“Avec le traitement actuel, l’épidémie pourrait disparaître d’ici 2050”

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“Le vaccin sera alors efficace quelque soit le mutant qui apparaît car les anticorps produits seront dirigés contre les zones constantes entre toutes les souches du VIH.”

Propos recueillis par Nadir Touati :

La Dépêche de Kabylie : Quelle est la situation générale actuelle de l’épidémie VIH/SIDA ?

Pr Kamel Sanhadji : En terme épidémiologique, il est nécessaire de rappeler que 33 millions de personnes vivent avec le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) sur la planète et 25 millions sont morts depuis le début de l’épidémie en 1981. Plus de 58 millions de personnes ont donc été contaminées par le virus du sida.

La maladie tue encore plus de 1,8 million de personnes par an.

Existent-ils de nouvelles recommandations thérapeutiques pour y faire face ?

Les dernières connaissances suggèrent de commencer très tôt les traitements antisida pour protéger le système immunitaire. Le schéma thérapeutique classique a ainsi été bouleversé. En effet, il était d’usage de ne démarrer le traitement antirétroviral avec la multithérapie (dite trithérapie) que lorsque la propagation du virus devient importante dans l’organisme du patient et que le système de défenses immunitaires est affaibli. La dernière étude stipule de débuter le traitement de préférence dès la contamination par le VIH. Ce traitement précoce permettrait d’éradiquer le virus avant qu’il ne se multiplie d’une façon importante dans l’organisme. Les nouvelles contaminations (transmission du virus à un tiers par voie sexuelle ou par injection) seront ainsi arrêtées.

Cette nouvelle stratégie thérapeutique implique par voie de conséquence, un dépistage massif et généralisé. Selon les experts et avec une telle démarche, l’épidémie pourrait probablement disparaître dans quelques décennies (environ en 2050) si toutes les personnes infectées par le VIH étaient dépistées et recevaient des médicaments antiviraux.

Que faut-il faire pour la réussite de cette stratégie ?

Les Etats doivent s’impliquer davantage dans cette stratégie, qui reste insuffisante. Aujourd’hui, dans le monde, 12 millions de personnes sont dépistées et seulement 5 millions sont traitées sur un total de 33 millions de personnes vivant avec le VIH. Il est de la responsabilité des pouvoirs publics, d’une part, de démultiplier rapidement les structures de dépistage anonyme et gratuit pour un dépistage précoce du plus grand nombre possible de personnes infectées par le VIH, et d’autre part, de mettre à la disposition de la population, le traitement antiviral en quantité suffisante et sans interruption pour un accès aux soins juste et équitable.

En effet, l’interruption du traitement anti-VIH peut avoir des conséquences graves sur la santé du patient mettant en jeu sa survie. Un échappement viral, par absence de traitement, se traduirait être par une multiplication du virus que ne pourrait arrêter par une administration du traitement d’une façon différée.

Que reste-t-il pour la recherche d’un vaccin antisida ?

En ce qui concerne le vaccin contre le VIH, ce dernier possède des capacités de mutations infinies. L’immunité développée par l’organisme contre ce virus efficace au début, s’amenuise au cours du temps (sur quelques années) à cause des régions hautement mutantes que le VIH expose. Cependant, il existe des parties qui ne mutent pas (dites parties constantes) mais qui sont “cachées” par le virus. Ces parties cachées sont difficilement accessibles au système immunitaire. Il faudrait alors extraire ces zones intéressantes, les amplifier (pour avoir de grandes quantités) et les utiliser comme produit vaccinal (travail du Professeur Luc Montagnier, Prix Nobel de Médecine 2008). Le vaccin sera alors efficace quelque soit le mutant qui apparaît car les anticorps produits seront dirigés contre les zones constantes entre toutes les souches du VIH.

Ces limites concernant les médicaments et le vaccin nous ont poussés à engager des travaux de recherches visant à éradiquer de l’organisme infecté complètement le virus du sida. La thérapie génique est un des moyens pour y arriver. Il s’agit de faire fabriquer par l’organisme des pièges pour leurrer le virus et le détourner de sa cible qu’est le globule blanc appelé lymphocyte T4. Comme le VIH se fixe sur un endroit précis et fixe (récepteur CD4) du lymphocyte T4 pour pénétrer la cellule et l’infecter ; on fournit au virus des CD4 solubles (non plus fixes sur la cellule) grâce à un gène (codant pour la molécule CD4) qu’on greffe dans l’organisme du patient infecté par le VIH. Ainsi, le VIH se “jette” sur ces CD4 solubles et s’y fixe fortement. Le virus restant ainsi à l’extérieur de la cellule cible sans y entrer, il meurt au bout de 6 heures et s’élimine de l’organisme. Cette dernière possibilité encore expérimentale, nécessite encore quelques mises au point sur le plan de la biosécurité. Cette phase nécessitera encore 3 ou 4 années avant son application chez l’homme.

