Mouloud Habib, au-delà de la nostalgie

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Il a fait ses premières classes dans l’émission enfantine, un véritable paradis des enfants de la radio Chaîne II créée immédiatement après l’indépendance. Déjà, il interprétait des chansons destinées aux enfants de son âge autour desquelles s’animait l’ambiance familiale. L’effet de l’indépendance aidant, Mouloud chantera son célèbre champ patriotique «nekk i d amjahed amectuuh» (je suis le petit soldat) comme pour rappeler que sa Kabylie, rapidement et souvent volontairement oubliée pour sa forte participation dans la lutte de libération nationale, fut un grand champ de bataille, un des hauts lieux de la terrible guerre anti-coloniale. Son chant draina une incroyable écoute et un intérêt particulier y compris auprès des grandes personnes. Il sera plusieurs fois repris en chœur dans des chorales des écoles, des collèges et des lycées organisées à Alger, Tizi Ouzou, Bgayet et Bouira. Mouloud Habib grandira alors dans le monde de l’art musical au sein de la radio. Il enregistrera un riche répertoire composé de très belles chansons, souvent sous la direction du célèbre compositeur Kamal Hamadi dans les années 70 avec notamment son tube de l’époque : «Aldjiya». Dans un contexte d’ostracisme des plus périlleux, il prendra le risque de rendre un hommage inouï à Slimane Azem en le citant dans sa chanson «tajmaât». Pourtant, la seule évocation du nom de Sliman Azem, le père de la chanson politique kabyle, était alors passible d’interpellation, de radiation professionnelle ou même d’emprisonnement pendant que ses chansons engagées étaient sournoisement interdites d’antenne sur l’ensemble des radios nationales. Une curieuse interdiction autour de laquelle se débattent encore le formel et l’informel d’une décision arbitraire que personne ne veut, ne peut assumer aujourd’hui ni même clarifier. Mouloud Habib défiera alors la peur et affrontera l’interdit. Cet hommage glorifie la place publique et le rôle social qu’elle joue dans la cité kabyle. C’est en effet à Tajmaât qu’on apprend à rentrer dans le monde de la communication et où certainement Slimane Azem a fait ses premières classes. Cette chanson reste inscrite en lettres d’or dans les anales du patrimoine artistique kabyle contestataire. La carapace de la force de l’interdit venait de se craqueler.

Mouloud Habib fait partie de cette génération charnière de jeunes chanteurs kabyles à l’image de Atmani, Ait Meslayen, Slimani qui ont construit le pont entre le genre ancien et le genre moderne naissant. Nous leurs sommes reconnaissants d’avoir assuré, dans une ambiance politique très contraignante, la précieuse continuité de vie et de vivacité à la chanson kabyle à travers l’unique et fragile canal de la chaîne deux. Son penchant au genre amusant est presque passé inaperçu. Et pourtant ! Mouloud nous gratifiera aussi d’agréables chantefables. Il mettra prématurément fin à sa carrière pour ne remonter sur scène que très rarement. Peu connu du jeune public d’aujourd’hui, tout en souhaitant que Mouloud Habib reprenne la rediffusion de son répertoire à travers les moyens modernes actuels tel le CD. Un retour qui ne manquera pas de surprendre agréablement.

Abdennour Abdesselam

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