“L’immigration, un signal fort que les gens ne sont pas heureux”

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La Dépêche De Kabylie : Tout d’abord, pourquoi écrire sur les harraga ?

Kamel Boudjadi : Le phénomène interpelle d’abord tout le monde. Tous ceux qui peuvent apporter leur contribution afin de trouver une issue doivent le faire. Pour moi, l’écriture sur le problème, car il s’agit bien d’un sérieux problème, n’est pas venue du jour au lendemain. En tant que journaliste, j’ai eu à travailler sur les harraga. Au fil des articles et des reportages, je me suis fait des connaissances parmi les jeunes candidats à l’aventure. Je me suis retrouvé parmi eux à partager leurs complaintes, leurs souffrances quotidiennes et leur espoir d’une vie meilleure. Vous savez, ces jeunes n’ont rien de spécial. Ils sont comme tout le monde. A la seule différence : le moyen choisi pour partir. Il est dangereux. Autres que le moyen et la méthode utilisés, voyez-vous une différence entre un jeune qui laisse tout derrière lui et part au Canada et un autre qui part en France ou en Espagne ? Beaucoup de jeunes ne rêvent que de partir aujourd’hui. Ne pas en parler et se le cacher seraient une fuite en avant qui n’apporte aucune solution. Voilà globalement pourquoi j’écris sur ce phénomène.

Harraga, quelques raisons de partir, votre premier roman est-il une invitation à partir, à tenter l’aventure de la “Harga” ?

Oui, une invitation à partir mais, vers une autre destination. Celle du dialogue et de la parole décomplexée. Il faut parler de ce phénomène. Mais, pour le faire, il faut d’abord donner la parole aux premiers concernés. Le roman que je viens de publier s’inscrit dans cette perspective justement car ce sont eux qui parlent. Un roman témoignage d’une aventure qui n’aurait pas dû exister. Qui, selon vous, accepterait de quitter son pays, ses parents, ses amis, en somme, sa vie pour aller dans un ailleurs incertain ?

Pensez-vous que la misère sociale est, à elle seule, une bonne raison de tenter une telle aventure, risquer sa vie…?

Je ne le pense pas du tout ; bien au contraire. J’ai rencontré des jeunes issus de familles très aisées choisir cette aventure par la mer. Les autres qui partent au Canada, le font-ils parce qu’ils sont dans la misère ? Non, ce n’est pas uniquement ça. L’aisance financière est un facteur mais elle n’est pas seule. La Harga ou l’émigration ordinaire est au contraire un signal fort que les gens ici ne sont pas heureux. Si l’argent à lui seul donnait du bonheur, moi, je suis convaincu que ces jeunes seraient restés ici. Les jeunes Algériens sont capables de supporter la pauvreté comme leurs ancêtres d’ailleurs. Ils sont à la hauteur de travailler mieux que les autres pour se faire de l’argent…beaucoup d’argent. Beaucoup de choses les étouffent ici. Beaucoup d’autres aspirations les attirent ailleurs. Laissons-les parler, s’exprimer et dire leur mal. C’est déjà le début de la solution. De la parole jaillit la lumière.

Entretien réalisé par O. Z.

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