Défendre la mémoire collective des Algériens

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Des inscriptions libyques remontant à la haute Antiquité ont été exposées l’année dernière, au musée national Ahmed-Zabana situé au cœur de la ville d’Oran.

Ces inscriptions dont la majorité se trouve sur les sites historiques du Sud algérien, sont rarement exposées et vulgarisées dans des lieux de culture comme les musées ou les écoles. La collection ainsi exposée et qui est conservée au musée Zabana a fait l’objet d’une restauration par les élèves de l’École régionale des Beaux-Arts d’Oran, formés dans ce domaine par des experts de l’Association espagnole “Restaurateurs sans frontières” (A-RSF).

Cette exposition a permis de mettre en valeur une période méconnue de l’histoire, située entre le 10e et le 3e siècle avant J-C., comme l’avait souligné le directeur du musée Zabana, M. Hadj Meshoub. Cette action a été fortement appréciée par les visiteurs dont certains ont été sidérés de découvrir une graphie autrefois connue à l’échelle de toute l’Afrique du Nord. Cependant, elle fut acculée vers les zones désertiques après l’occupation romaine qui instaura la langue latine comme langue de communication et d’administration.

Des gestes pédagogiques comme ceux qui sont initiés au cours de ces dernières années, et pouvant, à première vue, paraître anodins ou banals, viennent néanmoins réveiller la curiosité des visiteurs et particulièrement des élèves qui n’ont pas toujours la possibilité matérielle de se déplacer sur les sites abritant ce genre de précieux legs culturel.

Il en est de même du tout récent Musée des arts modernes algériens (Mama) qui occupe la coupole mauresque des anciens locaux du Monoprix de l’ex-rue d’Isly (actuelle Larbi Ben M’hidi). La position centrale de cet établissement au cœur d’un boulevard commerçant et très passant de la capitale lui procure une sollicitation particulière des visiteurs.

Dans ce domaine, l’amer constat est que la tradition culturelle dans notre pays n’est pas bien ancrée de façon à ce que le geste qui consiste à visiter régulièrement les musées devienne un acte naturel et ordinaire. C’est un travail long et ardu qui attend aussi bien les responsables de la Culture que le monde associatif et les établissements d’enseignement pour faire aimer le musée au public algérien.

Dans le cadre de ce travail de restauration des anciennes inscriptions et de l’exposition du produit final, le sentiment de la redécouverte de soi par une plongée dans la culture historique du peuple algérien est ainsi partagé aussi bien par les élèves de l’école des Beaux-Arts qui ont réhabilité de vieilles graphies de nos ancêtres que par les élèves-visiteurs.

C’est un sentiment qui nous hante face à l’amour et à la dévotion dont font montre tous les gens épris d’authenticité et de vraies valeurs culturelles qu’ils tentent, contre vents et marées, de faire partager aux autres par des actions simples mais ô combien rédemptrices. La culture muséale dans notre pays n’a pas encore acquis ses véritables lettres de noblesse pour qu’elle devienne le ‘’pain quotidien’’ de nos enfants à l’école et en dehors de l’enceinte scolaire.

L’école et les associations : un rôle capital

Cependant, une chose a acquis sa valeur de certitude : l’amour de l’histoire et des supports qui portent ses traces et ses vestiges (sites historiques, ruines, livres, musées,…) doit être inculqué dès la prime jeunesse à ceux qui sont considérés comme de futurs citoyens assumant totalement l’histoire du pays et étant fiers des valeurs qu’elle véhicule.

Des énergies bénévoles et des compétences passionnées viennent ainsi combler, du moins en partie, les déficiences et les ‘’omissions’’ de l’école algérienne.

Ces dernières sont malheureusement trop nombreuses pour qu’elles puissent être rattrapées par un simple travail de volontariat. Si seulement celui-ci pouvait bénéficier de l’aide et de l’assistance des pouvoirs publics. Pour les cours de botanique et de géologie, rares sont les établissements qui prévoient des sorties sur le terrain. Sous d’autres cieux, la première connaissance géographique est celle relative au village et à la commune et même la bourgade où résident les élèves.

En prenant connaissance des roches, de la nature du sol, des ruisseaux, des plantes et des bestioles qui composent le paysage local, l’écolier commence à se fixer dans un « pays réel », une terre qu’il apprendra à aimer. C’est lui éviter, ainsi, la haine de soi et le complexe de l’étranger, paradis pathologiquement magnifié jusqu’au stade de l’esprit « harraga ».

L’une des conditions de la citoyenneté commande justement à ce que nos potentialités naturelles soient rationnellement exploitées et que nos gisements culturels soient intelligemment préservés et mis à la disposition de la communauté.

