L’identité culturelle africaine

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Cette langue – refuge vécue par Jean Amrouche comme une passion et aussi une déchirure. La langue de ce pays pour lequel il a usé ses forces jusqu’à la mort, il la voulait réconciliatrice avec le monde.

« Ah !pour un seul mot de ma langue

Pour la seule grâce d’un mot

Pour ce mot orphelin

Cueilli aux lèvres sèches de l’ancêtre

Goutte de sang sur la rose de l’enfance

Etincelant sur la roue du soleil

Un mot d’eau vive

Dans ta main

Le cœur du monde… « 

Dans nos pays africains, les arts sont liés à l’identité « pour ce mot de tendresse ovale, formé d’exil qui rompt l’exil. » Les poètes ont un rôle essentiel dans la transmission de l’origine d’un peuple, d’une ethnie, d’un groupe.

L’histoire, avant qu’elle ne soit écrite était racontée déjà par des poètes, conteurs,troubadours ou griots qui transmettent jusqu’à aujourd’hui,l’histoire aux générations montantes. C’est « l’héritage des oreilles », disent les Africains. L’identité est une source qu’il faut préserver parce que chez certaines ethnies, on ne dispose d’aucun pouvoir pour la protection, c’est presque une identité clandestine,elle n’est sauvegardée que grâce aux chants, poésies, danses…par ces milliers d’ethnies très nombreuses à travers l’Afrique.

K. Zerbo, le grand historien a écrit : « Si l’on accepte la folklorisation des acquis culturels des ethnies, sous forme de musique, on réduit petit à petit la culture. La culture n’est pas ce qui reste quand on a tout oublié, mais ce serait plutôt ce qui reste lorsque économiquement tout va mal, donc les identités culturelles sont des ressources plus importantes que les ressources économiques car elles sont en perpétuel création, c’est un art de vivre ».

Depuis l’avènement de l’écriture, la littérature témoigne de la place que tient l’histoire dans la mentalité des Africains. C’est la transmission de tout ce qui constitue cette littérature,par les griots qui font sa richesse, sa diversité.

A cause de sa prodigieuse mémoire, le griot constitue les archives vivantes de l’identité culturelle africaine de la naissance à la mort en passant par les religions, rites, vie sociale, signes d’appartenance de chaque ethnie ou dans la diversité, tout le monde vit dans une parfaite harmonie.

Les signes d’appartenance ethnique

En milieu ruruba, les cicatrices faciales sont très commodes, elles communiquent directement avec ceux qui les lisent. Elles représentent une carte d’identité culturelle indélébile pour ceux qui les portent. Elles parlent le langage de la beauté de la lignée ou celui du langage spirituel ou religieux. Un simple coup d’œil pour celui qui connaît le langage de ces cicatrices faites au couteau suffit pour déterminer son groupe ethnique, son village et même sa famille.

L’histoire culturelle de l’Afrique est une source inépuisable d’inspiration pour les générations actuelles d’artistes de tout bords. La poésie africaine est entrée dans le patrimoine universel, c’est l’expression de la vie d’un peuple,de sa passion, son désir de dire l’inédit. C’est le chant de la terre qui est interprété en poèmes ou en danse.

La poésie amoureuse traditionnelle

L’amour ne s’avoue pas, ne s’exprime pas vraiment en Afrique comme au Maghreb, sauf à travers les chants et la poésie.

Cette image d’un public éclatant d’un rire gêné à la vue d’une scène d’amour sur un écran de cinéma en est bien la preuve.

De nombreuses langues africaines possèdent au moins un mot signifiant ce qu’amour exprime dans les langues européennes. Wan n’yinyi en fon,fi tiavana en malgache, apendo en swahili.

Ce sentiment amoureux présent dans la vie chantée ou poétique des Africains est exprimé dans un très beau disque qui s’intitule : « Chant de chasse d’amour et de moquerie ». Les premiers morceaux sont des chants accompagnés par la harpe cithare « bogongo » dont les percussions en calebasse ne sont autres que des boîtes de conserves et des marmites en métal.

Ces chants sont interprétés le soir par les chasseurs restés longtemps séparés de leurs femmes. Ils sont mis en valeur par une admirable polyphonie de femmes et d’enfants.

Le refrain est toujours le même :

Mon épouse appelle-moi, seul dans la forêt,je n’entends que ma propre voix.

Le chant d’amour est d’abord un chant de solitude, il s’exprime avec une infinie douceur.

Cependant, les chants d’amour des pygmées, puisque c’est d’eux qu’il s’agit, se limitent pas à l’expression du désir, ils abordent aussi tous le problème amoureux.La plus belle chanson de ce disque, « Elurna ya basé malonga » ou « La séparation des mariés », traite de la désullision au sein du couple.

