Des prises de vue superbes, des acteurs qui incarnent plus qu’ils ne jouent, une atmosphère prérévolutionnaire par un bruitage terrifiant. Ahmed Rachedi a réussi le pari de réaliser un film aussi grand que l’homme auquel il est consacré. Le réalisateur de L’Opium et le bâton et de Le moulin de monsieur Fabre, s’acquitte sans défaillir de la très lourde tâche de raconter Mostefa BenboulaÏd. Un film projeté, vendredi à la maison de la culture Taos-Amrouche dans le cadre des activités du Café-Cinéma, en présence du réalisateur et de quelques-uns des interprètes. Une superproduction de 230 millions DA, qui est quitte pour ses frais. Des batailles sanglantes dans les Ardennes puis dans les Aurès, une reconstitution « carte-postale » d’Alger d’après l’armistice, les angoisses et espoirs glauques des activistes du CRUA. Des séquences dignes de Spielberg. Interprété par Hacene Kechache, le héros des Aurès, dont on manque d’images, n’aura désormais plus d’autres visages, gageons-le, que celui de ce film. Et on ne peut imaginer meilleur « rendu » de Krim Belkacem, qui pourtant est bien plus «imagisé» que celui de Samy Allam. Slimane BenaÏssa a tout bonnement redonné vie au totémique Messali El-Hadj au prix, révèle le réalisateur, d’un long séjour canadien auprès de la propre fille du Zaïm pour s’inspirer de sa faconde et de sa gestuelle mégalomane. Avec Chawki, Ahmed Rachedi aura su trouvé un jeune homme raide et effilé pour jouer Si Tayeb el-Watani, dont la mythologie historique est quelque peu égratignée par ce film : ce serait plutôt Benboulaïd que Boudiaf, qui aurait joué le rôle moteur dans la réunion des 22 puis dans celle des « six », Nuit des longs couteaux précédant le coup de grisou du 1er Novembre 1954. Car, quoique produit par le très « gardien du temple», le ministère des Moudjahidine, le film signe une mise à mort des clichés « bureaucratico-révolutionnaires » dont lesquels l’Algérie officielle tente de « chloroformer » l’image des hommes de Novembre. Ahmed Rachedi a voulu faire de Benboulaïd ce qu’il a sans doute été : un homme d’exception certes, mais un humain avant et après tout, et traiter sans hésitation de certains aspects liés aux combats des hommes : lutte pour le pouvoir, envies, doutes et espérances. Adjoul Adjoul et les graves dégâts qu’il a fait subir à la conduite de la guerre lors de l’arrestation de Benboulaïd, la prise en charge, certes subliminales, des doutes liés à sa mort à la faveur de l’explosion d’une radio parachutée par l’armée française, l’atmosphère de doutes et de suspicions qui régnait parmi les Chaouias, sont courageusement prise en charge. L’épisode de l’évasion de Benboulaïd de la prison-forteresse de Coudiat avec des compagnons tels que Tahar Zbiri est très longuement reconstituée. Pour la petite histoire, Benboulaïd est l’un des rares films d’évasion où, en rupture avec un petit pêché véniel du cinéma, on voit où va la terre extraite lors du creusement du tunnel de l’escapade. Le film raconte l’enfer de la libération et le dévouement sans failles de Benboulaïd pour extraire l’Algérie de l’affreuse nuit coloniale et de la morgue suffisante des colons. Une œuvre émouvante jusqu’aux larmes qui nous réconcilie avec notre histoire et nous apaise en même temps. Qui donne aux jeunes générations de nouveaux repères à travers le rappel d’épisodes de la glorieuse guerre de libération et qui, très certainement, tord le cou à l’apocryphe historiographie officielle. Cela gêne fatalement. Ahmed Rachedi qui se voue à la création d’une «nouvelle mythologie» n’entend pas s’arrêter-là.
Il veut poursuivre avec Krim Belkacem. Un scénario coécrit par Boukhalfa Amazit et le commandant Azzedine qui ne trouve toujours pas grâce aux yeux du ministère de la Culture, sollicité pour une production. C’est dire…
Mohamed Bessa
