«Qu’est-ce donc que le temps ? Quand personne ne me le demande,
je le sais ; dès qu’il s’agit de l’expliquer, je ne le sais plus».
Saint Augustin
n Amar Naït Messaoud
Ces réserves ont permis de faire des projections d’un plan de développement 2010-2014. De même, le gouvernement, à travers la loi de finances complémentaire 2009, a pu réorienter les choix économiques vers un développement auto-centré qui veut se soustraire au ‘’bazar’’ d’une ouverture incontrôlée. Cependant, puisqu’il doit y avoir ouverture, celle-ci n’arrive pas encore à trouver ses marques en matière d’attraction des investissements étrangers. Le climat des affaires de notre pays appelle décidément des réformes profondes de l’appareil administratif, du système bancaire, du foncier et d’autres paramètres à même d’inciter à l’acte d’investir. Les augmentations de salaires obtenues sous la pression ont tendance à être dévorées par une inflation rampante, officiellement située à 6 %. Le chômage, à un taux de 11,8 %, prend en otage une jeunesse qui se fixe toujours d’autres caps- sans jeux de mots- dans des aventures harragas toujours aussi fertiles. La grève des enseignants- 21 jours- a plus pénalisé les élèves que rapporté pour la corporation. Les rattrapages ne semblent pas pouvoir prendre les rythmes voulus. Sur le plan politique, la réélection de Abdelaziz Bouteflika pour un troisième mandat en avril 2009 n’a pas chamboulé la composition du gouvernement. Toutes les rumeurs de l’été sur le remaniement de l’Exécutif n’ont été que… des rumeurs. De même, les ‘’potins’’ portant sur l’agrément de nouveaux partis politiques n’ont fait qu’occuper pendant quelques jours les pages nationales de la presse. L’énigme reste entière. Loin d’une fastidieuse chronologie, nous proposons aux lecteurs quelques stations, sortes de points d’ancrage sur lesquels nous avions porté notre réflexion pendant les douze mois de l’année qui s’achève. C’est, bien entendu, un choix subjectif, mais qui reflète des centres d’intérêt réels que partagent beaucoup de lecteurs de la Dépêche de Kabylie.
Kabylie : entre fronde et droit au développement
De quelle façon et dans quelles proportions la relance économique mise en branle en Algérie depuis ces dernières années sera-t-elle réellement vécue dans le territoire de la Kabylie ? En d’autres termes, pourra-t-on réconcilier le vieux et fidèle couple travail- Kabylie après qu’il fut malmené par les errements de tout un système qui, pendant plus de trente ans, a fait prévaloir la médiocratie et l’assistanat générés par la rente au détriment des valeurs ancestrales de labeur et d’organisation d’une population qui avait érigé le travail en valeur sacrée ? Ces valeurs faites d’amour du travail, de rationalité et d’abnégation se sont effilochées à la suite de l’exode rural, de l’hégémonie du travail salarial permis par le développement général du pays et de l’installation de nouvelles valeurs culturelles rendues possibles par les technologies de l’information qui brassent le culturel et le ludique. Il s’ensuivit que l’ancienne organisation ancestrale de la société, avec son savoir-faire, son génie populaire et ses réseaux de solidarité a cédé face à ce qui s’apparente à une modernité de façade. De façade, parce que ses ressorts ne sont pas maîtrisés et sa ‘’culture’’ n’est pas complètement intériorisée. Le cas de la Kabylie en matière de développement s’est trouvé aggravé par la difficulté du relief, la densité démographique (atteignant les 400 habitants/km2) et la stérilité d’une planification centralisée qui avait traité, jusqu’au début des années 2000, d’une façon uniforme les question de développement à Draâ El Mizan, Tipaza, Ouargla ou Seddouk.
