Outre les lois et règlements qui régissent les secteurs de l’environnement, des forêts et de l’urbanisme, le gouvernement algérien a promulgué il y a deux ans une loi spécifique aux espaces verts sous la référence n°07-06 datée du 13 mai 2007. Il faut dire que cette loi relative à la gestion, protection et développement des espaces verts, n’a pas bénéficié jusqu ce jour d’une vulgarisation – institutionnelle, scolaire ou autre – à la hauteur des enjeux qu’elle charrie.
Et pourtant, dans le contexte de l’urbanisation forcenée et d’anarchie architecturale ayant caractérisé les paysages citadin et rural d’Algérie, cette loi constitue, de par les orientations qu’elle prodigue, le cadre réglementaire qu’elle instaure et les sanctions qu’elle prévoit, une mini-révolution en matière de cadre de vie des citoyens.
Pour étudier les modalités d’application de cette loi et définir clairement les parties intervenantes et les missions respectives qu’elles sont censé assumer, des ateliers ont été organisés au cours de l’année 2007 par le ministère de l’Aménagement du territoire, de l’Environnement et du Tourisme au profit de plusieurs wilayas. Les parties ayant participé à ces ateliers sont celles intervenant directement dans la gestion des espaces urbains de nos villes : les présidents d’APC ou les secrétaires généraux de mairies, les chefs de daïra, les directeurs de l’urbanisme, des travaux publics, de la planification, des domaines et des forêts.
Il n’est un secret pour personne que le patrimoine ‘’espace vert’’ s’est réduit en peau de chagrin depuis l’indépendance du pays. Les bouleversement vécus par les quartiers urbains, les centres-ville, et les banlieues suite à l’exode rural massif ayant accompagné la politique d’industrialisation ont valu au cadre de vie des revirements et des régressions dommageables pour l’ensemble des habitants. Les arbres d’alignement, les arbustes d’ornement et les frondaisons d’embellissement ont subi des coupes réglées au fur et à mesure que se construisaient les cités, s’édifiaient les bidonvilles et s’ouvraient les routes.
Normes de verdure et anomie sociale
Si, à l’échelle internationale, la norme en matière d’espace vert est fixée à 10 mètres carrés par habitant, en Algérie ce chiffre se réduit au dixième, c’est-à-dire : m2. L’avancée du béton, après avoir ‘’bouffé’’ des centaines d’hectares de meilleures terres agricoles au niveau de la Mitidja Ouest (Blida, Boufarik, El Affroun), a étendu ses griffes à la Mitidja Est particulièrement après la création de la wilaya de Bourmerdès en 1984. Partout à l’intérieur du pays, l’Algérie a hérité de la colonisation des jardins publics qui embellissent parfois des espaces semi-arides (Sidi Bel Abbès) et même arides (le fameux jardin de Biskra célébré par le romancier André Gide) ; cela, pour ne rien dire de la Ville des Roses, du Jardin du Hamma ou de la Coquette Annaba.
En tant que pays en développement disposant d’une rente pétrolière conséquente, l’Algérie, avec un volontarisme et un populisme effrénés, avait investi dans la construction industrielle et l’urbanisation à telle enseigne que le visage du pays – panorama rural, tissu urbain, rythme de vie – se trouve complètement chamboulé au bout de trois décennies.
Des anciens petits villages coloniaux, situés généralement au milieu de vignobles ou de vergers d’agrumes, se sont vus pousser des excroissances anarchiques le long des routes et des pistes pendant les années soixante donnant lieu à des quartiers longilignes sans aucune esthétique et sans les infrastructures et équipements nécessaires qui en feraient des cadres de vie décents. Ce sont souvent des opérations menées à la hâte suite à une pression sociale grandissante qui ne vient pas de la simple démographie galopante des années 1960 et 1970, mais surtout de la grande mobilité de la main-d’œuvre algérienne se caractérisant par un exode rural massif.
Le dépeuplement des campagnes était une conséquence directe du désintérêt des pouvoirs publics pour l’arrière-pays qui avait payé le prix fort pour l’Indépendance et de la politique d’industrialisation qui avait ciblé les banlieues des grandes villes (Oran, Alger, Annaba). Les flux de nouveaux migrants issus des montagnes du Tell et des Hauts-Plateaux ont fini par constituer des ceintures de misère autour des cités industrielles de Rouiba, El Hadjar, Arzew ; ceintures qui prendront les aspects de bidonvilles que les Algériens ne connaissent que trop.