Les chansons anciennes, adaptées au temps actuel, nous renseignent, avec des mots voilés, sur les mœurs de telle ou telle ethnie. « Akignagna » ou  » la chanson des veuves », est interprétée par les femmes :

Je ne suis pas menteuse, mais j’ai perdu mon équilibre

Je ne suis pas voleuse, mais j’ai perdu mon équilibre

Je ne suis pas prostituée, mais j’ai perdu mon équilibre

Car la mort de mon premier mari

Fait perdre tout équilibre

Toute femme intègre.

Equilibre signifie ici, vertu.

Chants de révolte et de protestation

Une poésie foisonnante contre l’humiliation subie par les femmes et leur mal de vivre,est dite ou chantée par les femmes. « Kemokari fassen » est une chanson de jeunes filles contre le mariage forcé :

« Le crachat gluant d’un vieillard

Pour remplir une petite calebasse

Sa barbe est en broussailles

Peut couvrir le toit d’une case

Ses yeux sanglants perçants

Sont aussi rouges que le piment

Que je sois très heureuse

Ou profondément malheureuse

Je n’épouserai pas un vieillard

Cette poésie satirique mais Ô combien protestataire,ne nous rappelle pas cette autre poésie kabyle ?

Ak t wessigh a tiqcicin

Zwadj bumghar ala

Imi d ikcem deg imi t teburt

Iruh lhal d laaica

Gragh d lemaada rebbi

Ur sa3gh yiddes a aderya.

Ak t wessigh a tiqcicin

Zwadj bumghar dirit

Imi d ikcem seg imi n teburt

Iruh lhal ttamadit

Gragh lem3ada rebbi

Ghures ur ddigh tislit

En Afrique, les femmes, souvent, adaptent les chansons traditionnelles à la conjecture actuelle:

Jeunes filles mes amies

Sautons haut plusieurs fois

Celle qui s’arrêtera de sauter

A la maladie du sédé

Qui, tôt ou tard

Eclatera au grand jour.”

Cette chanson jadis joyeuse, accompagnait un jeu d’endurance pratiqués par les filles à Kankan’Guinée)est transformée avec les nouvelles paroles en chanson bouleversante qui touche une triste réalité qui est celle de la maladie du sida.

La chanson triste et nostalgique mais dans un autre registre est interprétée par l’homme touareg, accompagné par une femme, à l’imzad :

En ce jour où j’ai quitté Tella

Elle tenait une galante réunion

Aux personnes qui étaient là

Je suis parti l’âme en douleur

Le cœur embrasé

Comme un tison enflammé

Que le vent chaud du désert

Brûle de tous les cotés.

Chants de révolte

en douleur

Le cœur embrasé

Comme un tison enflammé

Que le vent chaud du désert

Brûle de tous les côtés.

La tradition attribue ce chant troublant à Ag-Sidi-Mohammed

Ah que ma monture aille vers l’aval

Que je visite le cimetière

Sous lequel repose mon aimée

O Dieu, soit loué pour sa peau

Surpassant la blancheur du lait

Ce jour où, bleuie d’indigo

Rappelant les vertes vallées

Du Paradis interdit à l’apostat

Son cou celui de biche élégante

Paissant à Yen Waggar

Son œil limpide comme la source

De Tinaddamen.

Si Mohand U Mhand disait

Temmut ta3azizt ur nemzir

Lmut ur tettaxtir

Rebbi itteddu di neqma

Ayakal ur tettghayir

Mla3yun n ttir

A3fumt as a lmuluka

D azawali ur y ittehqir d yellis n’lxir

Mahrumtt si ldjahanama

L’Amour au nom

de Dieu

Le soufisme ayant toujours magnifié le chant, la musique, la danse, l’amour, la poésie, la paix et la tolérance.

La journaliste Laurence Aloir écrit en 2004 au Festival des musiques sacré qui a eu lieu à Fès : « Au Sénégal,le monde musical est dominé par les chanteurs de la confrérie soufie comme Youssou N’Dour. Lorsqu’il a chanté « Touba » de son album « Sant Allah » « Merci mon dieu », c’était l’heure de la prière. En écho, tous les muezzins de la vieille ville se mettent à leur tour à réciter le coran. Un moment de grâce qui rompt avec la vulgarité des sonneries de portables. Infatigable et insensible aux nuisances de la salle,Youssou N’Dour poursuit ses louanges, puis le concert terminé, il s’en va, laissant sur son passage cet étrange parfum d’islam décontracté ».

O. Hadjira

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