Une idée- provisoirement et partiellement vraie- a fait de la Kabylie une ‘’zone euro’’ de l’Algérie en raison de la forte émigration qui caractérise cette région depuis maintenant un siècle. La dévaluation du dinar depuis le milieu des années 80 a donné du tonus aux détenteurs de la devise française et a même crée des emplois dans le domaine de la construction et des services. Mais, on l’oublie souvent, la typologie de l’émigration algérienne est en train de subir de profondes mutations. Les vieux retraités disparaîtront dans quelques années et les jeunes installés ailleurs dépensent leurs devises in situ, sur le lieu même de leur acquisition. La Kabylie est en train de s’acheminer graduellement vers l’assèchement de la ‘’rente euro’’.
Les signes visibles de l’essoufflement sont là : chômage, banditisme, conflits fonciers, suicide, violence de toutes sortes, …etc. Malgré la bonne volonté des pouvoirs publics, il apparaît que les nouveaux projets de développement destinés à la Kabylie manquent de cohérence, d’imagination et de vision d’ensemble. L’une des raisons, et non des moindres, demeure la centralisation de la décision qui risque d’ignorer les spécificités naturelles et sociales de la région. Rien n’a filtré des détails des nouveaux Codes de la commune et de la wilaya actuellement en préparation au niveau du ministère de l’Intérieur, mais il semblerait que la révolution anti-jacobine est loin d’être engagée pour libérer l’initiative régionale et les énergies citoyennes.
Pour une véritable intégration nationale
Pour redonner espoir à une région qui a tant donné pour l’Algérie et pour insérer sa jeunesse dans une dynamique de développement qui exclut l’amateurisme et la navigation à vue, il y a lieu de faire accompagner les projets structurants- à l’image du barrage de Taksebt, de l’autoroute, du projet de distribution de gaz naturel sur les piémonts et crêtes- de réseaux de PME-PMI, d’investissements dans l’économie des services (NTIC,…), de formations qualifiantes et de soutien réel à l’agriculture de montagne et à l’artisanat. Bref, seule une économie intégrée qui s’appuierait sur la décentralisation et la mobilisation des énergies locales pourra redynamiser une région menacée par l’atonie politique, l’asphyxie économique et le délitement social. Sans remettre nullement en cause les nobles idéaux des revendications identitaires et culturelles et la passion qu’ils appellent, la nouvelle génération de jeunes veut aussi s’affirmer par le statut social et le travail. Ce besoin légitime est aussi partagé par la nouvelle élite économique, les capitaines d’industrie et les responsables locaux qui veulent voir exploitées les potentialités naturelles de la région au profit des populations. Ces potentialités ne manquent pas, à commencer par la matière grise qu’il faudra inciter par tous les moyens à s’investir dans la création de richesses. Lors des forums organisés par notre journal au cours des années 2004 et 2005 avec des acteurs économiques et des responsables de la région, il a été démontré que d’immenses gisements économiques créateurs d’emplois, y compris dans certains secteur de pointe, pouvaient suppléer à la pauvreté du sol et endiguer la fuite des capitaux. La pêche, l’industrie légère, la pharmacie, l’agroalimentaire, l’agriculture de montagne, le tourisme, les services et d’autres créneaux pourront, avec l’intervention des pouvoirs publics-dans la réalisation des infrastructures et équipements indispensables (routes, électricité, AEP, télécommunications,…)- asseoir une dynamique de développement qui compléterait les efforts de l’État initiés dans la réhabilitation de la culture amazighe (à l’école et dans d’autres institutions). C’est cette relation dialectique-joignant le cœur à la raison- entre identité et citoyenneté, d’une part, et développement social et économique décentralisé, d’autre part, qui conditionnera l’harmonie et l’intégration nationale de la Kabylie.
