La cinquième session du Conseil d’association Algérie-UE qui a eu lieu la semaine passée à Luxembourg s’est focalisée sur les conséquences sur l’économie algérienne des démantèlements tarifaires des produits en provenance de l’Union européenne. C’était là du moins le souhait de la partie algérienne depuis des années. Signé en 2002 et entré en vigueur en 2005, l’accord d’association prévoyait un démantèlement progressif des droits d’entrée des produits européens. La liste, qui comprenait en 2005 quelques dizaines de produits, était appelée à s’étoffer jusqu’au démantèlement total prévu pour 2014.
Au vu de l’état de notre économie eu milieu des années 2000, des représentants d’entreprises, des patrons et même des partis politiques ont montré leurs vives réserves quant au contenu de l’accord d’association. En effet, l’économie algérienne n’était pas qualifiée- elle ne l’est pas toujours- pour se permettre d’être ‘’envahie’’ par des produits européens soutenus par des procédures douanières. Pou certains observateurs, il s’agissait, ni plus ni moins, d’une concurrence déloyale faite à la balbutiante production nationale. Cette dernière, et dans ses différentes filières (textile, cuir, électronique, petite industrie, produits alimentaire,…), n’était préparée à subir à se mettre sur le terrain de la compétition d’une façon aussi abrupte.
Les pertes douanières pour l’Algérie sur l’intervalle 2005-2009 se chiffrent à quelque 2,5 milliards de dollars. Pour les sept prochaines années, les projections tablent sur des pertes d’environ 8,5 milliards de dollars.
Le constat a été fait au cours des deux dernières années par les autorités politiques du pays et par les gestionnaires de l’économie : pour un dollar exporté vers le territoire de l’Union européenne, l’Algérie en importe 20 dollars. La balance est on ne peut plus déséquilibrée en défaveur de l’Algérie. Au rythme où vont les choses- un démantèlement tarifaire total d’ici trois ans qui se greffe aux contre-performances de notre appareil de production-, tous les espoirs mis dans cet accord d’association- à savoir essentiellement une compétition censée fouetter la production nationale- risquent d’être réduits à néant.
Au cours de cette cinquième session du Conseil d’association Algérie-UE, le ministre algérien des Affaire étrangères, M.Mourad Medelci, a, outre la revendication de la révision du calendrier du démantèlement tarifaire, fait des observations sur d’autres points liés à l’accord d’association. Il s’agit principalement de la faiblesse des flux des IDE (investissements directs étrangers) en provenance des pays de l’Union Européenne et du dossier de la libre circulation des personnes.
En deçà des attentes
Sur le premier point, M.Medelci, dira que « l’Algérie considère que les flux d’investissements européens sont en deçà de ses attentes, en particulier ceux destinés à promouvoir la diversification de son économie et de ses exportations ».
Les autorités algérienne estiment que, par rapport au contenu de l’accord de 2005, l’aspect purement commerciale (exportation vers l’Algérie) a été hypertrophiée au détriment des autres orientations et clauses. Notre ministre des Affaire étrangère dira à ce sujet : « Mon pays, en signant l’Accord d’association, voulait développer une coopération globale qui couvrirait tous ses volet : politique, économique et commercial, culturel, social et humain. Or, jusqu’à maintenant, nous relevons clairement que le volet commercial a reçu une attention particulière par rapport aux autres ». Le ministre ajoutera qu’il est de l’intérêt de tous que la libre circulation des marchandises puisse s’accompagner d’une meilleure dynamique d’investissement et d’une meilleure mobilité des personnes.
Le ministre espagnol des Affaire étrangères, M.Miguel Angel Moratinos, qui a présidé avec son homologue algérien les travaux de cette cinquième session du Conseil d’association Algérie-UE estime qu’il faut « commencer de façon plus claire de la circulation des personnes », en faisant référence à certaines facilités d’entrée dans l’espace de l’Union dont bénéficient les ressortissants des pays de l’Europe de l’Est et du Centre.
M.Moratinos annonce, pour répondre aux revendications de l’Algérie en matière d’investissements, qu’un forum d’investissement sera organisé prochainement à Alger et que l’Union Européenne doit « s’impliquer davantage dans le plan de modernisation algérien ».
Déjà lors de la tenue l’année dernière de la quatrième session du Conseil d’association, une évaluation globale des relations entre les deux parties a été faite. Il y a été décidé de mettre en place de « nouveaux mécanismes en mesure de booster la coopération bilatérale », selon notre ministre des Affaires étrangères. Ce dernier avait également indiqué avoir plaidé auprès des partenaires européens de l’Algérie pour davantage d’investissements hors hydrocarbures, en vue d’un meilleur équilibre de la balance commerciale entre les deux parties.
« Nous avons soulevé devant nos partenaires européens plusieurs préoccupations dont celle ayant trait aux exportations hors hydrocarbures et là nous avons constaté qu’il y a eu certes des efforts, mais ces exportations demeurent relativement faibles, car ne dépassant pas les 800 millions de dollars », avait révélé en 2009 M. Medelci
Pour les entreprises et partenaires économiques algériens, les effets à moyen terme escomptés de entrées libres de marchandises de l’Union européenne sont logiquement de “secouer” des secteurs algériens touchés par une concurrence féroce et une mise à niveau susceptible de contrebalancer les effets pervers d’une ouverture somme toute dictée par une mondialisation irrésistible des économies. Vu la conjoncture de transition économique que connaît l’Algérie, les choses ne se sont pas passées avec un tel “automatisme’’.
