Du fait que les interventions des députés ne sont pas sériées ou classées selon les thèmes, une impression de mini-programmes par wilaya de représentation s’est dégagée tout au long de ces débats. La justification de cette manière de faire ‘’exhibition’’ des propositions et autres observations des députés a été amplifiée par l’effet de la transmission en direct permise par la télévision nationale. Le sujet qui aura probablement plus d’occurrence et qui aura retenu le mieux l’attention des citoyens est cet appel plusieurs fois réitéré de permettre aux députés de suivre et de contrôler l’argent public.
Ainsi, d’après l’APS, c’est la majorité des représentants de l’Assemblée nationale qui a appelé mardi au renforcement du rôle du Parlement dans le contrôle des dépenses publiques notamment dans le cadre des lois de finances et des budgets annuels. Les députés, qui intervenaient lors d’un débat sur le plan d’action du gouvernement pour l’application du programme du président de la République, présenté mardi matin par le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, ont demandé la présentation rapide de la loi organique relative aux lois de finances pour qu’elle soit débattue et approuvée par l’APN estimant que l’application de ce cadre juridique va permettre au Parlement de jouer un rôle plus important dans la vie économique du pays et d’assurer plus de transparence dans les dépenses publiques octroyées à chaque secteur.
Les députés se sont également interrogés, ajoute l’agence de presse, sur ce projet de texte qui tarde a être présenté devant le Parlement par le ministère des Finances alors qu’il a été déjà approuvé par le gouvernement depuis des mois.
En tout cas, la gestion des deniers publics et son pendant presque obligé, la corruption, ne cessent de s’imposer sur la scène politique nationale et dans l’approche que les observateurs extérieurs (organismes financiers, assureurs des investissements et commerce internationaux,…) se font de l’Algérie. C’est souvent par le sujet de la corruption, qui accompagne presque toujours –du moins dans l’opinion publique et les médias qui raffolent de telles pistes d’investigation– que s’appréhendent le mieux la gestion de l’argent public, la marche des services que ce dernier alimente et le degré d’implication des populations et de la société civile dans la gestion de leurs propres affaires.
La gangrène de la corruption
L’opinion publique nationale et des organisations internationales ont eu à constater et à déplorer un grave phénomène qui a pris racine dans les structures et les institutions du pays ; une dérive dont la société tout entière continue de souffrir et dont les conséquences n’ont jamais fait l’objet d’un inventaire ou quelconque bilan, hormis l’affirmation peu sûre qui, à la fin des années 1980, était lancée par l’ancien Premier ministre Abdelhamid Brahimi et qui faisait état d’un chiffre de 26 milliards de dollars comme résultat de la corruption et des différentes commissions qui seraient faites sur les transactions du commerce extérieur.
L’organisation non gouvernementale “Transparency International (TI)” s’inquiétait, dans un rapport établi en 2008, des ravages de la corruption et classe Algérie à la 99e place sur un panel de 180 pays. Des enquêtes ont même été menées auprès de certaines entreprises privées algériennes qui déclarent n’avoir obtenu des marchés publics qu’après versement de pots-de-vin à des responsables de l’administration. La Banque mondiale, elle, met notre pays à la 125e place sur un ensemble de 178 pays étudiés sur le plan du climat des affaires. La relation entre ces deux phénomènes demeure des plus logiques: climat des affaires alourdi et peu transparent, élisant domicile dans une crasse de bureaucratie qui tend à faire écran aux investissements, d’une part, et de corruption de certains gestionnaires ou responsables administratifs, d’autre part.
Vers un ‘’audit’’ législatif
Pour ce qui est du contrôle des dépenses budgétaires de la nation par les députés, l’appel sorti des travées de l’Assemblée est le second en l’espace de trois années. En effet, les représentants du peuple ont eu déjà à déplorer le fait qu’il n’aient pas accès à un suivi des dépenses du budget de la nation. Ce suivi suppose la vérification de l’opportunité de la dépense et le contrôle de son engagement réel. C’était au cours d’une séance consacrée à la loi de finances de l’année 2008, Les représentants du peuple jugent qu’il ne faut pas se contenter de voter le budget sous le décor douillet de l’hémicycle Zighoud Youcef, mais qu’il faudrait suivre l’usage qui est fait de cet argent et les résultats obtenus.
L’idée de contrôle de l’argent public est, avouons-le, d’un incontestable intérêt pour la bonne marche de l’économie du pays. L’occasion est surtout fort appropriée après le cauchemar El Khalifa Bank dont les audiences –qui n’ont certainement pas révélé la totalité des méfaits– ont tenu en haleine la population pendant le premier trimestre 2007. Car, l’écrasant montant de l’argent dilapidé ou détourné dans des agences de Khalifa se trouve être celui de l’argent public : caisses sociales, caisses d’assurance, œuvres sociales et autres fonds publics lesquels, par maladresse ou par malveillance, ont été déposés à la hâte par des agents de l’État dans cette nouvelle banque privée sans s’entourer de garanties particulières. Les députés de l’APN auraient pu s’auto-saisir à temps pour se pencher sur cette mésaventure avant que l’irréparable ne fût commis. Car il s’agit bien de suivre et de contrôler, comme ils le revendiquent, l’utilisation de l’argent de la collectivité. Il n’en fut pas ainsi. Et aucune démarche allant dans ce sens n’était esquissée au sein de l’auguste Assemblée à l’époque, ne serait-ce que pour sauver les apparences.
