n Par Amar Naït Messaoud
Des spécialistes en économie et management ont reproché au gouvernement une forme de précipitation dans la mise en œuvre de ces deux premiers plans. En effet, comme le note le docteur Abdelhak Amiri, PDG de l’INSIM, un plan de développement de cette envergure réclame un minimum d’études, de formation du personnel et de mise à niveau des entreprises quitte, pour cela, à retarder d’une année le lancement des chantiers. De son côté, Abdellatif Benachenhou, alors ministre des Finances, déplora devant les députés que les entreprises algériennes de réalisation n’aient pas les capacités et le background nécessaires pour se déployer dans le cadre des gigantesques plans de développement mis en œuvre au titre des investissements publics orientés vers la réhabilitation et la promotion des infrastructures de base et des équipements publics.
Tel que présenté par le CGPP (Commissariat général à la planification et à la prospective) dans son “aide méthodologique’’, le programme public d’investissement pour 2010-2014 paraît bénéficier dès sa conception du regard et de l’expertise du CGPP. Ce n’est, en fin de compte, qu’une juste appréhension des enjeux et une leçon tirée des deux premiers plans lancés depuis 1999. L’importance d’une telle démarche apparaît au grand jour lorsqu’on connaît le contexte dans lequel un tel programme est esquissé.
Le visage imposteur et hideux de la rente
Le spectre de la crise mondiale qui, insidieusement depuis 2007 et ouvertement depuis l’été 2008, a ébranlé le monde de la finance et des affaires, n’a pas manqué de montrer ses “crocs’’ et de menacer les pays en développement. L’économie algérienne se montre, dans cette situation de recul de la consommation mondiale d’énergie et de récession des places financières mondiales, plus fragile que jamais du fait que sa mono-exportation, le pétrole, subit fortement les aléas des marchés mondiaux. Même si les réserves de change sont assez conséquentes du fait de l’embellie financières générée par le fort prix du baril pendant plus de cinq années successives, leur utilisation est censée obéir à une logique de “guerre’’ économique d’autant plus qu’aucun responsable ou expert de la finance internationale ne peut se hasarder sur un pronostic de l’évolution immédiate de la crise ni sur sa durée. À l’automne dernier, le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, explique l’inquiétude des autorités algériennes en ces termes : «le système bancaire national, du fait de son retard, est relativement épargné. L’économie nationale cependant risque d’en pâtir à cause du ralentissement de la croissance mondiale engendré par cette crise, notamment la baisse de la demande sur le pétrole, dont les exportations constituant la quasi-totalité des ressources en devises de l’Algérie. L’Algérie fonctionne à un baril de 67 dollars. Le recul des recettes pétrolières vient d’être constaté pour l’exercice du premier trimestre 2009.” D’après les chiffres du Centre national de l’informatique et des statistiques (CNIS) rendues publiques cette semaine, ce recul est de 42,07 % par rapport au premier trimestre 2008. On est, en effet, passé de 18,555 milliards de dollars à 10,74 mds de dollars. De même, d’après la même source, le ratio de la couverture des importations par les exportations vient de passer à 114 % alors qu’il était de 217 % en 2008. Ce sont des indices qui ne trompent pas sur les “mauvais jours’’ qu’est appelée à vivre l’énergie des hydrocarbures sans doutes pour des mois encore à venir.
Ainsi, les vertus du “miracle’’ pétrolier montrent de plus en plus leurs limites. Après des ascensions successives qui ont fait monter le baril jusqu’à 140 dollars en juillet 2008, l’or noir risque de revoir les bas-fonds d’une dangereuse dépression. Au cours des trois dernières semaines, il a oscillé entre 58 et 70 dollars. Les réductions de production des pays de l’OPEP en décembre dernier à Oran n’ont pas eu d’impact extraordinaire. La crise mondiale prend ainsi un aspect structurel caractérisé, entre autres indices, par une baisse drastique de la consommation énergétique. C’est pour cette raison également que les pays exportateurs de pétrole, lors de la réunion de Genève en mars dernier, n’ont pas pu aller dans le sens d’une nouvelle réduction de production.
Y aura-t-il un autre destin pour l’économie en friche ?