Cadre de vie en Kabylie : cloaque de nos échecs
Des strophes fort inspirées de l’étoile montante de la chanson kabyle, Zedeg Mouloud, nous renvoient à une triste réalité que vit la Kabylie depuis quelques années en matière d’environnement et du cadre de vie. Sachets en plastique voltigeant au gré des vents comme des corbeaux, puanteurs drainées par les eaux usées ruisselant à ciel ouvert et autres objets ou milieux pestilentiels font partie du décor quotidien de la nouvelle Kabylie. Quel touriste étranger, quel citoyens sensé et quel gestionnaire conscient de ses responsabilité pourront soutenir la vue de ces décharges sauvages, monticules laids et putrides, qui jonchent la belle terre de Kabylie ? Le dépotoir de Oued Fali à la sortie de Tizi Ouzou, la décharge de la RN 26 à la sortie de Sidi Aïch, le pic fumant de la décharge sauvage d’Aghbalou en plein Parc national du Djurdjura, les deux grands réceptacles d’ordures de Aïn El Hammam, tous ces lieux méphitiques sont les cloaques de nos échecs et de nos errements. En cette Journée mondiale de l’environnement, le 5 juin, il importe de faire le bilan de la gestion environnementale des wilayas de la Kabylie. C’est une actualité lourde qui fait l’inexorable quotidien des habitants de la montagne et des villages kabyles. Les pages des journaux qui en parlent presque régulièrement contiennent paradoxalement l’actualité la plus impérissable, la moins aléatoire et la plus prégnante des femmes et des hommes que le hasard ou la nécessité ont placés sur ces pitons et ces vallons dont on a tant chanté la beauté et l’exubérance. Cependant, les luttes politiciennes entre coteries désuètes, les conflits entre administration et élus exacerbés par des intérêts bassement personnels et par l’obsolescence du Code communal en vigueur ainsi que d’autres handicaps liés à notre condition de pays sous-développé, particulièrement sur le plan culturel et éducatif, font que les populations sont prises en otage dans leur santé physique et mentale. L’un des signes probants de la manière dont sont gérées les affaires locales est justement le cadre de vie des citoyens. Dans les milieux urbains, la chute aux enfers ne date pas d’aujourd’hui. Les monticules d’ordures garnissant même la périphérie immédiate de certains hôpitaux, les eaux usées dégoulinant le long des murs des bâtiments et les conduites d’AEP jaillissant tels des geysers ne choquent presque plus la vue. L’élu ou le policier, dans un sentiment d’impuissance coupable, ferment les yeux sur ces sites immondes comme n’importe quel quidam. Cependant, jusqu’à un passé récent, l’arrière-pays montagneux vivait dans un relatif ‘’bonheur’’ écologique comme ultime compensation des ‘’privilèges’’ que la ville est censée prodiguer à ses habitants. Les habitants de la Kabylie, malgré la pauvreté du sol et le relief accidenté, vivaient en harmonie avec le milieu. Le système austère et discipliné de Tajmaât ne permettait aucun écart ou comportement délictueux qui nuirait à la collectivité. On n’avait même pas besoin de sapeurs-pompiers pour éteindre les incendies de forêts. La moindre déclaration d’une fumée suspecte mobilisait tout le village qui étouffait dans l’œuf le début d’incendie. Aujourd’hui, la dégradation des milieux physique et biologique a atteint sur nos montagnes et dans nos vallées un tel degré de dangerosité qu’aucune demi-mesure ne saurait contenir. Que deviendra le barrage de Taksebt si des stations de traitement ne sont pas installées en son amont ? N’y aurait-il aucune solution au problème du pillage de sable du Sebaou et de la Soummam ? Que dire alors du rétrécissement en peau de chagrin du couvert forestier kabyle sinon qu’il expose les versants de ces montagnes à une désertification désastreuse qui réduira l’oxygène, anéantira le bois et le liège et déstabilisera dangereusement les sols. Une autre politique de l’aménagement du territoire et de la protection des ressources naturelles capable de renverser la vapeur et de sauver ce qui peut encore l’être en travaillant pour un éco-développement durable est toujours possible en Kabylie. Demeure la volonté politique.
