»Le cahier des charges est une guillotine »

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La Dépêche de Kabylie : Faites-nous le point sur la situation des afficheurs publicitaires face aux dernières décisions de la wilaya d’Alger en matière de réglementation ? l Mme Loubna Nezzar Kebaili : Les afficheurs à l’heure actuelle sont dans une situation qui reste alarmante. Ils se sont vu écartés de la compétition, puisqu’ils ne pourront pas soumissionner avec des prix exorbitants. L’adjudication en elle-même a été orientée vers un fournisseur qui est en train de gonfler les prix de jour en jour, d’une part. Et d’autre part, cela fait six mois que le gel persiste, par conséquent les afficheurs sont arrivés à bout de souffle financièrement. Ils sont en train de renvoyer de plus en plus leurs employés. Actuellement, la restriction du personnel est de l’ordre de 50 %. C’est une situation catastrophique. Le cahier des charges émis par la wilaya, qui devait être une bouffée d’air, a été finalement une guillotine. Pourquoi ? Parce que cela fait trois ans que l’on est en train d’attendre cette réglementation. L’on a énormément souffert avec l’administration, à cause notamment du vide juridique en la matière : certains pouvaient afficher, d’autres pas. Quand nous recevions de la DTP un courrier formel interdisant l’affichage sur les axes autoroutiers, le lendemain on trouvait des panneaux érigés ça et là. Sur le territoire de certaines municipalités, où il était strictement interdit d’afficher, alors que des placards publicitaires se retrouvaient, sont bien là. Cela nous incite à nous interroger sur la situation de ce secteur. Maintenant, nous disons que la réglementation est la bienvenue. Nous l’avons tous applaudie. Cahier des charges, bienvenue fois deux : il introduit une adjudication, il va éliminer de facto les non professionnels, il va aider à réglementer, à sectoriser ce domaine et travailler dans la transparence. Mais l’on s’est vite rendu compte que ce n’est pas du tout le cas.

Le point fort de vos reproches aux instances wilayales est donc la publication d’un cahier des charges truffé d’irrégularités selon vous ? l La démarche en elle-même est très louable. Mais le contenu est très discutable. Le problème se pose d’abord dans la manière de mettre tout un secteur d’activité en adjudication. Ce qu’il y a à relever d’anormal, c’est que celui qui n’est pas retenu dans cette adjudication, même justifiant de 10 ans d’expérience, va mettre la clé sous le paillasson. Il y a des agences de communication et d’affichage qui ne travaillent que sur l’Algérois. Si elles ne sont pas retenues dans la soumission, elles vont se retrouver écartées et par là même cesser leur activité. Autre point important, cette adjudication est là, nous devons faire avec. Cependant, elle doit être conforme aux normes. Le code des marchés publics est clair sur la question. Il faut une mise à prix et des fiches techniques. Or, dans ce cahier des charges, rien de tout cela n’existe. En sus, l’adjudication est orientée : l’on est dans l’obligation, si on veut soumissionner pour les emplacements les plus stratégiques vendables sur l’Algérois, de travailler avec la société Metalco via l’Italien La Firma. L’on est dans l’impossibilité de travailler avec ces deux sociétés puisque la soumission est pour le 9 août, et Metalco ne nous a transmis les factures proforma que le 6 août. Nous avons évalué l’intra-muros algérois et les plus important axes autoroutiers à 15 millions d’euros. Comment voulez-vous réaliser un montage financier, ne serait-ce que de 2 millions d’euros, en deux jours ? Ce n’est pas faisable ! Même si l’on accepte les factures proforma de La Firma, les prix sont carrément « démentiels » : un abribus à 1,8 million DA, la poubelle à 80 000 DA…