L’économie algérienne s’appuyant d’une façon dominante sur les ressources énergétiques, elle se trouve par conséquent sommée de se remettre en cause et d’imaginer une stratégie efficace de diversification de ses recettes budgétaires. Il serait sans doute intéressant de rappeler que cette préoccupation n’a pas échappé aux autorités politiques du pays. Pour preuve, le gouvernement Ouyahia avait fixé, en 1998 déjà, un seuil minimal d’exportation hors hydrocarbures équivalent à 2 milliards de dollars. Ironie de l’histoire- une histoire faite d’instabilité, d’insécurité et de chamboulements de priorités-, ce n’est que dix années plus tard que l’on s’est rapproché de ce chiffre. On est vraiment loin des potentialités économiques du pays qui peuvent et doivent être mobilisées dans les secteurs de l’agriculture, du tourisme, de l’agroalimentaire et de l’artisanat. À titre d’illustration, lors de la dernière réunion, en janvier 2009, des Chambres de l’artisanat et des métiers, les responsables de ce secteurs ont parié sur la possibilité de le développer- si les conditions d’une stratégie nationale sont mises en place- de façon à ce qu’il puisse, à l’horizon 2025, générer 2 millions d’emplois.
Des officiels et des experts indépendants ont, en tout cas, exprimé leurs appréhensions dans le cas où la crise financière mondiale s’étendait sur un intervalle de temps assez long. Ses effets ne seront pas circonscrits seulement au niveau de l’économie “domestique’’ faite d’importation de produits alimentaires, médicaments, semi-produits industriels et pièces de rechange, mais s’étendront aux investissements publics prévus dans le Plan de soutien à la croissance économique. «S’il n’y avait pas l’embellie pétrolière, le Fonds monétaire international (FMI) nous aurait conduit à privatiser de force, non pas des entreprises industrielles, mais des secteurs comme la téléphonie, l’eau, l’électricité et le gaz, qui sont des machines à sous», soutenait Ouyahia en octobre 2008.
Un plan d’investissement public plus mesuré
Au regard de la conjoncture mondiale peu favorable, les autorités économiques du pays, tout en tenant à poursuivre l’effort dans la mise en place d’investissements publics destinés à renforcer les infrastructures et les équipements, tiennent également à baliser le chemin et à mieux encadre le plan de ces investissements.
Le document portant sur l’“Aide méthodologique pour la conception du programme public d’investissement pour 2010-2014’’ élaboré par le Commissariat général à la planification et à la prospective se décline en 16 pages où se retrouvent les orientations méthodologiques et les tableaux les accompagnant. Il a été transmis en avril dernier aux 48 walis par les services du ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales. Les “évaluations et propositions’’ faites par les différentes directions des wilayas sont destinées au Commissariat à la planification et à la prospective.
Le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, a déjà transmis deux instructions aux ministres et aux walis (le 6 août 2008 et le 10 janvier 2009) en vue de bien encadrer la préparation du programme public d’investissement 2010-2014. Et c’est dans cet esprit que Karim Djoudi, ministre des Finances, a saisi en mars dernier le ministère de l’Intérieur en expliquant dans sa correspondance que «dans sa conception, le prochain programme devra s’attacher à assainir la situation des projets inscrits et non encore achevés dans le cadre du PSRE et du PCSC».
Le prochain programme mettra également l’accent, d’après les termes du ministre des Finances, sur «la valorisation du patrimoine existant, sans négliger d’accroître le parc des infrastructures publiques pour répondre aux besoins socioéconomiques».
Le document d’orientation élaboré par le Commissariat à la planification et à la prospective se donne pour objectif de fournir à l’ensemble des administrations centrales et locales «les indications jugées nécessaires à la préparation du programme d’investissement public pour la période 2010-2014». Ces orientations, sous forme de directives méthodologiques, «tiennent compte des expériences des programmes antérieurs exécutés pendant la période 2001-2004 (PSRE) et 2005-2009 (PCSC)». Ces indications permettront, selon leurs rédacteurs, d’«homogénéiser les approches de l’ensemble des ministères et administrations des wilayas pour la conception de leurs programmes d’investissement».
Il s’agit, d’après les concepteurs de la méthodologie, de “contribuer à l’amélioration du processus décisionnel’’ relatif à ce Plan et, également, d’ ‘’identifier les effets attendus sur l’emploi direct et indirect, sur les revenus salariaux et non salariaux et, enfin, sur la croissance’’.