Écrire en Tamazight : pour une pédagogie de l’acte d’écriture
Une grande partie des acteurs de la scène culturelle kabyle et même des anciens animateurs des différents mouvements s’inscrivant dans l’historique lutte de revendication pour la consécration réelle de notre culture dans l’Algérie du 21e siècle convergent aujourd’hui vers la nécessité absolue de produire, d’enseigner et d’alphabétiser dans la langue berbère loin des discours creux et de l’emphase inutile. Aujourd’hui, les acteurs et les noms connus de la mouvance berbère sont ‘’sommés’’ d’aller dans le sens du pragmatisme et de se mettre au travail. Ce qui, il y a quelques années, s’apparentait à un fonds de commerce ou une rente, réclame d’être pris en charge sérieusement malgré les prévisibles embûches et les éventuels impondérables. Loin de la position confortable de boute-en-train et des professions de foi tranquilles et inoffensives, il importe, chacun dans le domaine qu’il juge être le sien, d’aller au charbon, de produire des livres, des films, des pièces de théâtre, des journaux ; de s’associer pour alphabétiser le maximum de monde et de travailler pour mettre fin à la banalisation qui plane sur l’enseignement de la langue berbère. Sans intention de vouloir s’envelopper d’indus lauriers ni de s’autoproclamer leader en la matière, le cahier hebdomadaire que La Dépêche de Kabylie a lancé depuis quelques mois en tamazight répond à cette logique d’aller vers l’essentiel, à savoir présenter un produit dans la langue des locuteurs kabyles. L’équipe rédactionnelle qui s’est assignée une telle mission abat un travail titanesque sans pour autant prétendre à la perfection. L’heureux événement fait jonction avec le logo du journal qui, depuis son lancement en juin 2002, arbore un beau ‘’z’’ en tamazight qui fait en même temps office de ‘’k’’ en français pour écrire le mot ‘’Kabylie’’. Étant tout à fait à sa période d’essai, ce cahier nous dit pourtant les vraies attentes des lecteurs kabylophones, particulièrement les élèves des classes en tamazight, qui commencent à en faire ‘’leur’’ cahier. De même, les nouveaux ‘’invités’’ du journal qui y écrivent en tamazight se font un devoir d’exprimer sur ce nouvel espace d’autres préoccupations que les anciens ronronnements politiciens et les lamentations traditionnelles qui justifiaient l’inaction par des fantomatiques ennemis qu’il fallait créer à défaut de les rencontrer. Pour nous en tenir spécialement à ce principe fondamental de production en tamazight, force est de constater que les meilleures énergies qui se sont investies depuis l’ouverture démocratique dans ce créneau- écrire en tamazight dans la presse- ont fait face à des difficultés quasi insurmontables, quand bien même certains animateurs ont fait carrément dans le bénévolat. Des périodiques comme ‘’Izuran’’, ‘’Asalu’’, ‘’L’Hebdo n’Tmurt’’, ‘’Rivages’’ sont passés comme des éclairs qui ont eu quand même le mérite de nous apprendre qu’avec notre langue, la communication est non seulement possible mais aussi agréable. C’est presque une thérapie désaliénante qui nous réconcilie avec nous-mêmes. En exprimant certaines réalités intimes de notre société avec le ‘’butin de guerre’’ qu’est la langue française, nous courons le risque, comme nous le signale avec une belle clairvoyance Mouloud Mammeri, de devenir des rapporteurs ‘’plus pervertis qu’avertis’’. Pour se permettre les pages en tamazight, le ‘’noyau dur’’ de la Dépêche de Kabylie a fait montre d’un trésor de patience nourrie par une passion sans limites pour la diffusion de notre langue sur un support médiatique très prisé. Un des animateurs de ces pages nous apprend qu’il tient surtout qu’on écrive en tamazight et non sur tamazight. La différence est de taille. Si la militance a conduit des rédacteurs à écrire des textes sur le mode de l’épopée- ravalant certains d’entre eux à une médiocrité digne de la langue de bois que l’on a tant combattue-, le travail pédagogique que réclame la revalorisation de cette langue aujourd’hui et le souci didactique d’accumuler des corpus exploitables pour les élèves et les étudiants font que Tamazight doit être déclinée dans son expressivité la plus directe et la moins ennuyeuse. Avec ce nouvel acquis, le journal se donne une autre dimension, élargit son audience et contribue, dans les limites de la vocation et des moyens du support, au travail de réhabilitation de la langue amazigh.