Aujourd’hui, l’on craint surtout la contamination de la mère à son enfant ?

Une avancée importante et intéressante en matière de prévention de la contamination chez la femme considérée comme personne vulnérable dans de nombreuses sociétés. Le fléau est dévastateur principalement en Afrique sub-saharienne. Il s’agit de la mise au point d’un microbicide (gel à usage intra vaginal) contenant des antirétroviraux ayant fait l’objet d’une étude sur une large population de femmes en Afrique du Sud, durant les trois dernières années. L’utilisation du gel, par la femme, 12 heures avant le rapport sexuel à risque et la poursuite du gel 12 heures après, réduirait de 50% le risque de contamination chez la femme. Cette démarche concernant la mise en place et la diffusion à grande échelle du gel microbicide (son prix de revient est intéressant pour les pays pauvres) est soutenue par le multimilliardaire Bill Gates et son épouse Mélinda.

Un autre fait scientifique important a été confirmé dans la diminution du risque de contamination par le VIH. Il s’agit de la circoncision puisqu’elle réduit de plus de 50% les risques de contamination par le virus du sida chez l’homme. A ce propos, l’ex-président américain, Bill Clinton, s’est fait, à cette conférence de Vienne, un défenseur acharné des bénéfices de la circoncision. Il préconisera de concentrer les efforts de prévention “là où ils ont plus d’impact” en citant l’exemple de la circoncision.

Les pays du Sud : quel avenir ?

Dans beaucoup de pays, malheureusement, les traitements ne sont pas accessibles à de larges pans de la population. D’autant plus, une possibilité très réelle de faire régresser l’épidémie de sida à moyen terme existe maintenant. La laisser passer serait coupable de la part de la communauté internationale. La saisir demande une volonté politique, une organisation, une adhésion de la population et des moyens additionnels. Est-ce trop demander, quand on pense au bénéfice humain immédiat et aux économies que générera demain cette prévention ? Il ne faudrait pas trop attendre des pays nantis mais chaque pays faible ou pauvre doit intervenir selon ses moyens (de la simple prévention archaïque à l’achat de médicaments). L’Algérie, avec les moyens financiers dont elle dispose aujourd’hui (Dieu merci), est à même d’acquérir et de fournir ces traitements à tous les patients algériens.

Quant à la baisse des prix des médicaments anti-VIH, certains laboratoires pharmaceutiques consentent à des baisses des prix de vente car ces laboratoires se sont trouvés confrontés à des firmes pharmaceutiques qui ont copié et produit ces médicaments sous forme générique même si les brevets des molécules-mères (médicament princeps) n’ont pas encore expiré.

Il est vrai, aussi, qu’on a plus de mal à obtenir des chiffres fiables dans les pays arabes en général. On n’a pas su adapter le discours pour y arriver. Les pouvoirs publics sont tenus de mettre en place une culture du “parler vrai”. On ne peut le faire qu’avec la participation de l’école. Les programmes scolaires devraient être adaptés pour que l’on puisse aborder de tels sujets. On pourrait, par exemple, consacrer 5 à 10 minutes par mois aux diverses maladies y compris celles qui sont transmises sexuellement. L’enseignant pourra le faire et facilitera la tâche aux parents. C’est encore mieux si ces derniers y participent en discutant avec leurs enfants. Les enfants, une fois instruits de ces aspects, pourront faire eux-mêmes et entre eux le travail de prévention car ils ont leur propre langage. L’effet boule de neige prendra rapidement place et la prévention sera efficace et réelle. Il s’agit en fait d’un problème de mise en place d’une culture.

SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), cancers, grippe A (H1N1), Hépatites, qu’en dites-vous en tant que chercheur ?

Toutes ces maladies émergentes et ré-émergentes sont aussi “un mal pour un bien” car elles nous permettent (je m’adresse aux chercheurs) de faire des recherches afin de parer à toute éventualité en cas d’arrivée d’un germe infectieux dangereux. Ils nous servent, en quelque sorte, de modèles pour être prêts en cas de besoin.

N. T.

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