“La Kabylie reprendra son souffle”

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La Dépêche de Kabylie : La Kabylie commémore deux évènements historiques, les Printemps berbère et noir, qu’avez-vous à dire à l’occasion ?

Belaïd Abrika : La commémoration se fait dans la douleur et au même temps dans l’espoir. Dans la douleur parce que les assassins des 126 martyrs ne sont pas encore jugés et tamazight n’occupe toujours pas la place qui lui revient de droit dans son espace naturel. Dans l’espoir, car la prise de conscience ne cesse de s’élargir pour bâtir des espaces de droit et de justice. Le choix de la population est fait, c’est celui de de vivre dignement et librement dans une Algérie amazighe, plurielle et ouverte sur l’universalité.

La commémoration, remarque-t-on, ne suscite pas autant d’engouement et de mobilisation qu’auparavant, êtes-vous de cet avis ?

Nous sommes passés par des moments de grande mobilisations, je citerai notamment la période 2001 – 2005 qui est l’équivalent d’une cinquantaine d’années de mobilisation. La Kabylie reprendra son souffle et reconnaîtra les siens, même si on sait que les journées de célébration du double anniversaire constituent un moment de bilan et un regard sur ce qu’a été réalisé, mais surtout sur les manquements pour faire avancer cette question qui est la clé de la crise qu’à vécue l’Algérie.

Justement bilan faisant, qu’en est-il des acquis de la question amazighe après tant d’années de combat ?

D’abord, il y a lieu de dire que la question amazighe ne constitue plus un tabou, bien au contraire les détracteurs d’hier ont compris qu’elle est incontournable. Ceux-ci cherchent d’ailleurs à la récupérer et à l’exploiter pour d’autres objectifs. Tamazight ne doit pas servir de moyens d’islamisation ou d’évaluation des Imazighens comme il est le cas aujourd’hui avec la chaîne de télévision amazighe arrachée par un combat générationnel et ensuite dans le programme de la promotion de la langue amazighe dans le cadre du dialogue gouvernement-ârch. Tamazight doit servir à renouer les peuples de Tamazgha avec leur authenticité dans la diversité ouverte sur la modernité et l’universialité. La revendication amazighe est progressiste, elle ne saurait guère cohabiter avec l’esprit rétrograde des tenants de l’idéologie islamo-bâathiste. Les tenants du régime totalitaire ont utilisé cette cause noble et juste comme carte électorale.

La chaîne de télévision amazighe devait être lancée en 2006. Je dois signaler que deux décréts portant création de l’académie la langue amazighe et du conseil supérieur de de langue et culture amazighes, ainsi que Yennayer qui devrait être journée de fête chômée et payée ont été bloqués au niveau de la présidence de la République. Désolé, tamazight ne s’accorde pas avec le double langage, on ne peut pas être le matin Amazigh, à midi Musulman et le soir Arabe. Celui qui s’affirme Amazigh et qui est au pouvoir devrait d’abord commencer par la réparation de cette injustice historique vis-à-vis de cette cause et ce en constitutionalisant l’identité amazighe du peuple algérien, en l’inscrivant aussi dans son espace territorial de l’Afrique du Nord, en consacrant tamazight langue officielle et en mettant en place une politique linguistique adéquate. Il faudra également la doter de tous les moyens, des moyens similaires ou plus à ceux accordés à la langue arabe depuis l’indépendance. L’épanouissement de tamazight nécessite à la fois et en premier lieu d’abord une volonté politique et une conviction des responsables à la tête des institutions algériennes. Nous sommes capables de réaliser des miracles et de rivaliser avec des puissances mondialement connues en redevenant nous-mêmes.

Revenons au mouvement des ârchs, ne trouvez-vous pas que celui-ci s’essouffle de plus en plus…

Le régime actuel n’a pas lésiné sur les moyens pour briser la dynamique citoyenne en usant de l’intox, de la manipulation, de la manigance et en actionnant ses relais, ses services et ses serviteurs de toujours dans le but de dresser les uns contre les autres. C’est la politique de diviser pour mieux régner. L’affaiblissement du mouvement citoyen et de la classe politique en général constitue une régression de l’Algérie car le renforcement de la hogra, de l’injustice de l’impunité, des inégalités, la clochardisation la paupérisation de la société, l’exclusion sociale, le déni identitaire, l’absence du droit à l’organisation, la censure, le monopole des médias lourds, la fermeture des champs médiatiques, l’opacité dans la gestion, les détournements, la corruption… constituent des signes palpables d’une éventuelle implosion sociale. C’est la loi de la nature. Plus il y a de la pression, plus l’implosion, sera plus grave. Alors dire pour revenir à votre question, que le mouvement citoyen s’est essoufflé est un leurre, nous sommes traversés par une crise et un conflit interne dûs à de divergence d’approche et de vision et au même temps nous avons survécu seuls face aux détracteurs multiples. Il ne faut pas avoir la mémoire courte. Cela fait huit ans depuis le déclenchement des évènements du Printemps noir.

Nous sommes restés sur la même trajectoire dictée par la rue et reprise dans la plate-forme d’El Kseur. Pensez-vous que face aux affres, aux crimes, aux emprisonnements, à l’intox et à l’invective, un autre mouvement pacifique et démocratique sans moyens pourrait tenir aussi longtemps dans le monde, les mouvements sociaux similaires au notre durent en moyenne deux ans. Nous, nous avons choisi dès le départ de résister en nous inscrivant dans la durée, connaissant parfaitement la nature du régime et ses attitudes et comportements caméléons. C’est un lourds fardeau dont nous avons hérité celui du mouvement national, des prisonniers de la révolution, de Abane Ramdane, du congrés de la Soummam des martyrs, de l’idéal démocratique de 1963, celui de l’opposition démocratique de l’académie berbère, des soulèvements de 1980 et 1988 de l’assassinat de Matoub et des crimes d’Etat impunis du Printemps noir. Nous n’avons jamais baissé les bras. Nous n’abdiquans pas, on continuera sur la voie tracée par nos aînés, que les générations futures reperdront par l’édification d’une Kabylie, d’une Algérie et de Tamazgha libre et démocratique.

On vous laisse conclure…

Je disais Ulach Smah Ulach, le combat continue.

Entretien réalisé par M. O. Benmokhtar

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