… Et Dieu créa Fadhma !

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Je suis seule comme l’aigle blessé

L’aigle blessé entre les ailes

Tous ses enfants se sont envolés

Et lui ne cesse de pleurer

Pitié, ô maître des vents

Venez en aide à ceux qui souffrent

C’était ainsi que déclamait Fadhma Ath Mansour au soir de sa vie, lorsque sa santé chancelait, ses tresses de cheveux blanchissaient et pas moins de cinq de ses enfants avaient déjà péri. Et « Histoire de ma vie » restait un legs pour ses enfants Mouhoub et Taos dont la postérité retiendra l’attachement viscéral pour la terre et la mère.

Née en 1882 du côté de Tizi-Hibel, l’enfance de Fadhma fut vite marquée par les circonstances de sa venue au monde qui ne cessait de lui jouer les rabat-joie ; née hors mariage, son père refusant de la reconnaître et ainsi la mère fut chassée du village. Comme Eve, la femme est une éternelle fautive ; le mal du mâle ! Une vie, en somme, digne d’un roman ! Et depuis que ses sens pouvaient capter les émotions, le sens d’un regard et la valeur d’un mot, la fille Fadhma allait de couvent en couvent, des Ouadhias à Larbâa jusqu’à Ighil Ali. Tout au long, le périple fut harassant et elle dût trimer pour manger, lutter contre la faim, contre la maladie et contre la haine. Cependant, elle aimait la fréquentation des femmes âgées, elles mêmes plus tendres et nettement savantes ; ainsi, la fille au regard d’ange devenait le réceptacle impénitent des chants kabyles du Djurdjura et d’ailleurs qu’elle ressassait en solo pour retrouver sa plénitude intérieure d’où elle puisait matière pour s’accrocher aux ailes de l’espoir. « Histoire de ma vie » est un bouleversant témoignage rédigé dans les pas d’une randonnée vécue sur des charbons ardents qu’elle soulignait par un chapelet de chagrins qui se suivaient et les joies qui se raréfiaient. La vie de Fadhma fut un chapitre d’une comédie humaine atrocement douloureuse et singulièrement révélatrice d’une âme éprouvée mais néanmoins riche et fertile ; une vie à l’image d’un confluent de plusieurs courants souvent cruels et amplement durs. « Rien ne vaut l’amour maternel » et dans cet amour se trouvait la mamelle dont ses enfants tétaient la philosophie kabyle bâtie sur une immuable matrice faite de modestie, respect, tolérance et droiture. Ainsi, Jean Mouhoub et Louise Taos construisaient une œuvre avec des pierres angulaires solides, justes et universelles. Jean avoua qu’il détenait de sa mère l’essence de tous ses poèmes, et de tous ses chants. De même, Taos rédigeait « Solitude ma mère » entre autres comme la mer et la rivière ne faisaient qu’un !

Même partie en Tunisie, Fadhma demeura fidèle à sa moelle kabyle et heureuse dans son âme de Jugurtha ; elle semait de bonnes graines et ses enfants récoltaient des vertus. Ses chants, au lieu de diviser, ils ne faisaient qu’unifier les courants. Toute sa progéniture qu’elle avait eut avec Belkacem Amrouche portait des prénoms musulmans et chrétiens qui se conjuguaient comme un brin et un fil à coudre pour conjurer la longue ligne de fracture. « Je te salue, Fadhma, fille de ma tribu, pour nous tu n’es pas morte. On te lit dans les douars, on te lira dans les lycées, nous ferons tout pour qu’on te lise ! », écrivait Kateb Yacine en préface d’Histoire de la vie de Fadhma, morte en 1967 en France, à l’âge de 86 ans.

Tarik Djerroud

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