Le PANAF : l’agora africaine de ressourcement
Un ans et demi après la clôture de la manifestation culturelle intitulée ‘’Alger, capitale de la culture arabe’’- laquelle, soit dit en passant, a requis un budget de 5,5 milliards de dinars-, et quarante ans après le premier festival panafricain de 1969, l’Algérie vibre aux rythmes des voies, des mélodies et des airs africains dans le cadre du deuxième PANAF. Au moment où, à travers le monde, les repères culturels s’embrouillent et les valeurs de l’authenticité s’émoussent, la rencontre africaine d’Alger rappelle la nécessité de faire valoir, de réhabiliter et de promouvoir les cultures nationales non seulement du continent africain, mais aussi de toutes les contrées du monde où le développement technologique et industriel n’a pas permis une insertion harmonieuse et équilibrée des ces cultures dans le concert des productions culturelles du monde. Si des élites économiques ou idéologiques occidentales se gargarisent de la mondialisation des échanges, le tort ou les dommages collatéraux faits à la diversité culturelle ne sont ressentis et vécus comme tels que par les peuples dont le capitalisme mondial triomphant a voulu scotomiser la mémoire et réduire à néant leur contribution spirituelle et civilisationnelle à l’Humanité. Le pharisaïsme de ces élites prend beaucoup plus de relief lorsqu’il s’agit de défendre les cultures nationales d’Europe face à ce qu’ils n’hésitent pas à nommer l’ ‘’invasion culturelle’’ américaine.
On a bien noté cette forme d ‘ ‘’insurrection’’ patriotique au début des années 90 lors des négociations de l’Uruguay–Round entrant dans le cadre du GATT (devenu par la suite Organisation mondiale du commerce, OMC). Les pouvoirs publics du Vieux continent qui ont négocié la libre circulation des marchandises et des personnes ont opposé des restrictions drastiques, voire un niet, contre la liberté du commerce des produits culturels. On inventa sur-le-champ le fameux concept d’ ‘’exception culturelle’’ qui va d’une simple statuette ou banal silex jusqu’à la production cinématographique ?
À la puissance culturelle américaine, les Européens des années 90 n’ont vu comme possibilité de résistance qu’un archaïque protectionnisme. L’avenir ne leur pas donné raison, puisque la technologie numérique, et particulièrement l’Internet, porteuse des nouvelles valeurs culturelles, n’a pu être contenue par aucune balise administrative ou douanière.
En recevant chez elle le Festival panafricain, l’Algérie montre, certes, qu’elle a la volonté politique de travailler pour l’africanité en temps que concept politique et culturel, comme elle se montre capable de prendre en charge financièrement une telle manifestation d’envergure. Cependant, les Algériens voudraient voir cet effort continental se prolonger dans le temps et s’approfondir dans le contenu ici même dans notre pays. Autrement dit, imaginer et mettre en œuvre une stratégie culturelle permanente qui dépasse les simples conjonctures. On souhaité que, au moins, la même énergie et les mêmes dépenses consacrées à ce genre de manifestation- sinon plus, pourquoi pas- soient aussi consentis au réveil culturel de tout genre sur les douze mois de l’année. Entre l’authenticité de l’acte culturel et la fugacité d’un entracte, fût-il continental, les termes du choix ne sont pas, en fait, nombreux.
