Dans un environnement politique souvent caractérisé par la léthargie, le surplace et l’imprécision des acteurs, l’accélération des événements sur le terrain sécuritaire, particulièrement en Kabylie, donne décidément du tournis aux commentateurs et laisse hébétées les populations des villages et bourgades de la montagne.
Au cours de ces deux dernières années, presque chaque semaine, les manchettes et les entrefilets de journaux n’arrêtent pas d’annoncer de lugubres nouvelles faisant état d’une chute aux enfers en matière de sécurité des personnes et des biens.
La peur hante les rues et les champs. Une indicible hantise s’empare des parents d’élèves qui n’ont presque plus aucune assurance de voir leurs enfants rentrer le soir à la maison. Il n’y pas que les enfants qui sont menacés d’enlèvement.
Des adultes- entrepreneurs, fils d’entrepreneurs, propriétaires de débits de boissons,…- sont visés par des groupes dont on arrive mal à identifier tout de suite les motivations autres que celles crapuleuses consistant à maximiser les ‘’recettes’’ issues de rançons ou-pourquoi pas, comme la vox populi le colporte- “rentabiliser’’ les organes humains extraits des corps d’enfants. En tout cas, toutes les supputations sont autorisées et toutes les lectures sont convoquées dans un contexte où jamais peut-être les cartes n’ont été aussi brouillées en Kabylie.
Les successifs kidnappings de commerçants, entrepreneurs et autres personnes qui peuvent bien valoir une demande de rançon ont légitimement semé panique et affolement au sein de la population et de l’opinion après que, paradoxalement, dans le reste du pays- y compris dans les fiefs où l’islamisme armé a pris ses quartiers dès les premiers jours de cette aventure anti-nationale-, le retour à la paix, à de rares exceptions près, est devenu une réalité palpable.
Quoi qu’il en soit, il demeure établi que la jonction entre le banditisme de grand chemin et le terrorisme islamiste, lequel a grandement besoin de ce vivier pour continuer sa basse besogne, a trouvé en Kabylie, son terrain de prédilection. Ce terrain est manifestement fertilisé par le gribouillage politique auxquels sont réduits les acteurs traditionnels de la région, le désarroi social auquel sont réduits les jeunes des villes et villages et le climat de suspicion permanent qui alimente les relations entre la Kabylie et l’État central.
D’ailleurs, parallèlement au climat d’insécurité régnant sur les routes, dans les établissements financiers (banques, bureaux de poste) et même dans la périphérie de certains hameaux, une entreprise d’inquisition a été dirigée depuis plusieurs années, contre les jeunes Kabyles qui se sont convertis au christianisme. On a ameuté la République et convoqué bans et arrière-bans sur les ‘’conquêtes’’ évangélistes qui auraient ‘’désislamisé’’ toute la région. Il manquait juste Torquemada et les bûchers tant les titres d’une certaine presse étaient chargés de poison et de venin destinés à une contrée jugée comme rebelle.
Reconnaissons aussi que les pouvoirs publics et l’appareil judiciaire ont été entraînés en août dernier dans une entreprise de bigoterie qui n’aurait pas dû être la leur. En effet, la poursuite en justice de jeunes qui n’ont pas observé le jeûne du Ramadan à Aïn El Hammam et Ouzallaguène s’apparente à un excès de zèle qui risque d’ajouter de l’eau au moulin de tous les inquisiteurs que compte le pays, et Dieu sait qu’il y en a des ribambelles.
Les inquisiteurs sustentent un esprit belliqueux nourri d’aigreur mal contenue et de patente volonté de revanche sur le cours inexorable de l’histoire. Une histoire encore balbutiante dans sa marche vers plus de liberté et de modernité mais assez chargée du souffle et de l’énergie de la jeunesse kabyle pour ambitionner de briser tous les moules et toutes les camisoles ayant la prétention d’emprisonner les élans tendus vers le progrès social et politique de la Kabylie.
Une région et une population qui veulent se remettre des tragédies passées et des errements encore actuels de certains politiques pour prendre le train du développement ne peuvent être que profondément révulsées par les nouvelles épreuves qu’on veut leur faire subir.
Elles savent que la peur et l’affolement que l’on veut installer sur cette terre ont pour principal objectif la soumission de la région. Soumission politique, sociale et culturelle qui jetterait dans la régression une partie du territoire national considérée jusqu’ici comme la locomotive des luttes démocratiques et le porte-étendard des espoirs de la modernisation du pays.
Cependant, la mobilisation citoyenne a montré que l’arbitraire et la négation de la vie peuvent être vaincus et dépassés. C’est la leçon qui vient de nous être livrée encore une fois du côté des Ath Djennad avec la libération du jeune enlevé même si on déplore la mort de son accompagnateur suite aux blessures qu’il avait reçues lors de l’opération de kidnapping.
Amar Naït Messaoud