Sur le plan du réveil attendu de l’entreprise algérienne, les résultats tardent en tous cas à se concrétiser d’autant plus que, à peine deux ans après l’entrée en vigueur de cet accord, la crise financière mondiale a commencé à pointer son nez acculant l’Algérie à se contenter de recettes pétrolières bien moins cotées et poussant l’Europe à chercher de nouveaux repères et de nouvelles assises dans des politiques budgétaires plus sévères.
Les appréhensions des acteurs économiques algériens, privés et publics, à l’égard de l’Accord d’association avec l’Union européenne se trouvent renforcées par un déficit de stratégie gouvernementale en matière de relance industrielle. « Nous n’avons encore rien récolté [de l’Accord d’association avec l’U.E.] bien qu’il date maintenant deux années d’existence », estimait déjà en 2008 M. Ridha Hamiani, président du Forum des chefs d’entreprises (FCE).
D’autres difficultés et “incompréhensions” sont aussi prévues par des experts à l’échéance où notre pays accèdera à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Cette organisation avec laquelle l’Algérie est en pourparlers depuis 2004 est en train d’ausculter l’économie et la société algérienne à la loupe. Elle a fini par vouloir dicter des conditions “anti-populaires’’ relatives la gestion des services publics en direction des populations, à l’exemple de l’augmentation des prix de cession des produits énergétiques (gaz et électricité). Ce genre de difficultés, ou de dérapages, selon le langage de certains observateurs, n’a pas échappé aux négociateurs algériens. C’est pourquoi les discussions risquent de s’allonger dans le temps.
Pour un nouveau socle de coopération
En se rapprochant de l’Union Européenne par le truchement de l’Accord d’association, l’Algérie entrevoyait une nouvelle opportunité pour les investissements étrangers destinés à créer de m’emploi et de la richesse dans les domaines extra-hydrocarbures. Cependant, comme pour tous les investissements directs étrangers (IDE), les flux européens ont suivi souvent la préférence commerciale. Outre les raisons de facilités disponibles dans ce domaine pour un marché de 35 millions de consommateurs, des griefs assez convaincants, particulièrement depuis ces trois dernières années, ont été adressés à l’Algérie par les organismes financiers internationaux dans le domaine du climat des affaires et de l’investissement dans notre pays. Ces griefs sont relatifs à la lenteur dans le processus de privatisation, l’immobilisme des établissements bancaires au sein desquels des surliquidités inquiétantes ont été enregistrées (4 000 milliards de dinars à fin 2009) et certaines procédures bureaucratiques liées à la gestion du foncier industriel.
En tous cas, la crise mondiale qui touche fortement les pays européens industrialisés n’a pas manqué des les pousser à solliciter toutes formes de coopération susceptible de leur assurer des débouchés sûrs à leurs marchandises y compris par le phénomène de délocalisation. L’installation de l’usine Renault de construction automobile à Tanger, avec une production à moyenne terme de presque 200 000 unités/an fait partie de cette stratégie imposée par les spasmes d’une crise mondiale à laquelle les experts ne prévoient pas de fin pour bientôt.
En Algérie, la crise mondiale, même si elle n’est pas ressentie d’une façon directe, commence à montrer ses “crocs” à travers la baisse des recettes d’exportation en hydrocarbures. Cette nouvelle donne, en se répercutant directement sur les finances du pays du fait d’une dépendance directe de l’Algérie de ses exportations pétrolières, installe une nouvelle configuration des possibilités de financement des importations. En effet, le ratio exportations/ importations était passé à 114 % au début 2009 alors qu’il était de 217 % au cours de l’année 2008.
Ayant pris conscience des limites objectives de la mono-exportation, les autorités algériennes font montre, dans le cadre des nouveaux dispositifs d’incitation, d’une certaine fébrilité en matière d’élaboration de dispositifs susceptibles d’encourager les investissements dans les secteurs hors hydrocarbures.
Le ministre des Finances a révélé en 2009 que la moyenne du rythme des investissements directs étrangers en Algérie est de 1 milliard de dollars par an. Cette donnée, tout en révélant l’ampleur des investissements d’un pays et son degré d’attractivité ne constituent pas, aux yeux de certains partenaires économiques nationaux, une condition sine qua non pour se lancer dans des opérations d’investissement dans leur propre pays.
Comme a eu à le déplorer le président de la République, dans la phase actuelle, ce sont plutôt les opérations purement commerciales (représentations en Algérie de firmes de construction automobile, de fabrication de médicaments) qui font l’actualité de l’investissement en Algérie. En tout cas, dans le rapport de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced) sur l’investissement dans le monde en 2008, notre pays se retrouve dans la position de huitième en Afrique en matière d’attractivité pour les investissements étrangers. Ces derniers étaient de 1,6 milliard de dollars en 2007 en direction de l’Algérie, selon l’institution onusienne. L’Algérie vient bien après le Nigeria (12,5 mds de $), l’Egypte (11,6 mds de $), l’Afrique du Sud (5,2 mds de $), la Maroc (2,6 mds de $), la Libye (2,5 de $) et le Soudan (2,4 de $). Pour toute l’Afrique, les IDE représentent 53 milliards de dollars en 2007. L’Algérie en a capté à peine 3 %.
En plaidant la révision de certaines clauses de l’Accord d’association Algérie-UE, les autorités algériennes veulent s’inscrire dans la logique d’une coopération globale avec l’Europe, d’autant plus, avec ou sans l’Accord, l’Europe est le voisinage développé le plus proche de l’Algérie. Tout en estimant les arguments de la partie algérienne à leur juste valeur, les Européens ne manquent de souligner la nécessité d’asseoir en Algérie un climat des affaires plus sain et plus porteur pour pouvoir dépasser le cap exclusif actuel de flux commerciaux s’opérant dans un sens quasi unilatéral.
Amar Naït Messaoud