Citadinité mal assumée
Le problème ne s’est pas limité aux grandes agglomérations. Des villes de dimension moyenne ont accueilli pendant quatre décennies les paysans déracinés qui ont abandonné leurs hameaux, leurs terres et leurs traditions d’authenticité campagnarde pour s’offrir, à leur corps défendant, comme candidats à une citadinité chimérique. Il faut dire aussi que la révolution algérienne avait alimenté des rêves de ce genre : s’installer en ville équivalait à prendre la place enviée et convoitée du colon ; c’est un standing qui charrie des fantasmes de ‘’modernité’’ et de pouvoir.
Le nouvel État algérien n’avait rien fait pour relativiser cette vision et offrir des conditions de stabilité aux populations des campagnes.
Au contraire, sa propension à davantage de centralisation et de déploiement sur les grandes villes du pays a, en quelque sorte justifié l’afflux des ruraux vers la ville. Et ce n’est pas le slogan creux de ‘’l’équilibre régional’’ en vogue pendant les années 1970 qui aurait pu endiguer un tel phénomène
Les corollaires de l’exode rural sont perceptibles d’une manière dramatique à deux niveaux : d’abord sur les lieux d’arrivée, les villes, où de nouveaux besoins apparaissent : l’école pour les enfants, de nouvelles structures sanitaires pour les nouvelles populations et, surtout des logements supplémentaires pour les abriter et pour éradiquer les bidonvilles qui ternissent l’image de la ville et du pays. Ces besoins ne s’arrêtent pas là, puisque d’autres candidats, inspirés et enhardis par leurs devanciers, vont taper à la porte de la ville en suivant le même itinéraire. Ceux d’entre eux qui n’auront pas réussi à ‘’pendre leur crémaillère’’ dans des immeubles décents servis par l’État, trouveront mille astuces pour s’accrocher aux falaises de Z’ghara et de Sidi M’sid ou pour investir les berges de l’Oued Aïssi et du Rhumel en attendant qu’un jour les pouvoirs publics se penchent sur leur cas si, toutefois, d’ici là, une inondation ou un séisme ne viennent pas hâter les choses.
Aucune espèce de citadinité n’a préparé les nouveaux locataires de la villes à entretenir, à développer ou créer des espaces verts. Au contraire, des jardins publics, où gazouillaient les oiseaux et pleuvaient les ombres épaisses des platanes n’ont pas tardé, dans certaines villes, à se transformer en habitations illicites ou en commerces informels. Les collectivités locales, censées défendre ce patrimoine et le développer, n’ont pas toujours les instruments réglementaires ni les ressources nécessaire pour une telle entreprise. Le civisme des citoyens non plus n’a pas été au rendez-vous. Les programmes scolaires et le contenu des médias n’ont pas fourni d’efforts particuliers pour sensibiliser la jeunesse à l’intérêt et à l’importance du couvert végétal en général et des espaces verts urbains et périurbains en particulier.
L’espace retourné
De même, des dizaines de kilomètres d’arbres d’alignement (eucalyptus, platane, frêne, orme,…) ornant les bordures de nos routes nationales et départementales ont carrément été éliminés suite à des travaux d’aménagement ou même par des mains criminelles faisant partie des réseaux mafieux de revente illicite de bois.
Deuxièmement, sur les lieux d’origine où des douars entiers, suite à leur abandon, sont devenus de nouvelles friches ; ils se sont en quelque sorte “ensauvagés”: pistes détériorées, maisons en ruine, vergers desséchés,… Comme si cela ne suffisait pas, la dernière décennie du vingtième siècle a mis sens dessus dessous le capharnaüm algérien suite à la subversion islamiste – dont l’ascension idéologique et messianique doivent beaucoup au déracinement de la société algérienne ayant subi l’exode rural- et les problèmes sociaux s’en trouvent amplifiés.
Il en résulte que la demande en logement va crescendo et épouse une courbe exponentielle sans fin. En outre, le déséquilibre de la répartition démographique caractérisant le territoire national – la zone côtière se trouve surchargée par rapport aux Hauts Plateaux et au sud du pays – ajouté à la consommation effrénée des terres agricoles pour les besoins du béton, font peser, à moyen terme, un lourd danger au cadre général de vie des Algériens et à l’environnement immédiat, déjà bien mis à mal par toutes sortes de pollutions et de ‘’rurbanisations’’.