Le week-end de toutes les surenchères
Les Algériens ont inauguré le 14 août dernier le nouveau repos hebdomadaire dit ‘’semi- universel’’ après avoir été embarqués pendant 33 ans dans un week-end dit islamique. Cependant, cette mesure n’est pas accueillie avec la même ferveur par tous les acteurs de la vie nationale (administrations, entreprises, citoyens, partis,…), d’autant plus qu’une certaine presse- qui n’a de certain que le règne de la bêtise et de la médiocrité en son sein- a préparé le terrain psychologique à une forme de ‘’rébellion’’ qui allait gagner certains secteurs idéologiquement bien marqués. C’est ainsi que le ministre de l’Éducation nationale, en insistant un peu trop, dans sa déclaration au journal Echourouk, sur le caractère sacré de la journée du vendredi, décide d’annuler les cours censés âtre assurés la matinée de cette journée. Cela se fera au détriment des élèves, comme de bien entendu, puisque le volume horaire hebdomadaire devra rester le même. C’est le rythme des cours qui sera accéléré, et c’est l’assimilation et la performance qui en prendront nécessairement un coup. L’institution d’un nouveau week-end dit semi-universel mérite-t-elle une si frénétique levée de boucliers et tant d’anathèmes ? Ces lignes écrites au pied de la zaouia alawiya de Mostaganem sont inspirées par la sérénité et la forte spiritualité de ce haut lieu de théologie maghrébine. Le Cheikh de la zaouia, Khaled Bentounès, rejette d’un revers de main les arguties religieuses que certains ont voulu attacher au repos hebdomadaire. Il privilégie puissamment l’argument économique en posant la question : « Combien de milliards on perdait chaque année ? Il suffit d’aller consulter les statistiques du ministère des Finances pour savoir les pertes subies ». Il va plus loin en soutenant légitimement une thèse de poids : il n’y a réellement d’universalité que celle qu’impose le poids économique d’un pays, d’un peuple ou d’une civilisation. « Nous faisons valoir nos idées quand nous sommes véritablement productifs et que nous avons notre poids dans la balance des décisions mondiales. Mais, le monde musulman compte pour combien dans la balance aujourd’hui ? », ajoute-t-il dans une déclaration à El Watan. Le pragmatisme d’un chef d’une tariqa religieuse symbolisant l’islam maghrébin tolérant contraste manifestement trop avec certains cercles de l’administration qui se prennent pour les dépositaires de la foi des Algériens. En effet, nous assistons depuis quelques années à des phénomènes inquiétants dans les sphères social, culturelle et politique dans notre pays et qui, incontestablement, constituent des signes irréfragables d’un sous-développement général qu’il est irréaliste de vouloir endiguer par la simple magie du verbe ou par une quelconque prestidigitation politicienne. Une société qui jure par le symbolisme des formes, qui en fait une liturgie bien alimentée et prolongée par les cercles les plus rétrogrades et les plus rentiers du pouvoir, ne se donne certainement pas d’horizons prometteurs qui la feraient insérer dans la modernité et l’universalité. Les exemples ne manquent sur cette prégnance et cette hégémonie exercées par tout ce qui relève de l’idéologie, du symbolique et même du sentimental au détriment de la raison, de la rationalité et de l’esprit pragmatique. Lorsqu’une administration d’un pays fortement dépendant de l’étranger en matière d’approvisionnement reste sourde aux pertes générées- et qui se calculent en dizaines de millions de dollars- par la mise à l’arrêt des bateaux en rade en raison de deux week-ends cumulés dans une semaine, c’est qu’il y a quelque part une raison fêlée qui continue à présider à nos destinées. Par rapport à nos partenaires étrangers qui deviennent de plus en plus nombreux, l’Algérie n’a travaillé, depuis 1976, que trois jours dans la semaine, et cela au nom d’un ‘’impératif’’ religieux : la prière du vendredi. Pourtant, il ne faut pas être grand clerc pour pouvoir aménager une plage horaire pour permettre aux fidèles d’accomplir leur prière hebdomadaire. Une ‘’mini-révolution’’ vient d’être accomplie nonobstant la cacophonie qui tend à en remettre en cause le mouvement.
