“La culture doit consacrer les valeurs du vivre ensemble ”

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La Dépêche de Kabylie : Vous avez animez avant-hier, un spectacle grandiose au stade Oukil-Ramdane de Tizi-Ouzou après plus d’une année d’absence sur scène, vos premières impressions…

Ali Amrane : Eh bien, c’était tout simplement super. J’ai même été un peu surpris par la grande affluence du public et aussi sa réaction. Je suis très satisfait malgré quelques problèmes techniques au début, mais ça a très bien fonctionné justement, grâce au public qui s’est déplacé. C’est un grand plaisir de jouer devant un tel public surtout que je n’ai pas l’occasion de me produire souvent à Tizi-Ouzou. Au final, je suis très content.

Vous comptez à Tizi, un public très nombreux, des jeunes, des familles, un public varié venu vous voir aujourd’hui (entretien réalisé samedi dernier, ndlr)…

Tout à fait et je suis très heureux. Juste après la fin du concert, j’ai reçu une famille, un couple avec leur enfant qui doit avoir 15 ou 16 ans. Ils ont apprécié ce que je fais, la musique et les textes. Ça me fait énormément plaisir d’avoir trois générations et que ça fonctionne bien, qu’ils soient réceptifs, ce qui n’est pas évident car ces dernières années, la chanson s’est en quelque sorte compartimentée, il y a celle des jeunes et celle des adultes… Ma satisfaction est justement de constater que le message peut-être reçu à la fois par les jeunes et les plus âgés.

On constate ces dernières années, la résurgence de la chanson moderne qui renaît de ses cendres. La chanson kabyle s’ouvre de nouveau sur des styles occidentaux tels que le rock, le pop, êtes-vous du même avis ?

Oui, ça revient. C’est durant les années 1990 que ces genres musicaux ont pu revenir grâce à une génération d’artistes. Cependant, la difficulté réside dans le fait que la musique rock par exemple, demande beaucoup de moyens et de maîtrise technique. Elle commence à prendre, de nouveau, de l’ampleur. Au moins, les efforts n’ont pas été vains.

Jeune kabyle que vous étiez, il y a une vingtaine d’années, comment avez-vous fait le choix de ce style occidental ?

J’ai commencé tout au début avec le folklore et la chanson traditionnelle. A un certain moment, j’ai découvert la musique occidentale. Mais en tant que chanteur, j’ai, dès le début de ma carrière, commencé avec la chanson moderne. J’ai été, bien sûr influencé par la musique que j’écoutais à l’époque. Je voulais, donc, essayer d’imprimer à la chanson kabyle la même ambiance. Surtout, qu’elle permet une ouverture indéniable. Le rock, le pop-rock, des styles qui permettent à la chanson kabyle de s’ouvrir sur d’autres publics qui ne comprennent pas spécialement le kabyle. Il y a aussi le langage musical qui parle aux gens. Quand tu arrives à accrocher, à présenter une musique qu’on peut bien écouter, même si on ne comprend pas tout de suite quelques subtilités du kabyle, on peut vite s’y intéresser. Ça permet aussi d’élargir l’audience de la chanson kabyle.

Vous vous êtes produit ce soir devant un stade archicomble, Ali Amrane prend de l’envergure, une autre dimension …

C’est vraiment impressionnant de voir autant de monde, c’est un grand plaisir. Oui, relativement à quelques années, on ressent la différence.

Au point de prendre une position d’avant-garde de la chanson moderne …

Non, je pense que ce n’est pas dans cette logique. Mes œuvres, je les ai faites, car je crois en elles, j’aime ce que je fais. Je suis un passionné de musique, c’est d’ailleurs dans cette lignée que mon premier album est sorti. Maintenant que les gens sont touchés par ma musique, cela me flatte et m’encourage à travailler davantage. C’est vrai qu’il y a eu de l’affluence, ce n’est pas pour autant que je me place quelque part. Je pense que dans ce domaine, on ne décide pas de se placer quelque part, il y a le public. Il aime ou pas, personne n’a le droit de s’autoproclamer… La chanson kabyle semble aussi renaître d’un coma profond, elle prend un nouveau départ… Ces dernières années, un certain public est plus attentif à ce que font les artistes. Il y a certainement un changement. Il y a une, la chanson superficielle et une autre plus profonde, un texte et une musique bien travaillés à un moment donné, cette dernière n’avait pas de place mais maintenant, on sent que les gens commence à s’y intéresser… à écouter

Y a t-il de la revendication dans vos chansons, de l’engagement politique ?

