Renforcement des institutions de lutte contre la corruption / Comment s’affranchir des simples velléités ?

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Outre la loi de finances complémentaire 2010, le Conseil des ministres de mercredi dernier a eu à examiner et approuver un projet d’ordonnance relatif à la prévention et la lutte contre la corruption ainsi qu’une ordonnance permettant l’extension des missions et attributions de la Cour des Comptes.

La première mesure, en modifiant et complétant la loi 06-01 du 20 février 2006 relative à la lutte contre la corruption, aboutit notamment à la création d’un office central de répression de la corruption chargé des recherches et constatations des infractions de corruption. Dans la foulée de la création de cette nouvelle structure, les compétences des officiers de la police judiciaire qui en relèvent se trouvent élargies.

La seconde mesure découle d’abord d’un souci d’apaisement puisque, il y a quelques mois, les magistrats de la Cour des comptes étaient montés au front pour protester contre leurs conditions de travail et les missions “restreintes” dans lesquelles ils étaient confinés. C’est pourquoi, la nouvelle loi accorde à cette institution la possibilité de “formuler des recommandations visant au renforcement des mécanismes de protection des deniers publics et de la lutte contre les fraudes et préjudices du Trésor public et aux intérêts des organismes publics soumis à son contrôle”.

Tout en relevant a priori de préoccupations ordinaires et légitimes, l’intérêt que portent les pouvoirs publics et singulièrement le président de la République au thème de la corruption et de la dilapidation des deniers publics n’est, cependant, pas étranger aux affaires qui ont ébranlé l’administration et les institutions de la République au cours de ces deux dernières années.

De la plus petite mairie de province jusqu’à certains ministères de souveraineté il n’est pas un rang de la hiérarchie qui soit épargné par le climat morbide des affaires. Entre celles qui sont avérées et portées devant les tribunaux et celles relevant de la simple rumeur, la frontière demeure mince ; ce qui aboutit au constat que nul responsable n’est à l’abri de dénonciations fondées ou calomnieuses. C’est cette fétide “kermesse’’, qui a rempli les pages de journaux pendant des mois, et cela ne semble pas pouvoir s’arrêter de sitôt.

Au début de l’été 2010, des parlementaires ont a initié une action tendant à créer une commission d’enquête parlementaire pour enquêter sur certaines affaires de corruption. Au vu du climat et du rapport de forces régnant au sein de l’Assemblée populaire nationale, il est peu probable que la demande desdits députés puisse aboutir. Cela est d’autant plus vrai que le contenu de la demande demeure obéré d’un style trop ‘’généraliste’’ qui ne désigne pas un objectif précis, vérifiable et quantifiable. Et puis, dans ce genre d’affaires, les parlementaires des deux Chambres auraient mieux gagné à faire pression sur le gouvernement pour qu’il actionne les organes réglementairement chargés du contrôle des deniers publics et de la lutte contre la corruption (IGF, Cour des Comptes).

Comptes et risques de mécomptes

La lutte contre la corruption et l’effort de contrôle régulier de l’utilisation des deniers publics constituent des éléments importants qui concourent indéniablement à la moralisation de la vie publique et à l’établissement d’une relation de confiance entre gouvernés et gouvernants. C’est une entreprise considérée comme la pièce maîtresse de tout redressement national. Si ce volet de la vie publique a pris une dimension aussi importante dans les médias et dans certaines réactions de la société civile, c’est que, bien auparavant, l’opinion publique nationale et des organisations internationales ont eu à constater et à déplorer un grave phénomène qui a pris racine dans les structures et les institutions du pays ; une dérive dont la société tout entière continue de souffrir et dont les conséquences n’ont jamais fait l’objet d’un inventaire ou quelconque bilan, hormis des supputations dont a du mal à vérifier la véracité du contenu.

Au regard des enjeux et des difficultés entourant un tel sujet, sa manipulation devient fort délicate, particulièrement dans un contexte où, au sein de l’administration et des entreprises publiques, les valeurs professionnelles et la gestion des ressources humaines ne sont guère un parangon de rationalité et de transparence. Les luttes pour les postes de responsabilité s’aiguisent presque de façon inversement proportionnelle au poids des curriculums vitae et des compétences professionnelles.

C’est un sujet délicat et même explosif. Un traitement à la légère des informations qui circulent sur les affaires de malversations et de concussions peut avoir de graves retombées du moment où il peut bien, par erreur ou par malveillance, toucher l’honneur des personnes au-dessus de tout soupçon et ternir leur image. Car, le climat de suspicion dans lequel travaillent et évoluent les cadres et agents de l’État a trouvé dans la rue un prolongement dangereux qui fait que n’importe qui peut accuser ou incriminer ceux qui sont en contact direct avec le mouvement des fonds publics de malversation, de corruption ou de mauvaise gestion.

Des dizaines d’affaires de diffamation sont pendantes devant les tribunaux en raison de la légèreté avec laquelle ce genre d’accusation est proféré y compris par le moyen de lettres anonymes. Ces dernières sont devenues, dans certaines wilayas, le pain quotidien de ceux qui veulent régler des comptes avec leurs adversaires au sein de l’administration. Dans la wilaya de Bouira, des fonctionnaires ont l’habitude de recevoir des lettres signées d’un fantomatique Front de la lutte contre la corruption (FLCC).