Ce vœu de suivre et de contrôler l’argent public avait été exprimé pourtant par les anciens députés en 2006. Si cette volonté peut se targuer d’avoir été exprimée à haute voix, les modalités pratiques qui pourraient imprimer efficacité et crédibilité à ce projet n’ont jamais été fixées. C’est pourquoi un député de Tissemsilt s’est attardé sur la nécessité de faire voter la loi organique relative aux lois de finances ; un texte qui, souligne-t-on, est déjà passé devant le Conseil des ministres depuis plusieurs mois.
Avec les réformes budgétaires initiées par le ministère des Finances tendant à élever aux standards internationaux les techniques comptables (normes IFRS applicables dès le 1er janvier 2010) et à remanier profondément le système d’élaboration de la loi de finances annuelle (en lui assignant des objectifs par projets), le contrôle de la gestion de l’argent public devrait emprunter des voies nouvelles qui ne se contenteraient pas de ce qui est jusqu’ici connu sous le vocable de la ‘’sincérité des comptes’’. Il s’agit d’aller au-delà et de vérifier sur le terrain la réalisation ou non des objectifs programmés et de faire des propositions tendant à corriger le tir le cas échéant.
Aussi, souhaiter, pour les députés, avoir un droit de regard sur la dépense de l’argent public, c’est inévitablement s’investir dans la compréhension des grands enjeux économiques et sociaux du pays et dans l’établissement du véritable diagnostic des problèmes des Algériens. Outre les dépenses, il y a lieu également de se préoccuper des recettes. À ce sujet, la régularité du recouvrement des impôts et la chasse à l’économie informelle qui génère une grave évasion fiscale sont censés être des axes stratégiques d’investigation. Au niveau de la base de la pyramide institutionnelle, à savoir la commune, tout semble dépendre du nouveau Code communal dont une mouture est en instance depuis longtemps au département de l’Intérieur. Destinée à être soumise au débat parlementaire, cette mouture a été évoquée par Ahmed Ouyahia lors de son discours devant l’APN en rappelant que, au même titre que la nouvelle division du territoire élaborée par les services de M. Zerhouni, les codes de la commune et de la wilaya seront réaménagés au cours du quinquennat qui commence cette année. Il y a lieu de souligner également les vertus d’un nouveau découpage administratif dans le mode de gestion des deniers publics du fait qu’un maximum de décentralisation charrie avec lui le moins d’opacité possible dans ce domaine. C’est une relation dialectique dans laquelle se trouvent mêlées les questions de l’opportunité des dépenses communales et du contrôle éventuel de celles-ci par des parties tierces, à l’image des organisations de la société civile.
L’APC et les nouvelles donnes de la gestion municipale
Les quelques bribes d’informations relatives au nouveau Code communal préparé par le ministère de l’Intérieur font état, selon Dahou Ould Kablia, ministre délégué aux Collectivités locales qui a eu à aborder ce sujet en 2008, de l’approche d’une ‘’démocratie participative’’ qu’il convient d’asseoir dans les futures assemblées : les citoyens, par le truchement des associations de quartiers et des organisations professionnelles participeront aux décisions des exécutifs communaux relatives à la politique de la jeunesse, de l’éducation, de l’environnement, de la santé, de la distribution de l’eau, de l’assainissement,… Sans qu’il y soit explicitement fait mention d’argent, la participation de la population aux projets communaux –si elle arrive à se concrétiser sur le terrain– ne peut faire abstraction de ce chapitre important de la gestion municipale. Le projet de Code communal comporte aussi une nouvelle vision de l’institution municipale à laquelle il compte conférer de nouvelles prérogatives teles que les possibilités des emprunts bancaires destinés à réaliser des investissements qui rapportent de l’argent (marché, centre commercial, abattoir,…). Comme, il donne la possibilité à l’APC de déléguer la gestion de certains services publics à des organismes privés. Le domaine de compétence du secrétaire général de mairie sera également redéfini étant entendu que, contrairement à l’élu, celui-là signifie la pérennité et la permanence de l’institution. Certaines activités commencent déjà, dans le cadre de la libéralisation économique, à être prises en charge par des fournisseurs ou prestataires de services privés. Dans ce domaine, le seul baromètre demeure les usagers de ces services qui, dans leur écrasante majorité, se montrent souvent satisfaits lorsqu’ils comparent la qualité des prestations fournies par rapport au monopole étatique d’antan caractérisé par une pesante bureaucratie et une criante incompétence. Néanmoins, cette nouvelle configuration des services publics n’exclut pas la possibilité d’abus, de dérapages ou de corruption. Étant soumis à la réglementation du Code des marchés publics, les contrats de fourniture, de prestation de service ou de concession peuvent faire l’objet de manipulations et autres manœuvres frauduleuses que ne peut empêcher la simple réglementation des marchés.
A ce niveau, comme dans la plupart des pays développés, surgit la nécessité de juger de l’opportunité des chantiers engagés et d’établir le suivi des procédures de passation de contrat afin de faire jouer la transparence en toutes circonstances.
La transparence dans la gestion de l’argent de la collectivité et la lutte contre la corruption sont considérées comme une exigence démocratique dont le processus de reconstruction nationale ne peut faire l’économie. Elle l’est d’autant plus que les plans de développement mis en œuvre depuis 1999 sont dotés d’enveloppes financières peu communes dans l’histoire récente de l’économie algérienne.
Cet effort de transparence et de régularité dans la gestion de l’argent public participe assurément de la bonne gouvernance économique et politique tant réclamée par la société. Il s’agit de gagner en priorité l’opinion publique algérienne par cette grande tâche de salubrité publique avant de donner des gages de gestion démocratique du pays aux organisations internationales. C’est une pierre de touche fondamentale par laquelle, parions-le, les autres actions et gestes du pouvoir politique pourront acquérir confiance et crédibilité auprès des Algériens.
Amar Naït Messaoud
