Les résultats de l’examen du baccalauréat donnent une population bachelière de plus de 92 000 élèves, soit un taux de réussite de 61,32 % par rapport au nombre de candidats. Faut-il pour le ministère de l’Education en tirer une quelconque gloriole ou une satisfaction surfaite ? En clair, quel niveau reflète le passage de ce cap et quels horizons professionnels ouvre-t-il aux jeunes “récipiendaires’’ du titre ?
Dans ce contexte, le cursus universitaire classique (graduation, post-graduation) serait-il le seul débouché obligatoire pour les bacheliers ? La linéarité du chemin des études, faisant faire à l’élève puis à l’étudiant le parcours du primaire, à la faculté est-elle sacralisée au point où elle n’admettrait aucune ‘’bifurcation’’ vers les concours ouvrant la porte des grandes écoles, vers des instituts technologiques ou vers des formations de cycle court qui, pourtant, arrangeraient bien des bacheliers portés moins sur les métiers ‘’théoriques’’ que sur les aspects pratiques d’une formation courte mais performante ?
Abstraction faite du système universitaire classique, d’autres bacheliers seront généralement tentés de s’inscrire dans des instituts technologiques ou d’autres écoles (INA, IAP, Ecole des Beaux-Arts, écoles militaires,…). Cependant, en matière de débouchés d’emploi, le problème demeure le même par rapport au cursus universitaire traditionnel, sauf que ce dernier, dans ces branches “Littératures et Sciences humaines’’, offre un peu plus de complexité puisque, dans notre pays, ces spécialités ne servent souvent que pour reproduire le cycle de l’enseignement. Les entreprises algérienne ne se sont pas, par exemple, mises au niveau de performance et d’ambition jusqu’à recruter des psychologues du travail ou des spécialistes de la communication. Pourtant, dans le contexte de la nouvelle économie, il sera de moins en moins loisible pour le monde du travail de se priver de tels profils et d’autres profils dont l’entreprise ne voit pas encore l’opportunité et le mode d’intégration.
Ces interrogations et tant d’autres encore aussi embarrassantes posent déjà le préalable de l’obtention du Bac, une note à l’examen permettant des choix élargis et des prédispositions mentales et pédagogiques pour des études supérieures.
Rappelons une vérité qui se confirme un peu plus chaque jour: les mythes des métiers socialement valorisants- à l’image de la médecine, de l’enseignement ou du droit- semblent avoir fait long feu en Algérie. Les mutations économiques et sociales imposées par la conjoncture mondiale et par le passif d’une économie rentière ont fini par dissiper bien des valeurs au point où l’exercice d’une activité informelle, y compris parfois de simples exercices de vente à la sauvette, peut surpasser de loin un poste de médecin de la Fonction publique ou d’enseignant universitaire.
Face à ces situations que l’élève de lycée a déjà intériorisées tant elles constituent le décor quotidien de la vie sociale, l’engouement pour l’enseignement universitaire risque de s’arrêter à l’étape de la joie qui a éclaté face à l’annonce des résultats.
C’est une question qui, dans le contexte actuel de l’école et de l’université algériennes, comporte son pesant d’angoisse et d’inquiétude. Un raisonnement déductif qu’il y a lieu d’éviter est sans aucun doute de fonder les critères d’évaluation de la réussite de l’école sur le taux de réussite au Bac. Dans une ambiance de médiocrité et de dilution des valeurs pédagogiques et morales, l’examen du Bac ne constitue nullement une référence, d’autant plus que le déroulement de cette épreuve est souvent émaillée d’ ‘’incidents’’ divers.
Quelle valeur stratégique pour le baccalauréat ?
De par le monde, la valeur pédagogique de l’examen du baccalauréat est intrinsèquement liée à la qualité et au niveau de l’enseignement dispensé non seulement au lycée, mais également au collège d’enseignement moyen et à l’école primaire. C’est cette chaîne solidaire, cette succession d’étapes commandées par le fil conducteur de la progression et de l’imbrication des programmes, qui donne son sens, son poids et sa valeur à l’examen du baccalauréat. Discuter de l’importance et de la valeur stratégique de cet examen revient nécessairement à examiner la qualité et le niveau des programmes scolaires ainsi que la pratique pédagogique dont il est le réceptacle.
Les pouvoirs publics ont, depuis le début des années 1990, commencé à reconnaître les reculs successifs de l’école algérienne. Ce recul est illustré par la baisse du niveau des diplômé. Cependant, cette baisse ne pouvait pas être rapidement décelée tant que l’économie nationale était restée administrée et que l’entreprise publique exerçait une écrasante hégémonie. Les premiers travers et faiblesses de l’école apparurent lorsque les secteurs de la Fonction publique et celui des entreprises publiques commencèrent à décliner en matière d’offre d’emploi. Pour être recruté dans ces secteurs, les diplômés se contentaient d’exhiber leurs titres qui ne renvoyaient pas nécessairement à des compétences particulières. Le dossier administratif ficelé le candidat- pouvant bénéficier d’un coup de pouce s’il y a une forte concurrence- prend place dans la hiérarchie administrative et attend que son étoile lui sourit encore pour une probable ascension sociale basée sur l’influence, le copinage et les pots-de-vin.
