Des joyaux de la côte kabyle abandonnés

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Jadis, lieu de pèlerinage estival le plus connu de la bande côtière de Boumerdès, cette contrée subit sans cesse des dégradations au niveau de tous les secteurs. Y a-t-il quelqu’un pour sauver la municipalité ?La question lamine l’homme de la rue depuis le début de l’année en cours. Mais l’autorité locale ou départementale reste insensible, semble-t-il, à ce cri de détresse.Des citoyens réclament, qui, la protection de l’environnement, qui, l’embellissement de l’espace vital, qui, l’ouverture pour la création de postes d’emploi, qui le réaménagement du port au profit des pêcheurs, qui le règlement d’autres problèmes sociaux restés en suspens. Car la liste des doléances est longue, longue.Bureaucratie et négligence, sont le lot de cette municipalité. Au lieu de d’accaparer l’intérêt des investisseurs, Dellys s’offre aux pilleurs de tout poil.

Un coin de paradis massacréAuparavant, réputée pour ses charmes discrets, la plage des Salines – jouxtant de vastes vergers s’étendant jusqu’à la forêt de Mizrana – s’apparente à un terrain vague. “L’endroit est devenu méconnaissable”, grognent les riverains. “Rien que des cailloux et des tas d’ordures”, Hassène Hamraoui, 50 ans, ayant grandi dans cette ville, assène cette sentence en promenant son regard triste sur le rivage.Quel rivage ? “Le pouvoir local peut aisément décrocher la palme d’or en matière de négligence de ces potentialités touristiques”, a-t-on commenté.L’on se demande, à vrai dire, pourquoi les pilleurs de sable jouissent toujours, ici de l’impunité. Cette forme de dégradation de l’environnement marin est particulièrement visible à l’oeil nu dans la partie – est de la plage des Salines relevant de la commune d’Afir.En plus des multiples problèmes minant leur quotidien – entre autres, le manque d’eau, le mauvais état des routes, l’inexistence de structures socioculturelles – les citoyens d’Afir se voient pratiquement privés des plaisirs du farniente dans leur propre littoral. Allez trouver, ici un endroit épargné par les saletés ! “C’est affreux, la moindre parcelle de sable est dilapidée au point qu’il n’y a pas où s’installer”, se désole Mohamed, un frais émoulu de l’université d’Alger, filière lettres françaises. Il constate avec amertume que cette petite plage, naguère attirante, a bel et bien entamé sa descente aux enfers.Ailleurs, la saison estivale bat son plein. “Et ici, faute de sable, il faut creuser profondément si l’on veut s’amuser à planter sa tente ou son parasol”, ajoute-t-il avec ironie. “Nous avons des prédateurs économiques, des violeurs qui ont défloré la plage”, lance un de ses camarades en comparant à juste titre, le sable du bord de mer à la virginité d’une innocente pucelle.Nos interlocuteurs nous prient de rester là en ce début du mois d’août, pour constater de visu l’acte de pillage du sable.Il est 19 h, ce vendredi, des camions et autres tracteurs arrivent. En descandent des gamins, conduits par leurs chefs, entre deux âges. Armés de pioches et de pelles, les jeunes (employés) avancent à un mètre de l’eau de mer et se mettent à l’oeuvre. On saccage la plage au vu et au su des responsables locaux. Jusqu’à une date très récente, la municipalité utilisait d’ailleurs, le site voisin baptisé Guinguette comme décharge publique. Et aujourd’hui encore, les saletés envahissent le coin, jadis propice aux randonnées. La démission des responsables locaux semble inexplicable. Et bizarrement, le maire avait refusé, tout récemment, d’éclairer notre lanterne sur cette question.Juste en face de la plage est des Salines, on a réalisé un site de chalets pour les sinistrés du séisme sans aucun plan d’assainissement des eaux usées. Celles-ci serpentent à travers des rigoles et polluent aussi la grande bleue. Une odeur nauséabonde s’y dégage. Mais là au moins, dit-on, les résidents encouragés surtout par le gérant d’une gargote tentent de mettre fin au pillage du sable. On pourchasse le pilleur dès qu’il pointe son nez. Sauvegarder la seule plage qui reste du côté de Dellys. Car celles de Tagdempt, d’Anseur, de Bordj Phare et Nour, du lieudit Château fort ou de Tala Ouldoune ont été défigurées depuis belle lurette. Ne subsistent ici et là que des roches et de la terre molle ou dure selon les saisons – qu’on peut balayer d’un coup d’œil à partir de l’avenue principale s’étendant sur plus de 8 km de long.

