La voix de l’errance

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El Hasnaoui produit, à compte d’auteur, un répertoire riche d’une quarantaine de chansons. Des chef-d’œuvres musicaux intemporels, portés par une voix chaude au timbre grésillant. Il développe un style novateur et chatoyant fruit d’un métissage musical recherché.

La vie d’El Hasnaoui, est l’histoire singulière d’un homme, artiste génial, devenu légende. Un être discret que l’on dit profondément marqué par un destin acharné qui, tour à tour, le prive de la chaleur d’une famille, de son amour de jeunesse et de sa terre natale qu’il quittera et dont jamais plus il ne reverra le soleil.

Khelouat Mohamed qui, dans les années 50, devient Cheikh El Hasnaoui est né le 23 juillet 1910 au village Taddart Tameqrant (Ihesnaouen) au sud de la ville de Tizi-Ouzou. Il connaît, très tôt, le goût amer d’une enfance tourmentée; l’absence d’un père, enrôlé par l’armée française durant la Première Guerre mondiale et la mort de sa mère disparue alors qu’il n’est âgé que de 6 ans. Le jeune orphelin, dépourvu de repères, trouve refuge, pour un temps, chez des proches, à Alger. Démobilisé du front, son père le retrouve et le place dans l’école coranique de Bouassem. Le petit Khelouat Mohamed y étudie quelques années, sans toutefois éprouver un grand intérêt à psalmodier, des journées durant, des versets du Coran. D’autant plus que son penchant pour la musique se fait déjà sentir. Il quitte l’univers rigide des zaouïas et se rend dans la capitale pour y gagner sa vie. Dans le vieil Alger des années 20, il se frotte aux grands maîtres de la musique chaâbi comme El Anka, M’rizek, Kaddour Cherchalli. Il assimile toutes les finesses de ce genre musical exigeant et s’affirme, bientôt, comme un artiste accompli, maître de son art et capable de l’exprimer aussi bien dans sa langue maternelle qu’en arabe populaire. Il anime nombre de soirées qui sont pour lui l’occasion de se produire en public et de monnayer son talent.

En cette fin d’années 30, les hommes chassés par la misère, délaissent pour un temps ou pour longtemps la Kabylie. Sans répit, bateaux et avions bondés, dans une ambiance confuse merveilleusement décrite par l’artiste dans sa chanson maison blanche, vident la région de ses forces vives, ne laissant que femmes et enfants dans les villages. Mohamed Khelouat éprouve, lui, le besoin d’enregistrer des disques, alors que se confirme l’essor de l’édition phonographique, afin de donner une nouvelle dimension à sa carrière. Il embarque donc pour la France, pour un aller sans retour, laissant au pays l’être aimé. Une séparation dont il ne pourra se consoler sa vie durant. A Paris, le « Maître » s’impose comme un artiste phare, illuminant de toute sa classe la vie artistique du moment confinée aux seuls cafés, véritables microcosmes de la société kabyle. De tempérament solitaire, il fréquente très peu les grands noms de la chanson kabyle des années 40 (Farid Ali, Zarrouki Allaoua, Slimane Azem…) mais se lie d’amitié avec Fatma-Zohra et Mohamed Iguerbouchene avec lequel il collabore dans des émissions radiophoniques. Sa carrière connaît une parenthèse, durant la Seconde Guerre mondiale, le temps d’accomplir en Allemagne, le service du travail obligatoire. Et dès la fin du conflit, parallèlement à son métier de cuisinier, il reprend son activité artistique.

Entre la fin des années 40 et le milieu des années 60, El Hasnaoui produit, à compte d’auteur, un répertoire riche d’une quarantaine de chansons. Des chef-d’œuvres musicaux intemporels, portés par une voix chaude au timbre grésillant. Il développe un style novateur et chatoyant fruit d’un métissage musical recherché. Il évoque, surtout, de façon passionnelle, les thèmes de l’exil et de l’amour impossible et s’inscrit comme un poète résolument tourné vers la modernité en abordant des sujets, tel l’émancipation de la femme, dérogeant à l’ordre traditionnel.

El Hasnaoui se retire définitivement du circuit artistique, en 1970, sans avoir eu la reconnaissance tant méritée du grand public. Ce n’est que bien après sa carrière que son œuvre et sa personne suscitent un réel engouement populaire. Retraité il quitte la région parisienne pour le soleil niçois, puis comme pour mieux matérialiser son désir de solitude et cultiver le mystère qui règne autour de lui, il s’installe, en 1988, à l’île de la Réunion en compagnie de son épouse.

El Hasnaoui décède, discrètement, le samedi 6 juillet 2002 à l’âge de 92 ans. Un monument de la chanson kabyle de plus, comme par malédiction, s’éteint sur une terre étrangère…

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