Au lieu que les autorités et les techniciens algériens consacrent leurs efforts à la réflexion sur un meilleur cadre de vie en améliorant la qualité du bâti, l’architecture des immeubles et l’embellissement des espaces secondaires de nos cités par un verdissement croissant, ils se voient réduits à faire de sempiternels calculs en millions d’unités d’habitation à délivrer à des dizaines de millions de demandeurs. Et c’est un cycle infernal qui ne pourra être jugulé que par une vision globale, rationnelle et cohérente de l’économie et de l’environnement.
La planification urbaine et l’espace vert
Dans l’accumulation des lois et règlements relatifs à l’urbanisme, à l’architecture et à la construction, il est difficile de positionner la valeur et l’importance des espaces verts. Il est surtout quasi impossible d’y trouver des clauses strictes et coercitives qui feraient des espaces verts une préoccupation des institutions chargées de l’urbanisme et de la politique de la ville ou une donnée incontournable de la vie dans la Cité. Le ministère de l’Aménagement du territoire, de l’Environnement et du Tourisme a conçu au cours des dernières années un ‘’Central Park’’ à Dély Brahim qui va contribuer à réactiver l’ancien projet de la ceinture verte d’Alger. Mais un besoin réel en matière d’espaces verts sur l’ensemble du territoire national a fait que ce même département ministériel a milité pour une législation globale.
La loi du 13 mai 2007 comble un vide conceptuel et juridique dans la gestion de nos espaces urbains. Dorénavant, cette loi accompagnera et encadrera l’acte de construction qu’auront accompli les pouvoirs publics ou même les particuliers. Dans ses dispositions générales, la nouvelle loi définit les objectifs de la gestion, de la protection et du développement des espaces verts en ces termes : « améliorer le cadre de vie urbain ; entretenir et améliorer les qualités des espaces verts urbains existants ; promouvoir l’extension des espaces verts par rapport aux espaces bâtis ; et de faire de l’introduction des espaces verts, dans tout projet de construction, une obligation prise en charge par les études urbanistiques et architecturales publiques et privées ». Dans le corps de l’article 3 de la loi, sont définis les espaces d’intervention inhérents au jardin botanique, jardin collectif, jardin ornemental, jardin résidentiel et jardin particulier. À ces entités strictement urbaines, s’ajoutent les forêts urbaines (bosquets, groupes d’arbres, ceintures vertes) et les alignements boisés (formations arborées situées le long des routes et autoroutes).
Les deux instruments de gestion des espaces verts prévus par la nouvelle loi sont le classement officiel de l’aire à déclarer comme étant un espace vert et, ensuite, l’établissement des plans de gestion de ces mêmes espaces. La nouvelle législation prévoit aussi que le déclassement d’un espace vert-pour une utilité publique avérée et incompressible-ne peut avoir lieu que par décret.
En matière de construction dans la proximité immédiate d’un espace vert, l’article 15 précise » toute construction ou infrastructure devant être implantée inférieure à 100 mètres des limites d’un espace vert est interdite « . Dans le même esprit, l’article 16 stipule que » toute demande de permis de construire est refusée si le maintien des espaces verts n’est pas assuré ou si la réalisation du projet entraîne la destruction du couvert végétal « .
Mieux encore, la loi sur les espaces verts astreint les bureaux d’études en architecture et urbanisme à intégrer cette donne dans leurs plans de construction : » Toute production architecturale et/ou urbanistique doit intégrer et prendre en charge la nécessité des espaces verts selon les normes et objectifs fixés par la présente loi « . Les alinéas de l’article 29 font état des critères à prendre en compte dans la création d’espaces verts (caractère su site, angles de vue, ressources de terrain, espèces végétales de la région, patrimoine architectural de la zone, servitudes et contraintes liées à la mitoyenneté, au régime des eaux, au droit de passage, au bornages, aux aliments de voirie,…).
Enfin, un prix national de la ville verte est institué par ladite loi.
Les dispositions pénales de la loi sur les espaces vertes sont portées par 7 articles dont l’un précise qu’ » est puni d’un emprisonnement de 3 à 6 mois et d’amende de 20 000 à 50 000 dinars quiconque se responsable de la dégradation des espaces verts et d’arrachage de jeunes plants « . Quant à ceux qui seraient tentés de détruire un espace vert ou qui auront l’intention de s’emparer des lieux ou de les affecter à une quel conque autre activité, la nouvelle loi leur réserve une peine d’emprisonnement de 6 à 18 mois et une amende allant de 50 000 à 1 million de dinars.