C’est assurément l’atmosphère générale du pays- basée sur des constats d’enrichissement injustifié de signes extérieurs de richesse, d’affaires de détournement d’argent ou de corruption ayant pu être élucidées par la justice,…- qui installe cette ambiance de défiance, de suspicion et de psychose.

Bureaucratie/corruption : couple intime

Il est vrai que la réalité algérienne est amère dans ce domaine précis de la vie publique. Rien que dans des cas de la vie domestique vécus à échelle d’un village ou d’une commune, des actes de corruption ont été rapportés par des citoyens qui ont eu à subir le diktat d’un agent de la circulation ou d’un employé communal. N’a-t-on pas rapporté des cas où des pièces d’état civil ont été délivrés contre payement d’une somme d’argent ? Pour l’établissement de certificats négatifs dans certaines conservations foncières, des agents vous dirigent vers un kiosque pour y acquérir des photocopies d’imprimés qui y sont disponibles par milliers de copies. Ces petits larcins- sans trop s’arrêter sur les faux et usages de faux qui entraînent de mirobolantes transactions (faux visas, permis, attestation de moudjahid,…)- nous donnent une idée sur ce que peuvent charrier les ‘’grands services’’ sollicités de nos administrations ou banques (marchés publics, crédits bancaires,…) comme dérives de concussion et de corruption.

Dans un rapport établi en 2008, l’organisation non gouvernementale ‘’Transparency International (TI)’’ s’inquiétait des ravages de la corruption et classe Algérie à la 99e place sur un panel de 180 pays. La Banque mondiale, elle, met notre pays à la 125e place sur un ensemble de 178 pays étudiés sur le plan du climat des affaires. Il faut dire que la convergence des ces deux dernières cotations n’est nullement le fait du hasard ; une intime relation jette ses ponts entre les deux phénomènes : climat des affaires lourd, empêtré dans une légendaire bureaucratie et dissuadant les investissements, d’une part, et corruption à grande échelle ayant gangrené le corps de la société et miné la pyramide déjà vermoulue des principaux rouages de l’administrations, d’autre part.

Les dégâts financiers et moraux de telles dérives ne se comptent pas. L’argent de corruption, outre qu’il constitue une perte sèche pour l’économie nationale (surcoûts), ne manque pas de déstabiliser et de remettre en cause les valeurs du travail, de probité et d’enseignement. C’est l’avilissement des valeurs morales et professionnelles qui guette l’ensemble du corps social. Dans le volet de l’économie informelle, un emploi non déclaré et des marchandises ou des transactions non facturées, comme c’est le cas dans toute la sphère économique qualifiée d’informelle, génèrent des milliards de dinars d’évasion fiscale et de manques à gagner pour les caisses de sécurité sociale. Cette forme de tricherie vis-à-vis du fisc qui se produit à une échelle ‘’industrielle’’ est une atteinte à l’économie nationale qui ne présente pas moins de gravité et de danger que le phénomène de corruption proprement dit. Elle va jusqu’à étouffer des secteurs entiers de commerce ou de production du fait d’une concurrence déloyale. Sur 7 500 petites et moyennes entreprises, 42% des effectifs ne sont pas déclarés et 30% de leur chiffre d’affaire échappent au fisc selon une étude datant de 2008.

Pour donner des bases solides aux perspectives de démocratisation de l’État et de la société la nécessité du contrôle de l’argent de la collectivité s’impose imparablement à tous les niveaux de la pyramide institutionnelle du pays. Ainsi, le recouvrement de la fiscalité communale et la gestion des subventions publiques allouées aux communes est un autre chapitre de la complexité du contrôle de l’argent public. Sur ce chapitre, tout semble dépendre du nouveau code communal que le président Bouteflika a annoncé pour bientôt au cours de la dernière audition du ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales.

Selon les premières esquisses données déjà par l’ancien ministre délégué aux Collectivités locales, ce nouveau code plaide pour un contrôle populaire de l’utilisation de l’argent de la commune (vérification de l’opportunité des dépenses municipales et contrôle éventuel de celles-ci par des parties tierces, à l’image des organisations de la société civile).

Selon le même responsable, la vision que voudrait asseoir le nouveau projet de code communal dans le domaine de la gestion des services publics offerts aux citoyens est celle qui fait appel aux concessionnaires privés aussi bien dans le domaine de la voirie que des autres services de proximité.

A ce niveau, comme cela se pratique dans la pays qui ont une longue tradition de la sous-traitance et de la concession dans les services publics, surgit la nécessité de juger de l’opportunité des chantiers engagés et d’établir le suivi des procédures de passation de contrat afin de faire jouer la transparence en toutes circonstances ; car, il ne s’agit plus de l’ancienne régie où, dans un exercice où l’on se ‘’mord la queue’’, l’ordonnateur avait tendance à se confondre avec le vérificateur, mais d’un contrat civil portant sur des marchés publics entre une collectivité territoriale et des concessionnaires de droit privé.

Malheureusement, le mouvement de décentralisation n’arrive pas encore à s’inscrire dans une démarche claire et hardie en Algérie où la gestion des deniers publics (fiscalité vote des budgets et contrôle a posteriori) pourrait bénéficier des services d’autres organes ou relais institutionnels.

Amar Naït Messaoud

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