Ce n’est pas de la revendication, parce que j’estime que celle-ci a, depuis un certain nombre d’années, ses cadres. Dans la chanson, c’est plutôt des idées, des constats par rapport à des choses. Evidemment, il y a un fonds qu’on appelle politique ou sociopolitique. Je ne suis pas pour que la chanson devienne un discours politique. Ce dernier a sa place, il a aussi ses cadres. Si ces derniers ne sont pas appropriés, il faudrait les chercher. La chanson doit faire rêver, exhorter les gens à réfléchir sur des questions qui concernent leur vécu. La culture est là justement pour tisser des liens alors qu’en politique c’est assez exclusif. Quand il y a deux parties, ou tu es avec l’un ou tu es contre l’autre. La culture ne doit pas s’inscrire dans cette logique, mais celle plus large qui a pour finalité les valeur du “vivre ensemble”.

Quelle est l’essence de la philosophie que vous imprimez dans vos chansons ?

J’essaye de m’inscrire dans les valeurs de la modernité à travers laquelle, je traite de différents segments de la vie quotidienne, la situation de la femme, la démocratie, la liberté, la vie des gens…

Voir les jeunes patauger dans le marasme, la crise sociale vous touche-t-il ?

Evidemment que ça me touche et profondément ? Je suis aussi passé par là. Malheureusement, cela n’a guère l’air de s’améliorer. Quand j’écris une chanson, à la base, c’est un sentiment, une émotion.

Justement Akka I D’Ammur, votre dernier album traite des ces souffrances, le titre est déjà assez révélateur …

Absolument, le titre n’est pas là par hasard. ça parle de départ, d’exil, d’immigration. Les gens quittent leur patrie par ce qu’il n’y a rien à faire. La douleur est de voir que l’effort qu’on produit là-bas bénéficie aux autres. Par rapport à une société, c’est quand même assez tragique de voir ses forces vives prendre le départ. Celles-là mêmes qui sont censées contribuer à son évolution. Donc du point de vue de notre société kabyle, notre culture, c’est un peu notre lot d’Ammur par la négative.

Et vous vous considérez victime?

Non, je me pose pas en victime. C’est juste que, quand tu veux réaliser des choses, et que tu n’y arrives pas. Il faut donc aller là où tu peux les faire, c’est tout. Dans l’album, j’ai essayé de traiter la question car dans notre contexte, c’est assez difficile de parler de l’immigration, notamment parce que le marasme est tellement généralisé que l’image du départ est quasi positive. Il y a l’exil de nos ancêtres assimilé à une terrible douleur, mais aussi celui du jeune ravi d’avoir le visa, mais qui vivra, par la suite sans papiers. Vous savez auparavant, on disait de l’immigré “aghrib m’bla l’ouali” mais aujourd’hui, c’est plutôt “aghrib m’bla lkouaghed”. La différence est de taille.

Vous serez ce jeudi en concert à Maâtkas, votre région natale, votre impression…

Eh oui ! Je suis très content surtout que je ne m’y suis jamais produit depuis que j’ai commencé à chanter. Je suis vraiment heureux d’autant que cela interviendra dans le cadre de la 11e édition de la Fête de la poterie, un grand événement auquel j’ai participé avant de quitter ma ville. C’est un grand plaisir pour moi, j’espère que les gens apprécieront.

Un dernier mot…

Je voulais tout simplement exprimer mes regrets après l’annulation de mon spectacle le 19 juillet à Béjaïa. Je ne sais pas vraiment ce qui s’est passé. Au public, à mes fans et à tous ceux qui ont prévu de venir à mon concert, je leur dis que ce n’est pas ma faute. C’est vraiment dommage car je tenais vraiment à animer un concert à Béjaïa. Je sais qu’il y a beaucoup de fans là-bas, qui m’attendaient. Moi aussi, j’avais tellement envie d’y aller, mais bon. Nous ferons en sorte de le faire dans quelques jours.

Entretien réalisé par Omar Zeghni

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