En procédant à la vulgarisation maximale au niveau des autorités locales des wilayas de la nouvelle loi sur les espaces verts, le ministère de l’Environnement compte passer à la phase d’exécution de son contenu avec le maximum d’atouts. Car, par le passé, des dizaines de lois et décrets liés à la ville, à l’aménagement du territoire, à l’urbanisme et à la construction sont restées lettre morte. Qu’en sera-t-il de la loi sur les espaces verts ?
Une autoroute verte
L’Agence nationale des autoroutes (ANA), doté du statut d’EPIC (établissement public à caractère industriel et commercial) et qui assure le lancement des études et le suivi des réalisations relatives aux autoroutes, compte intégrer les nouvelles infrastructures routières dans l’approche moderne qui a cours à travers le monde, approche soucieuse des données environnementales et esthétiques des ouvrages.
C’est dans ce contexte qu’une programme de verdissage a été tracé par cet organisme public en suscitant la formation d’un Comité de pilotage constitué des cadres de l’ANA et de la Direction générale des forêts, institution sous tutelle du ministère de l’Agriculture. En sollicitant cette institution, l’Agence nationale des autoroutes attend de ses structures déconcentrées à travers les wilayas traversées par l’autoroute Est-Ouest une précieuse contribution pour la définition d’un schéma de ce qui est désormais appelé l’ ’’Autoroute verte’’, longue de 1216 kilomètres allant de la frontière marocaine à la frontière tunisienne. On se souvient de la vive polémique suscitée par le tracé initial de l’itinéraire de l’autoroute qui devait passer par le Parc national d’El Kala. Une levée de boucliers, immédiatement relayée par la presse, a eu lieu, opposant les amoureux de la nature et particulièrement les défenseurs de cette réserve de la biosphère protégée par la législation nationale et les textes internationaux aux autorités du ministère des Travaux publics. La polémique qui a éclaté entre deux institutions (le Parc d’El Kala et le ministère des Travaux publics) ayant été portée sur la place publique, les responsables-concepteurs de l’autoroute ont fini par admettre la nécessité de passer à la révision de leur copie.
C’est ainsi qu’Amar Ghoul, ministre des Travaux publics, décida l’installation d’un ‘’observatoire de suivi et de contrôle pour la mise en œuvre des mesures environnementales préconisées par l’étude d’impact’’, l’élargissement de la consultation, via l’Agence nationale des autoroutes, à l’ensemble des universitaires, experts, associations nationales ainsi que tous les partenaires du ministère, l’ajournement de la réalisation des 15 km situés à l’intérieur du périmètre du parc d’El Kala et la création d’une commission de coordination entre les trois ministères concernés (Travaux publics, Agriculture et Environnement) qui “s’attellera à des consultations permanentes ainsi que des rapports périodiques quant à la réalisation du projet’’. L’étude d’impact à laquelle le ministre fait allusion a été réalisée par un bureau d’étude étranger en janvier 2007 et a été validée par le bureau d’assistance canadien Dessau Soprane et ‘’discutée par les cadres de l’ANA ainsi que ceux des autres secteurs’’, selon les propos du Amar Ghoul.
Le ministre des Travaux publics soutient que » tout tracé doit répondre à des paramètres précis : la fonctionnalité de l’ouvrage, la rentabilité, la création de l’emploi et de la richesse, la valorisation des richesses locales, la promotion du tourisme et de l’artisanat local, le désenclavement des régions … Enfin, l’autoroute est une réelle locomotive de développement. Tous ces paramètres sont étudiés dans le cadre d’une analyse multicritères. Le tracé des 15 km à l’intérieur du parc d’El Kala prend en charge cette analyse avec tous ces critères intégrant parfaitement le volet environnement et écologie non seulement dans un cadre de préservation, mais aussi dans celui de la promotion. C’est pour cette raison qu’il est justement prévu que les régions qui sont arides soient boisées. Et c’est la raison pour laquelle nous avons appelé cette autoroute, l’autoroute verte « .
Ainsi, la faune, la flore, les eaux et le site sont pris en charge, d’après le membre du gouvernement, en harmonie avec les communes à l’intérieur du Parc. Des passages pour les animaux, des murs anti-bruit, des bassins, des systèmes de sécurité pour les automobilistes, des système de protection contre les incendies seront installés. Le projet de l’autoroute verte est censé préserver et promouvoir l’environnement. Les surfaces incultes seront récupérées et boisées dans le cadre du couloir de l’autoroute.
Amar Naït Messaoud