Après quelques jours passés à déambuler entre les belles et somptueuses ruelles de la mythique Istanbul, il se lancera dans l’incroyable aventure qui le mènera au paradis de ses rêves, l’Europe ! Lui c’est Naguim, un jeune de 25 ans issu de l’un des villages de la commune de Tigzirt, Sidi Khelifa en l’occurrence. Parti il y a à peine trois mois, en compagnie de cinq de ses amis d’enfance, Naguim revient avec le cœur plein, une mémoire vivace par tant de moments difficiles passés à la recherche d’un bonheur sous d’autres cieux, plus cléments à ses yeux. Pour convaincre notre jeune de se confier et évoquer avec nous son expérience, il aura fallu passer par l’un de ses proches, étudiant à l’université de Tizi Ouzou. La tâche était ardue surtout quand on connaît les « à priori » de cette frange vis-à-vis du monde des médias. Nous sommes un mercredi, nous prenons la destination de la station balnéaire de Tigzirt, où nous attendait Naguim. Des pluies torrentielles annoncent l’avènement du froid, un climat hivernal, une route escarpée et sinueuse. Slimane, notre accompagnateur fera remarquer que pour lui, originaire de Bouira, c’est bien la première fois, qu’il emprunte ce chemin qui » descend » vers l’une des plus belles régions de la capitale du Djurdjura. Au-delà du paysage pittoresque, bleuâtre, qui émerveille le visiteur de cette station balnéaire, des questions se faufilent dans l’esprit. Comment et Pourquoi des jeunes peuvent-ils affronter une mer, un océan agité ?. Juste au moment où nous abordâmes la sortie de la ville de Tigzirt nous vîmes notre ami l’étudiant en sciences politiques en compagnie d’un jeune vêtu d’un jeans et pull blanc, c’est sûrement Naguim, fera remarquer notre accompagnateur.
“Le chômage, la monotonie… et la misère sociale !”
Après les présentations d’usage et un bon café offert par nos hôtes Tigzirtois, nous demandâmes à Naguim de nous parler de son aventure, la Harga, comme on dit et, qui lui a permis d’ouvrir les yeux sur le monde et connaître d’autres pays. Il nous fera savoir tout de go que tous les jeunes de sa région sont prêts à tout pour rejoindre l’autre rive “il n’y a rien à faire ici. J’ai fini ma formation en électricité bâtiment mais je n’arrive toujours pas à me trouver un boulot. Je suis obligé de demander chaque matin à ma mère de quoi m’acheter des cigarettes, et un café c’est insupportable” dira-il. Regrette-t-il d’avoir échoué dans sa tentative de rejoindre l’Europe ? Non répondra, sine die, notre interlocuteur. Il dira que son aventure commença lorsqu’en compagnie de cinq de ses amis, ils apprennent qu’un groupe de jeunes de la localité limitrophe, Boudjima en l’occurrence, ont réussi à rejoindre les côtes Ibériques sur une barque de fortune. “J’ai tenté à deux fois de traverser la mer pour rejoindre l’autre rive, en vain, cela n’a pas aboutie. J’ai, à un moment donné abandonné l’idée de partir mais la réussite de ce groupe de jeunes m’a boosté et a remis l’idée à l’ordre du jour», confie Naguim. Il enchaînera à propos des premiers préparatifs: “J’ai mis au parfum mes amis qui ont accepté de tenter, avec moi l’aventure. Mais avant d’entamer les contacts pour l’achat d’une barque comme ce fut le cas précédemment, un ami nous a parlé de la Turquie et la possibilité de rejoindre la Grèce, nous avons aussitôt cherché un contact. Nous avons pu avoir un numéro de téléphone d’une personne qui s’occupait des démarches nécessaires.” Les papiers demandés par la personne contactée ont été rapidement préparés. “Nous avons rencontré la personne en question à Draâ Ben Khedda. Elle nous fera savoir qu’il nous fallait payer 200 euros pour pouvoir traverser la frontière grecque via la Turquie. Nous avons par la suite déposé notre dossier auprès d’une agence de voyage à Tizi Ouzou-ville. Le visa nous a été remis en moins d’une semaine», a ajouté notre interlocuteur.
