Les deux déjeûneurs de Aïn El Hammam passeront aujourd’hui devant le juge / Le procès de trop

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Beaucoup se gaussent simplement des ces oukases d’une autre époque, une vexation inutile, pensent-ils, infligée à une société aux prises avec une misère multiforme et qui a plus sérieusement d’autres chats à fouetter.

La non-observation du jeûne est un comportement socialement admis et notamment quand il ne procède pas d’une provocation ostentatoire.

Ce n’est pas des foules d’illuminés écumant de baves qui ont sommairement sévi contre les non-jeûneurs mais bien les forces de sécurité gouvernementales.

Comme de juste et même en cette époque où les ressorts d’indignation politique semblent bien amollis, de très agissants cercles de la société civile se solidarisent avec les briseurs de ramadan, une solidarité qui inclut jusque et parfois des jeûneurs autant convaincus des commandements d’Allah que du principe du libre arbitre de chacun. Le cadre mortifère dans lequel s’organise le mois de jeûne induit même des attitudes de défi et d’abnégation de la part de citoyens révoltés parce qu’un acte qui interpelle la foi intime de chacun soit concrètement transformé en obligation suprême du fait notamment de la fermeture des espaces de restauration, qui ne permet aucune attitude alternative. Un commerçant d’Ouzellaguen, opérant sous le manteau, observe qu’une clientèle spécifique et inhabituelle se manifeste au mois de Ramadan précisément, qui vient réclamer des boissons alcoolisées par simple anticonformisme.

S’ils restent les reflets plus au moins conformes du faisceau d’opinion sociale, les agents officiels sont par contre zébrés par des couches d’intolérances qui renvoient sans doute aux mythes baptismaux unicistes de l’Etat.

Plus que de simples accoutrements corporatistes, l’uniforme ou la toge paraissent, il faut le croire, la marque d’un déterminisme idéologique régressif. Une faible imprégnation des principes républicains et une mentalité caporaliste marquée poussent des policiers à des décisions caricaturales. Les déjeûneurs de Aïn El Hammam racontent d’ailleurs tout l’embarras de certains policiers en désaccords avec leurs collègues qui ont cru devoir sévir contre un si vénal péché un mot que la République ne confond pas avec délit. Des affectations qui semblent autant miner certains groupements comme les partis laïcs qui n’ont pas cru devoir témoigner de fermes soutiens aux déjeûneurs et s’affirment ainsi chaque jour davantage comme des composantes intégrées et normalisées du système politique nationale. Mais, la police ne semble pas avoir agi suivant un schéma d’ensemble centralisé et délibéré. Elle a bien fait mine de ne pas voir des restaurants et des débits de boissons alcoolisées plus au moins interlopes qui ont, comme de coutume, faut-il le souligner, assuré le service aux non-jeûneurs et sans doute aussi à Ouzellaguen comme à Michelet. Les parquets sont aussi les sièges de certains comportements béotiens.

Pour celui de Aïn El Hammam, l’Algérie ne saurait admettre en son sein des personnes qui pratiquent une autre religion que l’islam. Mais ce genre d’opinions ne s’autorise fort heureusement pas une expression publique assumée. Comme dans de précédents procès de ce type, les parquets sont ultimement rappelés au bon ordre quand l’insistance de leurs actes risque de faire voler en éclat la vitrine démocratique de l’Etat et donner sur le scandale international.

C’est certainement fort d’un cadre social, fait d’une certaine tolérance, que les prévenus ont cru devoir assumer une certaine “bravad” devant les juges. Ceux de Aïn El Hammam ont indiqué être de confession chrétienne et qu’à ce titre il ne peuvent être interpellés par les commandements de la foi musulmane. Tout en niant un service de restauration, le prévenu d’Ighzer Amokrane proclame pour sa part son indifférence à l’observation du jeûne, dans un positionnement agnostique et sceptique, par ailleurs assez courant.

Il faut croire que de telles déclarations inquiètent les juges qui se sont momentanément défaussés sur des détails de procédure. Les procès s’annoncent ainsi clairement comme des procès politiques interpellant la question de la liberté de culte et d’opinion, pas ceux d’égarés repentant important la clémence des juges. Des questions sur lesquelles moins bien que la société le pouvoir ne semble pas prêt de débattre.

Car la République ne sait pas encore, pour paraphraser Mohamed Harbi, si son objet est le croyant ou le citoyen.

M. Bessa

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