Recueillement, offrande et…parking

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Tizi Ouzou. Au pied de Rédjaouna. A la mi-matinée, il faisait déjà chaud. Le temps n’est pas clément. La route qui monte vers le grand village de Rédjaouna surplombant la ville des Genêts non plus. Elle est sinueuse, rétrécie, élevée, et pas du tout dégagée. Les bords sont fortement boisés, et la vue n’est pas forcément des plus prévoyantes. Le danger est permanant. Au départ du dernier quartier de la Haute-Ville, on a l’impression que les bâtisses ont carrément poussé sur le goudron. A ce niveau, seules deux bicyclettes peuvent se croiser sans manœuvrer. Un véritable entonnoir routier… Mais les habitués de ce tronçon, notamment les transporteurs qui assurent sur cette ligne qui dessert le Sanatorium s’y sont bien accommodés, depuis le temps. Plus haut, mis à part les bordures du chemin, rescapées du ravageur feu qui a récemment tout dévasté, il ne reste de la forêt que des cendres. En progressant dans la montée, le paysage est désolant. Le vert a viré au gris. Mais au loin, le regard trouve une bonne consolation. De là haut, on se croirait dans un avion, près du ciel, de Dieu. Sidi Belloua, le saint, est juste à côté. Le regard plonge instinctivement. Tout vous paraît à vos pieds. D’ici, Tizi ouzou ressemble à un large terrain de tennis. On rallie Tadmaït à Azazga d’un hochement de tête. De Rédjaouna, la vue a quelque chose de magique. Sidi Belloua divise le village en deux : El Bor à droite, Techt à gauche. Jadis, on n’hésitait pas à les comparer à…la RFA, et à la RDA. Et pourtant, mis à part le brouillard des matinées hivernales, la comparaison est des plus virtuelles. Mais chacun son rêve. Ici, on a plutôt un penchant pour l’Allemagne. Un rituel sacré et ancréMais on est aussi fier des siens. Le village est l’un des premières bourgades kabyles à prendre les armes contres le terrorisme. Et ils les ont toujours en joue. Les éléments de la Police communale étaient en nombre ce jour là encore à prendre position du côté de la zaouia, au cas où… Ils veillaient sur les alentours. Au fronton du portail, une grande banderole souhaite la bienvenue aux visiteurs. La grande cour accidentée est bondée de véhicules. On y retrouve presque de toutes les wilayas. On a même distingué des plaques 75, 93,…de là bas. Des familles sillonnent l’espace. Les va-et-vient sont incessants. Dans l’enceinte de la zaouia, une imposante mosquée, les organisateurs s’affairent à mener à terme leur programme. Au menu : exposition, conférence sur le parcours du défunt Rabah Bounar, témoignages et interventions des invités, remise de titres de reconnaissances aux étudiants de la zaouia, déjeuner, du couscous à la viande, offert aux invités… « Tout ce qui est servi provient des multiples offrandes de bienfaiteurs ». Les deux bœufs qui ont été sacrifiés sont une donation d’une émigrée de la région, et de M. Salah Hannachi, témoigne Rachid Asma, président de l’association religieuse. Il est aussi président…de la commission d’arbitrage de la ligue de football de wilaya. Pour lui, il n’y a rien d’étonnant à cela. « Les gens m’ont sollicité, je suis pratiquant, et en religion on ne peut pas dire non, voilà comment je me suis retrouvé là ». Salah, c’est le frère de Moh Cherif, le président de la JSK. Ce dernier est aussi un fidèle donateur à la Zaouia. Il a déplacé à plus d’une fois son équipe sur les lieux pour, pourquoi pas, avoir la « baraka » du saint dans les conquêtes africaines. Et ça a plutôt bien marché. Enfin, jusqu’à…Fello Stars. Mais c’est déjà de l’histoire ancienne. Et puis, aujourd’hui n’est pas un jour de la JSK. C’est celui de Sidi Belloua. La ouâada qui est tenue à la Zaouia est en son honneur. On a fait don pour avoir un peu de sa « baraka », et on vient manger pour avoir aussi de sa « baraka ». La « baraka » pour avoir Moufida ?Le corps du saint repose dans une petite chambre qui abrite son mausolée, bâti un peu plus haut que la zaouia. Ici, l’accès aux hommes n’est pas interdit mais on se sent quand même de trop. C’est plutôt un espace réservé aux femmes et aux enfants. Des bougies y sont allumées. Le rituel veut que chaque visiteur qui y accède fasse au moins un tour du cercueil drapé d’une large écharpe verte. De son vivant, la légende raconte que Sidi Belloua est venu s’installer à Rédjaouna après avoir fait escale dans un premier temps à Larbaa N’Ath Irrathen. Il est dit que son grand-père, Sidi Athmane, qui est le petit-fils de Sidi Abdelkader El Djilali, venait du Maroc, de Saqia El Hamra, pour rejoindre Baghdad. Mais arrivé en Kabylie, il se sentait tellement diminué qu’il a fini par s’installer à Ouacif où d’ailleurs une zaouia qui porte son nom existe à ce jour. C’est là-bas qu’il fondera un foyer. Un de ses enfants, Ahmed, sera par la suite le père de quatre enfants dont Sidi Belloua qui est allé s’installer dans un premier temps à l’ex-Fort National avant de se déplacer à Rédjaouna où il y vivra et sera enterré. Il n’a jamais eu d’enfant. Le récit est de cheikh Ramdane Fertouche, instituteur à la zaouia. Mais ici tout le monde se veut son enfant. Surtout en pareilles circonstances. On y vient de partout pour implorer sa « baraka ». Chacun son souhait. Omar, lui, a laissé son souvenir sur l’un des murs qui donne sur le côté est du cimetière. Il a écrit ceci au centre d’un grand cœur transpercé d’une flèche : « Je t’aime Moufida »… Il a dû le faire dans un passé lointain. L’état de l’écrit le laisse penser. Omar est-il aujourd’hui uni à Moufida ? On l’espère pour lui. Ce jour-là d’autres jeunes étaient, eux, ici pour un autre souci : ils tentaient de faire payer 30 DA le parking aux visiteurs véhiculés au sortir de la zaouia… Mis à part ça tout a été parfait.

D. C.

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