M. Abdenour Abdeslam a eu du mal à cacher sa joie en rendant visite à Akfadou pour la seconde fois. Invité par l’Association imghan pour donner une conférence, le chercheur a passé plus de deux heures à éplucher la vie et l’œuvre de l’Amusnaw devant une foule nombreuse armée d’une curiosité débordante.
Ainsi, l’orateur ouvre son intervention sur l’un des poèmes de Ccix Muhend U L’Husin dont il est manifestement friand, et en prend source pour montrer les accointances indirectes entre le poète et l’Amusnaw. En effet, jusqu’à l’âge de douze ans, précise le conférencier, Mouloud vivait à Taourirt Mimoun et demeurait longtemps à écouter les gens du village qui venaient chez son père, Amin d’Ath Yenni et armurier de son état. Le local devenait par la force des choses sa première école où il béquetait le savoir et la perspicacité des grands et, solitairement et secrètement, il aimait transcrire les poèmes du Ccix. Parti ensuite au Maroc, Mouloud s’ouvrait sur un monde qui n’est pas différent du sien et prenait conscience que les frontières du monde amazigh sont plus larges. Les années passaient et les rencontres multiples qu’il avait connues lors de sa mobilisation durant le deuxième conflit mondial nourrissaient d’une part sa curiosité et d’autre part lui insufflaient un attachement viscéral pour sa langue et son identité. Lorsque sonna l’heure de la guerre d’Algérie, Mouloud s’activa avec sa plume et signa plusieurs tribunes de presse sous le pseudonyme Bouakkaz. L’orateur cite au passage que le discours de M’hamed Yazid prononcé en 1957 à la tribune de l’ONU était rédigé par l’auteur de La colline oubliée et avoue avoir pris contact avec l’ancien diplomate pour apporter son témoignage sur l’engagement de Mouloud durant la guerre, car, dit-il, après sa mort, des langues se sont acharnées pour souiller la mémoire. Mais, en 1957, la police avait découvert que Bouakkaz était Mammeri, pour fuir les sévices qui allaient pleuvoir, Mouloud prit le chemin du Maroc jusqu’en 1962.
“A l’indépendance beaucoup de rêves s’étaient évaporés”, dit le conférencier, et tamazight devint le parent pauvre de l’algérianité.
Et la Kabylie mise en quarantaine comme «le double blanc dans une partie de domino ; il compte dans le jeu, mais ne vaut que tripette au moment du calcul!»
N’empêche que, nommé professeur à la fac centrale, Mammeri usa d’une rare sagesse pour rallumer la flamme de l’identité et provoquer des étincelles dans plusieurs esprits. Rédigeant la grammaire par là, donnant des cours par-ci, voyageant aux confins des frontières du pays berbère (Oasis de Siouah à l’est et les îles Canaries à l’ouest) pour alimenter la tour de Babel de l’amazighité, l’infatigable Mammeri préparait inconsciemment l’explosion du printemps 1980, où sa conférence sur les poèmes kabyles anciens fut interdites mettant ainsi le feu aux poudres et sonnait la remise en cause solennelle de l’histoire et de l’identité de l’Algérie officielle. Hélas ! Moins de dix ans plus tard, la voiture de Mammeri percuta un arbre du côté d’Aïn Defla laissant le romancier pour mort.
Depuis, que d’eaux ont coulé sous les ponts ! Tamazight évolue ; devenue langue nationale, enseignée dans certaines écoles et même une télévision nationale a fini par adopter la langue de Mouloud.
Cette longue conférence a suscité quelques pics à l’applaudimètre et surtout elle a été une occasion pour les jeunes catégories (il y a eu la présence de beaucoup d’écoliers) de s’ouvrir les yeux sur un pan entier de l’histoire du pays, l’itinéraire d’un homme hors pair et d’un combat jamais arrivé à sa fin car, la rayonnement de tamazight nécessite encore travaux, recherches et divulgation tous azimuts. Après la conférence, un débat chaud a eu lieu portant essentiellement sur la place de la langue amazighe en Algérie, en Méditerrané et dans le monde.
Tarik Djerroud