Sous l’apparente sérénitéBâtie au flanc des collines d’Assouaf et de Bouarbi, la ville dégringole en cascade vers sa baie. C’est peut-être Alger en miniature, puisqu’elle offre elle aussi une architecture variée et riche au sein de laquelle chaque époque a laissé son empreinte. Vestiges romaines sours ottomans, Casbah avec sa houmet Ed-Derb et ses saints comme Sidi El-Medjni ou Sidi El Haofi, bâtisses coloniales parmi lesquelles le célèbre lycée technique ou fut inscrit, en 1939 l’ancien président de la Côte d’Ivoire, Houphouet…et, Boigny.Une virée dans ces sites rappelle mieux aux Dellysiens que leur ville a toujours été le symbole d’un pont entre les deux rives de la Méditerranée. Et donc, forcément, elle peut conserver son pouvoir d’attraction.Sur un promontoire, en contrebas de la Djena (les jardins), se dresse hiératique un Château-fort. On attribue la construction de ce palais qui mérite son appellation à l’occupation ottomane ayant duré plus de 250 ans à partir du XVIe siècle. Il semble bien que la bâtisse fut l’un des principaux sièges de Kheiredine Barberousse. C’est donc un lieu à rentabiliser. Mais l’on nous explique que les services des postes et télécommunications qui l’ont occupé depuis l’Indépendance, l’utilisent maintenant pour le recyclage de leur personnel. Nous n’avons pas encore pu vérifier une telle information. Mais là, où l’on met pied à terre pour tenter de goûter aux délices d’une balade, entre la nonchalance des collines voisines et la frénésie urbaine de Dellys, on n’entend en tout que des plaintes mêlées à la nostalgie. “Coincée entre le lieudit Stouh et Kari Achour, une petite crique accueillait en été jusqu’au début des années soixante, les femmes des quartiers voisins”, se remémore un ancien professeur de philosophie. Et il affirme que la ville a pratiquement perdu son mode de vie illustrant le progrès.Face à cette apparente sérénité, le quotidien de la grande majorité des Dellysiens reste en tout cas difficile. A commencer par celui des pêcheurs victimes aussi bien des appétits incontrôlables des armateurs que de l’incompétence des pouvoirs publics en matière de gestion des ressources halieutiques.“Nos bateaux et nos filets sont trop vieux. Et quand on réclame juste une petite aide pour moderniser notre équipement, on nous dit qu’on n’a qu’à changer de métier”, explique Ahmed, la quarantaine, fatigué. Ni atelier de réparation d’embarcations qui tombent en panne, ni station de mazout, ni encore de sanitaires. “Ce n’est pas normal, mais à qui se plaindre ?”, clame-t-il. Le fruit de la pêche est souvent maigre. Et l’on doit se déplacer vers Azeffoun à l’est ou Zemmouri à l’ouest pour un résultat dont il faudra, après déduction de tous les frais, partager avec les membres de l’équipage. Saisonniers pour la plupart, ces dernier ne sont guère assurés, a-t-on laissé entendre. Pourtant, marins et petits pêcheurs sont souvent exposés aux périls dès qu’ils prennent la mer.

Blessures indélébilesLe naufrage, il y a moins de trois mois, d’un bateau de pêche au large de la ville voisine de Cap Djinet, n’est pas sans conséquences sur le moral des Dellysiens. Sur les sept membres de l’équipage, partis du port de Dellys, seulement trois ont été miraculeusement sauvés. Le capitaine, Toufik Touil et trois autres en plus de l’embarcation, ont dramatiquement coulé. Une semaine plus tard, le ministère de tutelle avait déclaré qu’il ne possédait pas de câble d’une longueur de 300 m à même de faciliter le repêchement des victimes et de ladite épave.“Les Dellysiens ont dû patienter encore une autre semaine, avant d’organiser la prière de l’absent pour apaiser les âmes blessées”, confie pathétique, une dame.Blessure, le mot sur toutes les lèvres est lâché. Le terrorisme islamiste a semé dans cette contrée mort et désolation en tout sens. Engagés, durant la décennie précédente, pour la réalisation de complexes touristiques à l’est et à l’ouest de la ville, deux entrepreneurs ont dû cesser leurs activités suite aux menaces du GIA qui les appauvrissait à coups d’impôts religieux. Mais l’insécurité n’explique pas tout, il y a là, cette bureaucratie qui entrave le lancement de tout “projet au profit de la commune. Transportez cette ville dans un autre pays et vous verrez que ses sites seront aussitôt rationnellement exploités”, explose encore la même dame qui tient à garder l’anonymat.Maintenant, des gourbis s’accrochent de plus en plus aux sours antiques. La Casbah n’est ni restaurée ni classée comme patrimoine universel alors que d’autres sites moins importants retiennent dans d’autres wilayas l’intérêt des pouvoirs publics, commente-t-on encore en substance.“On ne peut espérer un changement de l’ordre des choses tant que nos élus ne sont pas à la hauteur” notent d’autres jeunes au centre-ville. “Plus de 60 familles, se sentant épaulées, ont squatté, il y a trois mois, les nouveaux chalets implantés à proximité de la nouvelle-ville. Et l’autorité locale a bizarrement fermé l’oeil”, se désole-t-on encore. Aux alentours, on se plaint encore du manque d’eau, de l’insuffisance de prise en charge sanitaire. Et de ce taux effrayant de chômage dans une contrée qui possède pourtant tous les atouts pour se hisser au diapason des cités modernes. La ville, notamment depuis le naufrage du bateau de pêche du rais Toufik Touil, se renferme sur elle-même. Certains, fatalistes, croient tout simplement qu’elle s’en remet à Dieu.

Salim Haddou

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