La statue de la Kahina : une phobie de Athmane Saâdi
Les combats d’arrière-garde semblent reprendre du poil de la bête au moment où toutes les données-défis économiques et culturels du pays et mondialisation des échanges- militent en faveur d’une Algérie dégagée de ses complexes d’ancienne colonie et débarrassée de toutes les pesanteurs idéologiques et rentières qui ont mis à mal ses potentialités et ses énergies créatrices. Les agitateurs de tous bords semblent, du moins pour une grande partie d’entre eux, mus par une lecture hâtive de ce qui s’apparenterait à des tergiversations de la part du pouvoir politique dans le domaine des valeurs idéologiques et symboliques. En effet, un certain flottement dans la mise en exécution du nouveau week-end a poussé certains cercles à s’enhardir de façon à vouloir remettre en cause une décision du gouvernement ou, du moins, à la vider de sa substance. Il en est ainsi du secteur de l’Éducation qui semble s’acheminer sérieusement vers l’élimination de la matinée du vendredi dans son calendrier scolaire. Personne parmi les pédagogues ou les responsables sensés ne croit à la solution décidée par le ministère de tutelle consistant à allonger l’année scolaire jusqu’au 4 juillet. Sur un autre plan, les sorties de certains gérontocrates de salon, nourris depuis toujours à la mamelle de la rente, ne saurait détourner l’attention des nouvelles générations sur la véritable histoire du pays, celle qui crée d’heureuses et fécondes passerelles entre le 1er novembre, le congrès de la Soummam et la construction d’un État et d’une société modernes. L’histoire est une autre fois convoquée par ces enfants gâtés de la République pour qu’elle soit injuriée, molestée, froissée et humiliée. Dans le quotidien El Khabar du 14 août dernier, Athmane Saâdi, président de l’ « association de défense de la langue arabe », se fend d’une chronique qui n’a rien d’humoristique ni de savant. Il est simplement si effarouché par la statue de la Kahina érigée pendant les années 90 à Baghaï (Khenchela) qu’il déclare cet acte comme kofr (renégat, apostasie). « La Kahena est morte en combattant l’Islam et les Musulmans. Elle a combattu l’entrée de l’Islam dans les Aurès », écrit-il. Au moment où les nations avancent vers le dialogue des civilisations, des cultures et des religions-avec une contribution d’une élite éclairée de notre pays- la frange la plus revancharde et la plus haineuse, parce que la plus inculte aussi, d’une pseudo-élite panarabiste et intégriste voudrait nous faire vivre des moments d’inquisition qui n’ont eu lieu ni en Égypte qui célèbre ses Pharaons, ni en Irak où l’on glorifie Hammourabi, ni en Syrie où l’on est fier de Palmyre. Il faut dire que la multiplication des actes et gestes de provocation se multiplient au fur et à mesure que la frange conservatrice et les cercles intégristes sont acculés par les avancées d’une Algérie qui se reconnaît dans une modernité assumée au même titre que ses valeurs d’authenticité. Le reflux des arabo-baâthistes pendant ces dernières années a été une simple tactique dictée par une conjoncture nationale et internationale qui ne leur était pas favorable. La prise de conscience de la communauté internationale du danger terroriste et l’ouverture de l’Algérie sur la culture et l’économie mondiales n’agréent visiblement pas aux porteurs d’idées figées et étriquées qui se recrutent dans les franges les plus conservatrices et les plus rentières d’une classe qui s’est autoproclamée ‘’intellectuelle’’ et qui se veut le tuteur indétrônable du peuple. Ils sont sans doute plus à plaindre qu’à être blâmés tant ils baignent dans un onirisme qui a pour substrat la sève délétère du parti unique issue de l’ère de la ‘’glaciation’’. Dans une Algérie où des individus se proclament écrivains, intellectuels et même penseurs sans crainte d’être dérangés ou confondus par de véritables valeurs sures exerçant dans ces domaines, l’effort à déployer pour rattraper nos retards sur le plan de l’éducation et de la culture sont tout simplement titanesques. Que l’on continue à croire en 2009- avec tout le sérieux affiché par l’auteur de la fetwa contre la statue de la Kahina- que la culture algérienne et l’identité nationale devraient être protégées par des oukases ou des édits, et cela dans un esprit d’exclusion de toute diversité, qu’elle soit nationale ou universelle, voilà un syndrome d’une impasse historique et d’une aporie indépassable qui condamnent ces exaltés et illuminés à un profond et définitif anonymat.