Izmir – Athènes, les chemins de l’incertitude !
Ils étaient loin d’imaginer que leur premier voyage pouvait tourner au cauchemar. Après quelques jours seulement passés à Istanbul, Naguim et ses cinq compagnons transiteront par d’Izmir avant de rejoindre l’îlot grecque Samos “nous avons été par la suite arrêtés et jetés dans un camp de transit pour réfugiés. Nous y avons séjourné trois jours avant de bénéficier d’un titre de séjour provisoire. Nous avons par la suite pu rejoindre Athènes où nous avons rencontré plusieurs Algériens, Irakiens, Kurdes et Afghans qui ont pratiquement suivi le même itinéraire. Certains passerons par l’îlot Rhodes d’autres par Orestias, à la frontière entre la Grèce et la Turquie.” raconte encore Naguim. Ce dernier dit avoir tenté à maintes fois, de rejoindre l’un des pays d’Europe, l’Italie ou la France, sans jamais y parvenir “des centaines de jeunes ont pu rejoindre l’un de ces pays mais en payant le prix fort. D’abord, en termes d’argent puisque la traversée coûte généralement entre 1 500 à 2 000 Euros mais aussi en termes de risques puisqu’on peut facilement y laisser sa vie”. Après plusieurs tentatives qui ont échoués et trois mois de galère dans les rues d’Athènes où il ont connu les pires souffrances au milieu d’un chômage endémique et une délinquance dominante “la Grèce traverse en ce moment une crise économique et sociale. il est pratiquement impossible d’y dénicher un boulot pour vivre dignement surtout pour les étrangers. Après 12 semaines passées à déambuler et errer inutilement, nous avons sollicité les services du consulat d’Algerie à Athènes qui nous ont délivré un laissez-passer pour retourner dans notre pays», indique Naguim qui a entrecoupé ses dire par un ouf de soulagement ou de dégoût ? il nous dit que les deux sentiments s’entre mêlent “si c’était à refaire, je le referais, je n’ai aucun regret. Cette expérience m’a ouvert les yeux, j’ai eu à relever le défi d’être sous un ciel qui n’est pas le nôtre. Maintenant, j’ai l’esprit aguerri. Si j’aurais à tenter l’aventure, je le referais avec beaucoup de maturité je ne foncerais jamais les yeux fermées, la tête baissée” dit Naguim. Côté autorité Algériennes, le secrétaire d’Etat chargé de notre communauté à l’étranger a estimé dans une récente sortie publique, que “d’ici la fin de l’année, environ un millier de jeunes Algériens seront, sans doute, rapatriés, à leur demande, après vérification d’identité. Vu la complexité de ce travail, l’opération peut prendre du temps”. Pour M.Halim Benattallah, secrétaire d’Etat en charge de la communauté algérienne à l’étranger, il ajoutera que “Nos jeunes sont acheminés vers la Turquie, on leur enlève leurs papiers d’identités puis ils sont conduits en Grèce où ils se retrouvent démunis et en situation irrégulière”. Des jeunes continueront, malgré tous les risques, à tenter de quitter le pays au péril de leurs vies et à la recherche d’un meilleur cadre. Partir pour eux est une sorte de délivrance de tous ces maux qui rongent leurs vécus et qui ne peuvent se guérir par de simples mots. Naguim, à l’image de la majorité de nos jeunes, ne cesse de penser à ce jour où il pourrait, enfin, avoir une voiture, une maison et de l’argent. il jettera à la fin de l’entretien, que nous avons eu avec lui, un profond regard vers la mer, une mer agitée qu’il contemplera un laps de temps avant de lancer “peut-être un jour…”
Omar Zeghni