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Karim Branis — qui ne s’en souvient pas ? —était la force créatrice du mythique groupe « les Abranis » qui a, dès les années 70 apporté un souffle nouveau dans l’esthétique et le genre musical, en modifiant les règles existantes et imposant sur la scène algérienne le rock n roll, un courant artistique très en vogue en France dans les années 60, importé des états unis et popularisé auprès du grand public grâce aux films d’Elvis Presley.
« Je dois rappeler que je suis installé en France depuis l’âge de 13 ans,en 1963. J’ai fait mes études dans ce pays et les jeunes que je fréquentais à l’époque étaient des fans d’Elvis Presley, Rolling Stones, les Beatles… J’ai grandi avec la musique de Chérif Kheddam, Slimane Azem, Taleb Rabah et autres, et même si j’appréciais leur poésie et leur mélodie,j’ai décidé de faire autre chose, de la musique moderne », répond-t-il à un journaliste de la revue Passerelles.
Et c’est ainsi que Karim Branis s’éloigne de la tradition folklorique et s’épanouit au contact de la musique du monde.Ses paroles nous renvoient tout de même dans le giron de nos aïeux où il puise la sagesse du terroir qui s’accorde merveilleusement avec sa musique comme dans cette superbe chanson « Abahri » qui nous replonge dans les belles années des spectacles d’Alger :
» L3aslama ay abahri
Awin idibwin lehwa
Lehwa inek tecba acewwiq
Id ikkan nig tesga
Acewwiq enni idger temghart
Emmis mi t tidemekta
Allen is akdefk t lexbar
Af ul is daxel amek iga
Azul le desert
La route s’étire vers le sud, nous roulons depuis quelques heures sur une piste rocailleuse après avoir quitté l’asphalte où la trace désolante de l’homme s’est manifestée dans les différents endroits par les sachets en plastique accrochés aux arbres et barrières…
Nous parcourons des vallées rocheuses, des plateaux de différentes formes et hauteurs, des gravures rupestres, le tifinagh en haut d’un amas de rochers que nous escaladons allégrement.
L’air pur, propre étincelant de lumière et de douceur, nous procure un sentiment de bien-être et de liberté.
Nous traversons des campements où les nomades élèvent des troupeaux de chèvres et de dromadaires ;les ânes paissent paisiblement l’herbe rare,ils ne se laissent pas approcher,ce sont des ânes libres de toute entrave !oui des ânes libres !
A l’horizon une barrière rocheuse en cache une autre, les montagnes surgissent devant nos yeux comme dans un rêve fantasmagorique.
Karim Branis s’imprègne de cette beauté sauvage, il se transcende afin de ne rien perdre des sensations qu’elle lui procure…
Entre les rochers poussent des buissons d’épines, de l’armoise à perte de vue, cette plante amère mais qui, dit-on, prise en infusion, favorise le voyage astral et les rêves lucides.
Sur la berge d’un cours d’eau, le laurier rose élève fièrement ses feuilles allongées et persistantes, à son pied se devine la menthe sauvage à son parfum fort et enivrant
L’enchantement est réservé a celui qui consacrera à cette merveilleuse nature, son temps et sa curiosité.
Karim Branis, sur son écran mental, visualise profondément tout ce qui l’entoure.
Partisan des quatre nobles vérités, il vit sa spiritualité très prés des choses simples.Il distribue à tout venant des litres d’eau sachant que ce liquide rare et précieux est le bienvenu dans ces contrés majestueuses mais arides.
Il s’émerveille aux noms berbères des lieux, qui résonnent comme une musique venue du fin fond de l’histoire authentique ; Tagmert, Tafilalt, Tefedest ou Tahagart…
Généreux, curieux, simple et subtil Karim est artiste à chaque instant. Il monte sur les rochers les plus hauts, tout prés de Dieu pour communier avec lui et les saints gardiens de ces lieux magiques.
Emu, le visage tourné vers ses rêves, les yeux songeurs, il prépare déjà ses prochaines mélodies.
Du rock chez les Touaregs
La soirée de gala du 24 décembre se prépare sur l’esplanade de la Maison de culture de Tamenrasset. L’orchestre composé de Belaid à la guitare, Yuva à la guitare électrique, Abdelhaq à la batterie, Nabil à la percussion, Samir à la basse, ils sont là les jeunes musiciens depuis le début de l’après-midi car un spectacle digne de ce nom ne s’improvise pas, tout est minutieusement revu et corrigé. C’est Karim Branis qui va chanter.
A 19h 27mn, la place est déjà pleine de monde. Des groupes de femmes aux voiles indigo suivies de leurs enfants prennent place au milieu d’autres ombres bleues dans la nuit fortement étoilée.
Après une première chanson interprétée par le charmant Belaid, Karim rentre sur scène, élégant et très à l’aise.Tout prés de sa ferveur mystique il donne à la scène sa puissance et sa noblesse. Il interprète : cnigh le blues, la terrible » lynda « , la nostalgique » avahri » qui nous replonge en plein désert dans les parfum enivrants de nos montagnes de Kabylie. Ou » ixaq w ul « . Les spectateurs envahissent la scène. En chèches, gandouras, voiles, jeunes et moins jeunes, femmes et hommes, se mettent à danser. La scène explose. Quel spectacle que celui de Karim et ses enfants ! Belaid et Yuva, conjuguant leurs talents pour déclencher une véritable passion digne de la réputation de leur père.
Yuba, avec sa puissance musicale et sa maîtrise de la technique est déjà pour lui seul, un spectacle. Le voir jouer est un plaisir pour les yeux et les oreilles.
Karim, dansant, chantant a su communiquer sa fougue au peuple du désert.Ces touaregs généreux, calmes et discrets.
Le ciel de l’Askrem
Envoûtante nuit du désert sous un ciel aux milliers d’étoiles scintillantes telles des miroirs dans les yeux d’une femme amoureuse
Nous arrivons à l’Askrem,- ermitage du père Charles de Foucault – un peu avant le coucher du soleil. Nous escaladons la montagne, entourés de toutes parts, de paysages saisissants.
Un silence religieux règne là-haut. Chacun de nous choisit l’endroit qui lui convient pour admirer l’un des plus beaux spectacles : le coucher du soleil derrière un époustouflant champ de montagnes. De cette altitude où le froid ressemble à une douceur, sous la voûte céleste, happés par la lumière rouge du couchant, chacun de nous entamera son irréel voyage mental de poésie. Qu’il est difficile d’assouvir cette passion visuelle qui, au petit matin, dans l’obscurité éclairée par les étoiles, nous donne rendez-vous pour un lever de soleil d’enchantement. Loin du tumulte des villes, c’est la révélation devant l’immensité, le retour à l’essentiel. Je suis sûre que Karim songe déjà à préparer des chansons inspirées de ce paysage du bout du monde sculpté par l’érosion.
Là bas on dit : » Au bout de la patience, il y’a le ciel « .
H. O.