Forces et faiblesses
Le Commissariat à la planification et à la prospective juge que «la situation actuelle des finances publiques ainsi que les perspectives pour les prochaines années permettent d’envisager encore un programme pluriannuel d’investissement public relativement consistant. La réalisation des projets du PSRE et du PCSC a permis d’établir des constats et de relever les forces et les faiblesses de notre système de préparation et d’exécution du budget d’équipement de l’État et des collectivités locales».
Si le CGPP fait état d’une certaine “expérience’’ que l’administration algérienne aurait acquise en matière de procédures dans la mise en œuvre des deux premiers plans, il relève néanmoins des faiblesses et des lacunes dont les principales citées sont : la prédominance de la vision de projet sur celle de programme, la multiplicité des objectifs, la maturation insuffisante des projets, l’appréciation souvent erronée des capacités de réalisation et la non prise en compte des dépenses récurrentes dans l’évaluation. Ces incohérences se traduisent, ajoute le document du CGPP, par des «surcoûts et un gaspillage des deniers de l’État». Cette conclusion rejoint l’observation qu’Ahmed Ouyahia a faite l’année dernière lorsqu’il expliqua que «les structures de l’État n’ont jamais eu à gérer autant d’argent. Ceci a engendré du gaspillage, un comportement, je dirais, d’enfant gâté, en plus de l’existence de la corruption et de détournements, conjugués aux effets de la crise nationale que l’Algérie a subie, qui a fait que des groupes d’intérêts se sont renforcés et ont engrangés des gains illicites».
Pour lui assurer rationalité, cohérence et efficacité, le programme projeté pour le prochain quinquennat devra tenir compte, selon la feuille de route tracée par le Commissariat à la planification et à la prospective, de quelques paramètres importants, à savoir entre autres : l’importance des programmes en cours, la capacité d’absorption des investissements publics du secteur ou de la wilaya, des objectifs à atteindre en matière de développement économique et social, la capacité à gérer les risques et éventuelles contraintes, les conditions préalables à la réalisation et la viabilité économique et financière des projets.
Le but assigné à cette démarche, par la combinaison de ces éléments, est que «le calibrage des programmes sectoriels et locaux fasse de ces éléments des ensembles de projets cohérents, réalistes et réalisables dans des délais raisonnables et à des coûts acceptables. Il ne s’agit, ni plus ni moins, que de tenir compte des expériences récentes vécues lors de la conception et de la réalisation du PSRE, du PCSC ainsi que du programme d’investissement courant de l’État dans ses composantes centralisée, déconcentrée et des plans communaux de développement».
Dans le schéma de préparation du Plan, il est demandé aux administrations d’«encourager et de privilégier l’intervention des entreprises nationales, en conformité et dans le cadre des marchés publics (à hauteur de 15 %)», ainsi que de mobiliser, pour chaque projet, les moyens budgétaires consacrés à la formation (jusqu’à 5 %).
Ce sont là deux visions novatrices majeures tirées des leçons des deux premiers plans, lesquels se sont heurtés d’une façon frontale aux problèmes d’impréparation- sur le plan technique et matériel- des entreprises de réalisation algériennes, qu’elles soient publiques ou privées, et de formation du personnel. Le déficit de formation se retrouve aussi bien dans le corps technique des entreprises que des administrations maîtres de l’ouvrage chargées du suivi et du contrôle des travaux.
Le pari de la ressource humaine
Ce diagnostic a été déjà fait par des économistes algériens au début du lancement du deuxième plan (2005). C’est ainsi que Abdelmadjid Bouzidi estime que, par rapport aux grands projets des années 1970, «la tâche est aujourd’hui plus complexe, la demande sociale ayant explosé et avec elle l’impatience des citoyens. D’autre part, les ressources humaines de qualité et expérimentées, capables de manager de tels projets, ont diminué.
La question se pose alors de savoir comment gérer tous ces projets de manière efficace et coordonnée tant au plan technique qu’au plan financier. Les projets décentralisés, et ils sont les plus nombreux, sont les plus complexes à gérer, les Algériens connaissant le sous-encadrement qui caractérise nos collectivités locales. De leur côté, les entreprises algériennes de réalisation n’ont pas une réputation de performance et de compétitivité et l’immense marché qui est offert par l’État à l’occasion de ce Plan risque de leur échapper. Le multiplicateur jouera à l’extérieur.
