Matoub / Comment ne pas l’aimer ?

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La Fête des Kabycthous, de Nadia Mohia, nous dévoilera, sur fond de charge émotionnelle, un Mohia que nous ne connaissions pas, que nous avions tout bêtement, en empruntant des raccourcis, imaginé aussi gai, luron que “Nedjma wehlal teddifili” et autre “Sinistri”. La phase cachée de l’iceberg Mohia, révélera un homme-orage, une tempête prête à éclater à la face de la médiocrité qu’il estime être incarnée par les “Istes», “Iferciden” comme il les qualifait. L’homme ne pouvait apprivoiser toutes formes de chapelles nombrilistes qu’il fuyait comme la peste.

Matoub, une autre tourmente, partage ceci avec son aîné Mohia : l’intégrité et l’intégralité “Un poète est un monde enfermé dans un homme», tente Victor Hugo de cerner le ciseleur de mots. Bien entendu, les poétereaux, ces rimeurs, qui par un étrange coup de sort produisent, affirme Aragon, le contraire de la poésie, sont exclus de l’espace délimité par l’auteur de Les Chants du crépuscule.

Matoub, l’Etre pas le poète (même si la dissociation est impensable), est une tourmente, un orage, un ouragan…donc un monde, son monde, notre monde. Enfant, Matoub était déjà le feu. Enfant, il enfermait déjà un petit monde, son petit monde qui n’allait pas encore au-delà des frontières des Ath Dwala, l’humus qui va forger l’homme, en faire une boule de feu et une explosion d’orage, la chose et son contraire, un Etre entier, scellé et déterminé à “ad yezwir i yimeghban, skud brarhent wallen-is” (être aux postes avancés, tant qu’il est de ce monde). Et ce n’est pas un vain “awal” ! Il ne s’agit pas d’un fragment d’énoncé intercalé entre deux vers du asefru pour les besoins de la rythmique. Ce n’est même pas un vers. C’est une promesse, un engagement à l’indienne, un engagement de sang, celui de réinventer Tamazight même si “ad ixelles adrar s idamen-is” (payer de sa vie).

Matoub est plus (le superlatif n’est peut-être pas à sa place) qu’un poète : c’est un diseur qui ne cesse de torpiller haut et bas pour que les geôles s’effondrent et que les bourreaux sombrent dans la triste nuit des ombres.

Matoub le feu est un verbe qui dit et agit à la fois, un verbe cru qui ne laisse place à aucun doute, aucune ambiguïté un verbe même démesuré retentit vrai.

Dans “pouvoir assassin’’, Oulehlou implorait le verbe de Matoub qu’il suppliait “agh-tt-id yeqqed seg uzekka” (de venir au secours d’une Kabylie meurtrie, depuis l’outre-tombe). Les vers de Oulehlou scrutaient la Kabylie des vivants en quête d’un Homme-symbole à même de mobiliser autour de l’idéal séculaire “ur nettnuzu, ur irehen” (qu’on ne peut ni vendre ni hypothéquer). Mme Staël ne dit-elle pas qu’“ il y a (…) de la poésie dans tout être capable d’affections vives et profondes”. Alors Matoub, l’orage, Matoub, le feu est tout naturellement poésie, poésie sans vers, poésie “yettbaâziqen” (éclate en morceaux) pour aller converger dans l’oreille attentive des “imesdurar” (montagnards) lesquels reprennent en chœur et avec la même détermination qu’ils décernent dans les vers de feu de Lwennas : “Ma ulac tamazight, ulac ulac ulac…” Même si, selon Sartre, “l’engagement ne doit en aucun cas faire oublier la littérature», Matoub l’orage et le feu ne s’encombre pas du bel esprit bibliographique. Il ne s’encombre pas, ô que non !, du politiquement correct pour dire les “ay agujil n wawal !” et autre “ah ya dda lhucin !”

Matoub ne se contente pas de regarder les êtres et les choses accrochés aux montagnes de chagrin pour ensuite en faire des métaphores lucratives. Il s’implique, il est un parmi son peuple kabyle, le monde qui l’habite et l’obsède à mort. Il refuse d’être seulement le témoin oculaire de son temps. Délégué authentique de son ârch, il retrousse les manches et prend la tête sans se prendre la tête pour, comme promis, “ad imel abrid i yimeghban” (montrer le chemin aux pauvres). Les balles policières d’Octobre 1988 feront pleurer “mmlayun», mais n’auront pas raison de l’entêtement légendaire de l’Orage. Les balles terroristes de 1998 donneront naissance à Matoub l’immortel, Matoub le feu, Matoub l’orage.

T. Ould Amar

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