Une peau de chagrin

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Un vent violent siffle par-dessus les collines et coiffe les crêtes d’une force sournoise. Au-dessous, des grappes de villages galbés s’agglutinent à un relief très abrupte. Dieu, qu’ils sont beaux ! Cependant, les rues d’Akfadou, Ath Mansour, selon le patois local, sont presque vides. Un froid acéré se faufile entre les remparts des habitations collées les unes contre les autres, héritage d’un passé séculaire dont la fragrance diffuse le parfum de la fraternité. Ceux qui osent braver ce climat sibérien se dirigent à toute vitesse vers les échoppes, les lieux de travail sinon les cafés maures de Ferhoune ou ceux de Tiniri.

“Chez nous, il n’y a pas où aller, surtout lorsqu’au beau matin, on hérite d’un “temps de chien”, comme aujourd’hui !” Notre interlocuteur ingurgite sa tasse de café et toussote dans son poing. Nadir à vingt cinq ans, il est chômeur depuis toujours. Les genoux tremblants de froid, il continue : “La maison de jeunes ou centre culturel, appelez-le comme vous voulez, est le parfait exemple de ce qu’on appelle cheikh I’kanoun ! Jamais ouvert. La voûte d’à côté sert de hangar aux carcasses de voitures. Par beau temps, je m’improvise bûcheron, mais on m’a dénoncé aux autorités et j’ai cessé ce travail qui, dit-on, sape la forêt qui nous entoure”.

La cafétéria est pleine à craquer, du comptoir émane les brouhahas et autres rires saccadés comme des vagues aux mugissements colériques. La voix mélodieuse de feu Youcef Abdjaoui crachote continûment à partir d’une mini chaîne-stéréo. Un homme s’approche de Nadir : “Ils disent que le SNMG est réévalué à 15 000 dinars. A quoi bon ? Un aller-retour de Ferhoune à Sidi-Aïch coûte 80 dinars. Un travailleur perd en route la moitié de son salaire”.

Parcourir le chemin menant à Sidi Aïch peut s’avérer réjouissant comparativement aux travailleurs qui s’en vont jusqu’à Akbou, El Kseur ou Bgayet. Mais, le pire s’annonce en fin de journée. Passées les 17h30 ou 18h, la nuit couve et il n’y a plus de transport de Sidi Aïch vers Ath Mansour. Cette pilule est si difficile à avaler, parce qu’elle est une règle hivernale très observée, et de deux parce que de notre temps prendre un autostoppeur à la nuit tombée est une habitude lourde à porter dont les automobilistes s’en passent à souhait, résidu d’un réflexe né lors des années de chape terroriste.

Plus de sept mille personnes vivent dans cette bourgade au passé glorieux, réparties en quinze villages. Une moitié est partie vivre loin, nous précise-t-on par ailleurs. Pourtant, à y regarder de près, les villages d’Ath Mansour sont immensément volumineux et surtout parsemés d’une multitude d’habitations aux styles rivalisant d’extravagances. “C’est le village Zioui qui est le plus chic, dit le cafetier. Tournant la tête vers l’extérieur, en direction du golf maritime, il ajoute : “Ce sont les émigrés qui se permettent ces luxures. Et c’est grâce à l’euro que l’on arrive encore à joindre les deux bouts dans nos villages”.

Le chômage et l’oisiveté qui pénalisent cette belle région ne sont pas sans conséquences. La drogue est un secret de polichinelle ! Elle circule de main en main avec une banalisation effarante et tend à atteindre les jeunes esprits dans une totale impunité. Cette localité a été insidieusement ébranlée par la nouvelle de deux vols caractérisés : une maison passée au peigne fin et une voiture prise au garage même de son propriétaire.

Si les bonnes volontés ne manquent pas, mais investissant uniquement dans des secteurs à résonance locale, tels l’élevage ovin et bovin, les poulaillers, les cafés, la soudure, fast-food, menuiserie, librairie et autres alimentations générales, les projets de poids n’effleurent qu’à peine l’esprit hermétique des décideurs. Les routes sont étroites comme un triste vestige de l’ère coloniale, le gaz de ville est inexistant, la bonbonne est cédée entre 220 et 230 dinars quand elle est déjà disponible, le journal se lit souvent en retard contre 12 dinars au lieu des 10 dinars affichés officiellement. Le débit de l’ADSL est si faible que la connexion Internet ne captive plus grand monde.

Au centre de soins, le personnel médical est en grève depuis quelques jours à faire rêver les habitants de ne pas tomber malade. Au siège de l’APC, même les lampes qui éclairent l’intérieur sont éteintes, acte synonyme de la pauvreté d’une municipalité qui subsiste avec un PCD (Plan communal du développement) qui ne fait jamais long feu ! En été, les robinets demeurent à sec des jours durant portant un coup de massue à une population qui se retrouve multipliée par deux avec l’arrivée des émigrés et autres blédards exilés quelque part en Algérie. “On a beau construire des écoles, des lycées, des centres de formation, aller étudier à l’université mais après ?” s’interroge un jeune qui vient d’achever son service militaire. Et après ?

C’est justement cette épineuse question qui donne le tournis à pas mal de monde. Et pour les femmes c’est pire ! Au café de Tiniri, lorsque l’on parle des problèmes de la localité, un sentiment d’irréparable gâchis vient empourprer les visages et sonne comme un préjudice abyssal qui ronge une population renvoyée dans les bras de l’inertie alors qu’intrinséquemment, elle est débordante d’énergie et de créativité. Pour l’heure, le ciel d’Akfadou gronde. L’hiver y est bien implanté. Mais dans les regards luisent des bribes d’espoirs que chacun peaufine individuellement après chaque gorgée de thé.

Tarik Djerroud

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