Après l’entame d’une transition économique où l’entreprise privée, nationale ou étrangère, commençait à tracer son organigramme pour le recrutement d’un personnel qualifié (de conception ou d’exécution), les premiers couacs de diplômés algériens ne trouvant pas de place dans ces unités ont été enregistrés. Avec le baccalauréat +4 ou +5, les diplômés sortis de l’université pendant les années 1990 et surtout au cours de ces dernières années arrivent rarement à se faire recruter quand bien même ils auront exhibé des diplômes correspondant au profil recherché. C’est que, dans la nouvelle économie d’entreprise, aucun gérant ou directeur ne peut faire du ‘’social’’ ou de la charité en payant des salaires qui ne ‘’rapportent’’ pas. L’école algérienne montre ainsi ses limites aussi bien en matière de programmes et de niveau que de la prestation pédagogique telle qu’elle est assurée par le corps enseignant.
Sortir du pavlovisme
Les enseignements primaire, moyen et secondaire continuent à coltiner les lourdeurs et les travers de l’ancien système, malgré les quelques aménagements introduits sous le concept générique de ‘’réformes’’ par le ministère de l’Éducation. Dans la plupart des programmes, le pavlovisme que décriait, au début des années 1990 dans un livre célèbre Mme Malika Griffou, pèse toujours d’un poids étouffant sur les rythmes et les rendements scolaires. Pis, certaines méthodes d’apprentissage s’avèrent carrément aberrantes à l’image de ces fameux ‘’projets’’ consistant à forcer les élèves à copier des sujets abscons à partir d’Internet, sujets qui ne sont même pas discutés ou vulgarisés en classe. Seul le gérant du cybercafé trouve son compte dans cette affaire.
L’on ne peut focaliser les regards sur la réhabilitation des valeurs du travail, l’insertion dans l’économie mondiale et la recherche de politiques alternatives à la rente pétrolière sans prendre en compte le volet de la formation- dans son acception la plus large (enseignement général, professionnel, universitaire)- qui est considérée aujourd’hui de par le monde comme une condition sine qua non de tout progrès économique et social.
Une évidence commence à s’imposer dans l’univers éducatif et économique algérien ; en effet, dans une situation économique comme celle que traverse notre pays, où la phase de transition manque de visibilité et de repères, l’on ne peut s’offrir le ‘’luxe’’ de continuer à former des licenciés, des ingénieurs et des médecins chômeurs. Le marché du travail étant devenu plus compétitif et plus exigeant, il importe d’adapter les formations aux profils réellement recherchés. La notion de marché de travail a, il est vrai, fait défaut par le passé du fait que l’ensemble des diplômés avaient leurs débouchés pris en charge par l’État, principal employeur du pays. Les choses ont considérablement évolué sur ce plan du fait que l’entreprise privée est en train de gagner du terrain. La jonction entre cette nouvelle orientation et la formation des ressources humaines aux nouveaux métiers sera le pari de l’économie algérienne de demain. À la vitesse où vont les choses, et sachant que les résultats d’une formation arrivent à maturité à l’échelle d’une génération, demain pour l’Algérie c’est déjà aujourd’hui. Toute la politique de vraies réformes de l’enseignement devrait être mise en œuvre rapidement si l’on ne veut pas que le train de la mondialisation nous écrase sur son chemin. Dans le but d’échapper un peu aux aléas de la formation de l’école publique, des parents d’élèves ont choisi de mettre leur progéniture dans des écoles privées installées essentiellement dans les grandes villes. Après quelques années d’exercice, ces établissements sont confrontés à la politique du ministère de l’Éducation appliquée à leur endroit. Il est difficile de suivre la démarche adoptée dans ce domaine par le ministère sans se poser la question essentielle : en cherchant à domestiquer ce genre d’établissement, quel est réellement l’objectif visé ? Si des Algériens se sont résolus à envoyer leur progéniture dans ces établissements- en faisant de grands sacrifices sur le budget familial-, ce n’est certainement pas pour recevoir la même formation que celle dispensée par l’école publique. Si cette dernière est quelque part boudée- et pourtant gratuitement assurée-, c’est qu’elle ne répond plus aux besoins d’émancipation et de réalisation sociale de la famille algérienne.
Les initiatives ne se sont pas arrêtées à ce niveau de formation. Des écoles supérieures privées et des instituts de commerce et de management ont vu le jour en Algérie. Notre pays se prépare même à agréer des universités privées. Les premiers résultats obtenus dans certains instituts privés sont positifs. Cependant, vu que l’enseignement se déroule souvent en français et/ou en anglais, les élèves candidats sont supposés être armés dès le départ dans ces deux langues. De même, il importe de savoir que le coût formation n’est pas à la portée de n’importe quelle famille algérienne. Mais, la nécessité faisant loi, des parents se sacrifient pour sauver ainsi l’avenir professionnel de leur progéniture.
Amar Naït Messaoud