De quelle façon les récentes réglementations du secteur lèsent-elles vos intérêts ? l La réglementation établie par la wilaya d’Alger vise à réglementer tout le secteur. Le cahier des charges s’est largement inspiré de cette réglementation. Ce document recèle un certain nombre d’irrégularités. La plus importante est relative à l’aspect technique. En aucun cas, la réglementation ne définit les normes d’affichage. Elle évoque des normes « illogiques » à mon sens. A titre illustratif, on énonce qu’on ne peut exploiter que 15% de la surface d’un mur : sur un mur de 250 m2, la surface exploitable est de 40 m2, soit un petit timbre postal sur une enveloppe ! Sur les axes autoroutiers, c’est 12 m2. Avec une vitesse moyenne de 80 Km/h, ce qui est affiché est illisible. Dans l’intra-muros la surface est de l’ordre de2 m2. Aussi, l’autre point essentiel est la distance entre un panneau et un autre. C’est cela qui va valoriser les emplacements et limiter l’anarchie. Dans le cahier des charges, ce point n’est nullement pris en charge. A Kouba, par exemple, il y a pas moins de 197 panneaux ! Cette localité ne peut en aucun cas absorber un tel nombre. Selon nos calculs, l’espacement entre deux panneaux est de 20 m. D’un côté, la réglementation parle de l’embellissement de la capitale, et d’un autre, on érige à tour de bras. Nous sommes exclus du cahier des charges et nous nous sentons fortement lésés. Le cahier des charges stipule que les afficheurs sont tenus de faire la pose, l’entretien d’un mobilier urbain et le paiement d’une redevance, en contrepartie d’emplacements publicitaires. Dans le cas où le mobilier urbain, telles les poubelles, ne comportent pas d’espace d’affichage, contrairement aux abribus, il est prévu un site d’emplacement pour l’affichage. C’est ce qui est appelé un site de substitution. Nous avons des conventions (de 5 ans et 10 ans) avec les copropriétaires d’immeubles pour l’affichage sur les murs. Vu que nous n’avons pas participé à cette manifestation (la foire du mobilier urbain tenu en mai dernier, NDR), nous sommes exclus de facto, mais nos murs sont mis en adjudication. C’est une autre aberration. Non seulement ce sont des propriétés privées qui sont mises en adjudication, mais on ne nous donne pas le droit de soumissionner pour récupérer nos supports. Notre agence dispose d’à peu près une dizaine de murs. Si on nous les enlève, nous fermerons boutique. Autre détail figurant dans le cahier des charges : dans l’offre financière, il faut donner pratiquement 50% de votre chiffre d’affaires, ce qui est colossal…et bien d’autres encore. Vous avez donné 30 millions d’euros comme chiffre estimatif du marché d’affichage algérois ? l Nous avons dégagé ce chiffre sur la base des factures proforma établis par Metalco. Les produits de cette société ont été placés dans les endroits les plus stratégiques, soit 65% de l’ensemble des emplacements de la wilaya d’Alger. En se basant sur les prix appliqués par Metalco sur ces sites, plus les prix des autres fournisseurs pour les sites « peu vendables », nous avons abouti à un chiffre de 20 millions d’euros départ d’usine. En ajoutant à cela les prix du transport et du dédouanement, nous sommes tombés sur un chiffre de 30 millions d’euros hors redevance. 300 000 milliards de centimes en équivalent dinars, c’est approximativement 29 000 logements dans le plan quinquennal ! C’est aussi un chiffre qui ne sera jamais absorbé par le marché de l’affichage, même si on multiplie les prix par trois. Le client ne marchera jamais si vous lui proposez un panneau à 1,8 million DA au lieu de 600 000 DA actuellement, pour un 12 m2. Pour un mur à 300 m2, qui était proposé entre 2,5 à 3 millions DA, si on le multiplie par 3, c’est le prix d’une très grosse campagne TV, avec un taux de pénétration de 80% du territoire national. La question de l’utilité de l’affichage ne se pose même pas dans ce cas là.

Quels sont les recours dont vous disposez à présent pour faire valoir vos droits et défendre vos intérêts ? l Nous avons déposé un recours au niveau de la wilaya il y a de cela prés de 15 jours. Il nous a été promis de nous répondre par écrit. Jusqu’à aujourd’hui, nous n’avons rien reçu. Il faut bien comprendre que nous ne sommes pas là pour déclarer la guerre à la wilaya. Nous la soutenons dans sa démarche…

Mais c’est une démarche que vous dites entachée d’irrégularités…l Ce ne sont que des irrégularités. Nous allons saisir le Conseil de la concurrence. Nous avons pris rendez-vous avec le président de la Commission nationale des marchés. Et on verra bien ce que cela va donner. L’on a lancé également des appels au wali d’Alger via la presse. Mais c’est toujours le black-out, personne ne répond. Si jamais les choses continuent dans ce sens, nous allons saisir la justice. Nous n’allons pas nous taire. On demande l’annulation de ce cahier des charges pour le remplacer par un autre qui répond aux normes. Je voudrais signaler un point important : cela fait 4 ans que nous travaillons dans le noir le plus absolu. Beaucoup de nos panneaux ont été démontés, des demandes d’autorisation sans suite pendant deux ou trois ans… Nous avons vraiment accueilli à bras ouverts cette réglementation. Alors, il ne s’agit pas de l’annuler, car elle est impérative, l’embellissement de la ville d’Alger est aussi important. Mais qu’on fasse les choses dans les règles de l’art, et qu’on n’évince pas les opérateurs de l’affichage du jour au lendemain, après avoir travaillé des années et consenti d’énormes investissements et créé des emplois…

Propos recueillis par Elias Ben

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