Ils sont sortis pour crier leur ras- le-bol de vivre pauvres dans un pays si riche.
Ils ont bravé la mort avec un courage si fort que cette dernière n’eut d’autres choix que de les stopper net face aux balles de leurs concitoyens. Pourtant, aussi sporadiques soient-elles, les manifestations, qui devaient découler sur une véritable mue des pratiques du système, ont laissé aujourd’hui un goût de cendre et les officiels préfèrent tourner, encore une fois, le dos à ce “mauvais souvenir”.
Beaucoup de questions sont restées en suspens vingt deux années plus tard. Mais la plus pertinente, et dont la réponse peut à elle seule cerner l’étiologie, est de savoir ce qui reste, à l’heure actuelle de ce potentiel démocratique chèrement acquis. Rien ou presque, même s’il a marqué la naissance du multipartisme, de la presse dite indépendante et des libertés individuelles.
Multipartisme, voilà un gros mot qui s’assimile bien mieux à l’arlésienne qu’à sa pratique qui implique que les autorités acceptent les sensibilités politiques qui lui sont étrangères et leurs critiques à son égard. Or c’est loin d’être le cas. Les partis politiques sont réduits à un rôle de figurants dans un paysage politique verrouillé. Et pour bien achever toutes initiatives tendant à faire changer les choses, le parlement s’est mu en véritable chambre d’enregistrement sans pouvoir ni compétence. Et pour le troisième postulat que sont les libertés individuelles, un fait, et pas des moindres, est là pour apporter la preuve de leur absence. En effet, ce matin au tribunal de Larbaâ Nath Irathen, aura lieu le procès de la honte. Du haut de son lutrin, le juge aura à demander aux deux chrétiens, mis en cause, de justifier, sous peine d’emprisonnement, le fait de n’avoir pas pratiqué le carême, un des cinq percepts d’une religion, de lumière certes, mais qui n’est pas leur. Pourtant, la constitution algérienne est claire là-dessus. Mais entre la loi suprême qui garantit ce droit inaliénable et celle assujettie aux équilibres du moment, et nous le constatons chaque jour que Dieu fait, qu’un fossé aux abords frileux les sépare.
22 années après le soulèvement spontané d’une jeunesse éprise de liberté il ne reste que les cendres et que le vent de l’oubli finira bien un jour par souffler. Voilà une opportunité payée au prix du sang qui a fait trembler les murailles d’un système pour ne devenir aujourd’hui, qu’un vague souvenir que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître.
Aujourd’hui, après un tribut de plus de 159 morts, selon un bilan officiel et plus de 500 selon des rapports d’ONG, le 5 Octobre n’est ni une date commémorative, ni une journée fériée et encore moins le jour du renouveau. Cette date a fini par être noyée dans un tourbillon de rumeurs qui soutiennent mordicus qu’il s’agit rien de moins que d’une manipulation de jeunes pour faire admettre un semblant d’ouverture. Et pourtant c’est de là qu’est proclamé l’état de siège qui d’une manière ou une autre est toujours en vigueur.
Ferhat Zafane