Football : l’épopée de Khartoum
Les places publiques occupées de force en juin 1991 par les éléments du FIS dans le cadre de l’opération alors appelée ‘’désobéissance civile’’ ont été investies au lendemain de la victoire de l’équipe nationale sur l’Égypte au stade de Khartoum dans un climat de joie et de fête par des millions de jeunes qui ont fêté la qualification de l’équipe nationale de football au mondial 2010. Signe des temps, presque deux décennies après les errements qui ont failli emporter le pays historique et les valeurs qui le fondent, la jeunesse d’aujourd’hui, par-delà la victoire dans un match de football-fût-ce pour la qualification au mondial-, invite les hommes politiques, les gestionnaires et les décideurs du pays, les élites et les universitaires à ‘’revoir leurs copies’’ quant à la vision qu’ils se font de la jeunesse algérienne et, au-delà, de la notion de citoyenneté et d’unité nationale. Outre le fait que le football puisse servir d’espace de représentation sociale surdéterminé pour une jeunesse dont les repères culturels, sociaux et politiques ont été brouillés et parasités, la nouvelle donne que la balle ronde met sur la table est que de nouvelles valeurs identitaires sont en train de prendre forme sur de nouvelles bases. Après que le nationalisme étroit-perversion de l’esprit de la Révolution de novembre 54- et l’islamisme radical-qui a évolué en terrorisme armé- eurent conduit à des impasses historiques, la quête identitaire et le besoin de promotion sociale ont poussé la jeunesse d’aujourd’hui à une forme de ‘’néo-nationalisme’’, tel que l’a défini dans la presse le sociologue Mohamed Tayebi de l’Université d’Oran. Ce sont de nouvelles valeurs qui préfigurent une autre vision de l’unité nationale dégagée des vieux carcans de la pensée unique et des modèles prêt-à-porter du panarabisme qui viennent de montrer leurs limites. Une vision émancipée qui fait valoir la force autonome de la jeunesse algérienne longtemps enfouie, reléguée et restée inaudible. Comment a-t-on pu réussir à transformer une énergie juvénile, fougueuse et prometteuse, en un boulet explosif que la société traîne nonchalamment et que les pouvoirs publics se contentent d’inscrire sur les tablettes de chimériques projets de développement ? Le monopole politique, la gérontocratie nourrie par ‘’la légitimité révolutionnaire’’ et la rente abritant une classe de ‘’médiocrates’’ ont- par effet de force centrifuge- rejeté sur les bords de la culture et de l’économie les enfants de l’Algérie nouvelle. Leur récupération par la mouvance intégriste a atteint ses limites objectives dans une étape historique où l’Algérie est appelée à s’ouvrir sur le monde aussi bien dans le domaine économique que dans le domaine de la culture. A une jeunesse poussée dans ses derniers retranchements et mise en situation de loques humaines il fallait nécessairement un déclic de la dimension de celui de mercredi pour exploser de mille énergies et pétiller de mille feux dans un concert uni et unificateur qui interpelle l’ensemble de la société. De l’avis de tous les observateurs, les manifestations de joie et les regroupements spontanés qui animent tous les quartiers des villes et toutes les bourgades d’Algérie depuis mercredi soir n’ont d’égal que les festivités de l’Indépendance du pays de juillet 1962. Ni protocole, ni cérémonie officielle, ni agenda précis pour ce genre d’explosion pacifique. Cette situation, c’est le moins qu’on puisse en dire, enjoint à toutes parties prenantes dans la gestion des affaires du pays de saisir une occasion en or- où tous les Algériens se retrouvent dans un bel élan d’union autour de la symbolique du football- pour refonder le contrat social entre gouvernants et gouvernés et pour ouvrir hardiment les chemins de la promotion sociale et culturelle pour une jeunesse censée être la première énergie et la fierté du pays.
Amar Naït Messaoud