Que peut faire une femme jeune, sans enfants et dont le mari est au front ? Vaste question ! Au lendemain de la première guerre mondiale, l’écrivain français Etienne Radiguet a esquissé un élément de réponse dans un roman iconoclaste intitulé Le diable au corps dont le bruit est si violent qu’il a traversé les limbes des décennies. Cependant, toute approche de cette question nécessite la traversée d’une savane d’interrogations, baignée dans un entrelacs de doutes et, trier au volet un chapelet de réponses jamais satisfaisantes, le tout s’amoncelant en un écheveau nauséeux.
Dans Le revers du mépris, premier roman de Muhend Lmulud Ubeqqa, édité chez Art’Kange, cette même thématique revient avec force que l’auteur traite dans un mélange de sagesse et d’insolence ; c’est que la guerre d’Algérie qui à eu son lot de malentendus, a laissé beaucoup de fumée intoxiquer les esprits et nombre de foyers de feu sont mal sinon pas du tout éteints, dont le crépitement bourdonne encore dans nos oreilles de mille et une façons.
Dans un village de Kabylie (à Ath Weghlis très probablement), une femme vient de mettre au monde un joli poupon, neuf mois jour pour jour, après la mort du mari. Heureux événement ? Pas si sûr !
Ecrit dans une langue doucereuse, Le revers du mépris, est d’abord le regard d’un homme, retraité de l’Education Nationale, sur une période allant de la guerre à nos jours ; phrases envoûtantes qui dessinent un décor vivant où se greffent des questionnements qui font creuser le front. Et par le truchement de la rumeur qui enfle, il est évident que toute vérité devient circonspecte et, pour ainsi dire, il est difficile de distinguer la part du Diable de celle du bon Dieu.
Si bien que l’auteur avance dans l’avant-propos que son roman est une pure fiction, mais inspiré de faits réels auxquels il a apporté sa touche personnelle, il n’en demeure pas moins que son conte remporte aisément l’adhésion du lecteur, tant l’intrigue aiguise la curiosité l’acuité du sujet dresse les sens, et le suspens plane jusqu’aux dernières pages.
La richesse des dialogues nous renvoie à une langue kabyle transcrite en français, comme si le roman était une savante traduction.
Les pensées des personnages demeurent fidèlement ancrées dans une culture, une vision et, surtout, marquées du sceau d’une ample imperfection.
Pour comprendre les destins de Louiza et de son fils Ferhèth, il fallait résister aux mœurs frelatées du temps et contempler l’âme humaine sous différents angles, suggère subrepticement l’auteur. La vérité est tel un morceau de liège insubmersible, dit-on.
Ainsi, Muhend Lmulud Ubeqqa souligne en filigrane que cette valeur est la belle d’entre toutes méritant respect et courbettes. La vérité est un trésor. Par la bouche de Louiza, l’auteur écrit :
Je suis allée à Dieu avec humilité
Et avec l’échine recourbée
Le grain que le pilon a épargné
En poussant, a atteint les nues
Et lorsque Dieu ouvre ses trésors
Laisse donc l’outre s’engorger
Heureuse entre les femmes après que la vérité impérissable a été apportée par un indice aussi infime qu’un poil de cheveux, souvenir d’un temps rugueux que la science a fructifié à bon escient ; comme si c’était le lieutenant Columbo qui aurait mené l’enquête, Louiza se couvre d’honneur. Et le masque tombe finalement dans un bruit pétaradant, jouissif et festif qui a fait s’envoler le Diable !
Tarik Djerroud