques.
La quasi-totalité des militants de la cause impliqués dans le combat, était structurée politiquement.
Chemin faisant, une décennie durant, l’université de Tizi-Ouzou est devenue le bastion des luttes politiques et démocratiques, et s’est assigné comme mission de parachever le combat identitaire, devenu incontournable aux côtés de la revendication démocratique nationale. Cette lutte sans relâche a débouché sur les évènements d’Octobre 1988, qui a vu et poussé le système à se reformer en abandonnant l’unicisme politique du FLN, au bénéfice d’une ouverture politique, timide soit-elle.
La Constitution de 1989 a permis dans son article 40, les libertés d’associations, ce qui a abouti à la création de partis politique. Tous les sacrifices consentis pour la cause identitaire, ont finit tant bien que mal, par enregistrer des acquis. La langue amazighe est reconnue constitutionnellement langue nationale, bénéficiant aussi, ces derniers temps, de la création d’une académie berbère, de radios locales en kabyle, d’une chaîne de télévision berbère, ce qui était chimérique quelques années auparavant.
L’Etat élgérien a fini par reconnaître la justesse du combat mené tambour battant par les militants connus et anonymes, reste pour les promoteurs, à voir un effort permanent pour la production scientifique et qualitative, condition sine qua non pour contrer l’influence culturelle étrangère, à l’ère du numérique et de l’internet. Si à un moment donné, cette question identitaire a connu des défenseurs sincères, il n’en demeure pas moins qu’elle a constitué un fonds de commerce à certains cercles politiques, qui se sont servis beaucoup et l’ont peu servie.
L’heure est aux spécialistes en la matière de la gérer et de la travailler, maintenant qu’elle est a affranchie.
L’identité rebelle de la Kabylie, depuis l’insurrection d’El Mokrani, en passant par Cheikh Ahedaah (Zaouia Rahmania), Lala Fathma N’Soumer, jusqu’au mouvement national moderne de 1926, est toujours intacte et parfois en avance au reste du pays. La Kabylie s’est toujours prononcée et positionnée sur des questions stratégiques de l’Etat-Nation, comme en témoigne la décennie noire du terrorisme, où les poches de résistance sont nées en Kabylie. Vient 2001, la révolte des jeunes de Kabylie en mettant en avant une revendication citoyenne portée par les ârchs, suite à la bévue commise à la brigade de gendarmerie de Beni Douala et qui a coûté la vie au jeune lycéen de la localité, Massinissa Guermah, entré désormais dans les annales de l’histoire.
La Kabylie s’est rebellée des années durant, en payant un lourd tribut : des arrestations des délégués, une répression féroce et pas moins de 126 jeunes assassinés par les gendarmes. Une grande confusion s’en est suivie dans la région. Aucun développement ne suit, au contraire une récession économique, générant tous les fléaux possibles et imaginables. Le dialogue a fini par avoir lieu, suite aux concessions faites de part et d’autres, après une gestion politicienne de la crise orchestrée par des cercles, partisans du pourrissement. Cela a donné un accord global sur la plateforme d’El Kseur contenant fondamentalement 15 points. L’accord en question a été partiellement respecté pendant que les luttes fratricides et intestines ont miné la structure des ârchs jusqu’à l’affaiblir considérablement. Si aujourd’hui les populations de Kabylie, témoins et acteurs des développement politiques de la région, ont fini par ouvrir une nouvelle page, c’est pour avoir sa part de développement dans la dignité et sans reniements. Ce sont juste les approches et les méthodes qui ont changé afin de mieux participer à l’effort national, qui sécurise la région sur ce qu’elle a de plus fondamental : le développement.
Khaled Zahem