Dans ce cadre, l’on ne saurait que légitimement insister sur le rôle des associations culturelles pour accompagner ces élans et leur conférer un contenu concret qui corresponde à la demande et aux vrais besoins de la jeunesse.

Il n’en demeure pas moins que, malgré les limites objectives dans lesquelles est circonscrit le travail d’une association ou d’une individualité prise dans l’étau de la bureaucratie administrative, toute initiative de cette nature va nécessairement droit au cœur. Cela est d’autant plus vrai qu’une grande partie des associations- happées par des intérêts politiciens ou bassement matériels- ne font arborer ce titre que pour des desseins ou usages interlopes.

La grave saignée du pillage du patrimoine

L’actualité de l’année 2010, dans le domaine du pillage du patrimoine et des objets historiques est tout simplement effrayante. La presse s’est dernièrement fait l’écho de plusieurs actes de ce genre, particulièrement à l’Est du pays où l’Algérie regorge de vestiges et d’objets de valeur aussi bien dans l’enceinte des musées (Skikda, Guelma, Constantine) que sur les sites historiques à ciel ouvert. Une grande partie de ces objets prend la destination de la Tunisie. Certains chefs-d’oeuvre continuent leurs chemins jusqu’à l’Europe.

En 2009, Mme Khalida Toumi, ministre de la Culture a annoncé un plan d’urgence pour le renforcement de la protection du patrimoine culturel et de la lutte contre toutes formes d’atteinte aux bien culturels ou de tentatives de trafic de ces biens. Les informations sur les vols, la destruction et le trafic des biens culturels matériels (pièces de musée, tableaux de peinture, peintures rupestres,…) qui va jusqu’à l’exportation illégale vers les pays voisins ou vers l’Europe ne cessent de se multiplier et d’inquiéter l’élite éclairée du pays.

Le membre du gouvernement a essayé de sensibiliser l’opinion et surtout les autres partenaires de l’administration (services de sécurités, APC, wilayas,…) pour apporter leur part de contribution à la protection des pans entiers de la mémoire du peuple algérien et de ses valeurs culturelles ancestrales.

Des inspections et des audits réguliers doivent accompagner la gestion du patrimoine. Sur les grandes aires où reposent des centaines, voire des milliers de pièces archéologiques à ciel ouvert (parc national du Hoggar-Tassili, site archéologique de Brizina, au sud d’El Bayadh, les Djeddars de Tiaret, les sites de Aïn Sefra,…) ou dans les villes antiques comme Timgad, Tipasa ou Djemila, l’action des pouvoirs publics est plus que sollicitée. Elle est le seul moyen qui puisse arrêter la saignée de la mémoire collective des Algériens et qui, hélas, commence à être bradée en lambeaux sur les marchés de brocante d’Europe ou dans les magasins des antiquités.

Dans un domaine aussi sensible de la vie de la collectivité nationale, où la symbolique et le poids de l’histoire jouent un rôle prépondérant, la sensibilisation permanente et à tous les niveaux des institutions du pays demeure incontestablement la meilleure arme pour protéger et promouvoir ce précieux legs de l’histoire nationale millénaire.

Un mois du patrimoine, période pendant laquelle, chaque année, s’organisent journées d’études et campagnes de sensibilisation autour du précieux legs, matériel et immatériel, laissé par les générations qui nous ont précédés et dont l’âge peut remonter jusqu’à… l’âge de pierres, ne suffit guère pour vulgariser notre patrimoine culturel et sensibiliser les citoyens à son importance.

A plusieurs reprises, des spécialistes, des médias et des responsables chargés du secteur ont tiré la sonnette d’alarme sur le sort réservé à certaines pièces culturelles ou historiques, mémoire censée être indélébile du peuple algérien. Le phénomène du vol de pièces archéologiques et de musée a pris une ampleur inquiétante au cours des quatre dernières années. Il ne se passe pas un mois sans que la presse ne fasse état de vol, pillage, vandalisme, concernant le patrimoine culturel et historique de notre pays.

Ce nouveau phénomène de vandalisme particulier nous jette à la figure l’étendue de notre impuissance et de notre inconscience face à ce qui prend l’allure d’une forfaiture nationale commise à l’endroit de la mémoire et de l’histoire du peuple algérien.

Certes, nous avons cette consolation d’être informés par la presse ; mais, c’est pour mieux culpabiliser, sans grand résultat, les autorités chargées de la protection d’un patrimoine datant de plusieurs milliers d’années et éparpillé aux quatre coins du pays. Y a-t-il façon plus pernicieuse de tuer le sentiment d’appartenance à un pays, à une culture, à une civilisation ? Y a-t-il manière plus avilissante de jeter la jeunesse algérienne dans le giron du nihilisme et dans les bras de l’intégrisme en leur faisant perdre les repères les mieux établis historiquement?!

Amar Naït Messaoud

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