À moins que toutes nos entrepreneurs prennent conscience qu’il y a là, pour eux, une occasion qui ne se répétera probablement pas, de lancer, pour chacune d’entre elles, des programmes de mise à niveau et de redressement internes» (…)
«Maturation des projets, mise en réalisation, suivi de chantiers, réception des ouvrages, toutes ces opérations exigent une grande compétence et une grande mobilisation des autorités locales. Pilotage central, vision globale et opérations et opérations de corrections nécessitent une structure centrale performante du suivi et de l’exécution. Ces conditions de bonne exécution des différents programmes ne sont, hélas, pas réunies aujourd’hui», ajoute-t-il.
Sur le même registre de l’intervention des entreprises algériennes et des défis de la qualification, le professeur Abdelhak Amiri, docteur en sciences de gestion (Université de Californie-USA) et P-DG de l’INSIM, jugeait, en 2007, qu’«il aurait été plus judicieux de consacrer le un tiers (1/3) des montants du premier et second Plans à la qualification des institutions éducatives, universitaires et des centres de formation pour améliorer l’intelligence et les ressources humaines et pour parfaire la qualité des prestations des institutions de façon générale. Le deuxième tiers du montant aurait dû aller à la création du plus grand nombre possible de PMI-PME, structures à même de générer des richesses et des postes d’emploi.
Seul le troisième tiers du montant aurait dû être consacré aux infrastructures de base. Si la gestion de ce Plan s’est effectuée de cette manière, l’Algérie aurait pu créer cent mille (100 000) PMI-PME en une année et non 25 000. A l’horizon 2009, on aurait crée un million d’entreprises».
Dans l’état actuel des choses, estime-il encore, «lorsque le gouvernement algérien met 100 milliards de dollars dans l’économie, 75 milliards vont à l’étranger. C’est pourquoi il aurait fallu créer des entreprises à même de bâtir une base économique pour absorber au moins la demande intérieure et pour que les autres peuples ne bénéficient pas de nos ressources d’une manière gratuite».
Dans le cadre du nouveau Plan d’investissement 2010-2014, le Commissariat général à la planification et à la prospective compte remédier au déficit de ressources humaines au sein des administrations chargées des projets inscrits dans le cadre du Plan par un dispositif qu’il évoque de la manière suivante : «Chaque ministère/wilaya tiendra compte des particularités des secteurs dont il a la charge, la complexité de certains projets pouvant être assimilée, pour les besoins de l’estimation, à un accroissement du coût. La capacité d’étude du ministère ou de la wilaya et de suivi de la réalisation des projets pourra être complétée par un nombre additif raisonnable de cadres dont il est prévu le recrutement, compte tenu du nombre de postes budgétaires autorisés pour les années 2010 à 2014».
On ne sait pas dans quelle mesure une telle solution peut apporter sa pierre au renforcement de l’encadrement de l’administration.
En effet, deux éléments viennent limiter la portée de ce dispositif. D’abord, le nombre de postes budgétaires autorisés pour les années 2010-2014 ; ensuite, les compétences et la qualification réelle de l’encadrement, aussi bien celui déjà en place que celui dont on envisage le recrutement.
La Commission des réformes de l’État installée par le président de la République au début des années 2000 a fait un diagnostic peu flatteur sur l’encadrement et le fonctionnement de l’administration algérienne. Dans ses investigations, elle a fait état de la médiocrité de l’encadrement, de l’inefficacité des méthodes de travail, du manque d’adéquation entre la formation scolaire et universitaire avec les véritables missions de service public et de puissance publique et, enfin, des incohérences et travers générés par l’hypercentralisation des pouvoirs de décision aggravés par une division déséquilibré du territoire.
Les nouvelles méthodes de gestion et de management ne sont pas à la portée de tous les personnels de l’administration publique. Un besoin crucial de formation et de requalification s’impose.
Rien que pour décrypter la substance du document d’orientation du Commissariat à la planification et à la prospective transmis aux administrations pour préparer le Plan d’investissement public 2010-2014, et particulièrement le nouveau support de gestion des projets appelé le “Cadre logique’’, des journées d’études ou de vulgarisations peuvent s’avérer indispensables.
Amar Naït Messaoud