«L'armée ne tirera pas sur nous, ce sont nos frères»

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À cinq minutes du début du couvre-feu, les alentours de la place Tahrir (« Libération » en arabe) grouillent de monde: motos, voitures, piétons, cortèges de manifestants venus d’autres quartiers qu’on voit converger vers l’énorme esplanade noire de monde. Des dizaines de milliers de personnes femmes, petits enfants, mères de familles, jeunes, vieux continuent de scander des slogans anti-Moubarak, de défiler, de crier, de célébrer les militaires debout sur leurs chars postés à toutes les issues. « La police c’est fini, et l’armée ne tirera pas sur nous, ce sont nos frères et ils sont éduqués. Ils ont une morale, contrairement aux policiers », veut croire Ahmed, 24 ans. C’est la question qui se pose en cette fin d’après-midi: que fera l’armée alors que le couvre-feu a été déclaré jusqu’à 8h dimanche matin. « Nous restons, c’est notre pays, pas le leur », proclame un tract. Les manifestants ont investi très progressivement la place à partir de la fin de la nuit. Les policiers en revanche ont déserté l’endroit. Seule la carcasse brûlée d’une de leurs voitures fume encore, mise à feu par les manifestants. On a vu des militaires distribuer un peu de nourritures aux manifestants, porter rapidement des bannières et des pancartes qui leur étaient tendues, avant de les rendre aux protestataires. Grimpés sur leurs chars, certains les ont serré dans leur bras. Beaucoup se prennent en photo devant les blindés, et les soldats sont souriant. Ils protègent notamment les entrées du musée qui abrite des vestiges de la période des phararons. Derrière ce bâtiment, l’immeuble du PND, le parti de Moubarak, brûle toujours par endroit et dégage une épaisse fumée noire.

«Je suis Egyptien et je suis fier!»

En début de journée sur les pelouses de la place, des manifestants se reposaient, fatigués d’une nuit d’affrontement avec la police. Jusque tard dans la nuit, les combats ont continué à proximité de Tahrir. « On a brûlé au moins 25 voitures de police à Giza (un quartier du Caire, ndlr) », affirme Mohammed, 26 ans, doctorant en psychologie. Certains manifestants arborent des bandages, certains montrent sur leur visage l’impact de ce qu’ils affirment être des plombs. Ahmed lui a des béquilles depuis qu’il a été blessé lors des manifestations mardi. « Mais je suis de retour, aujourd’hui c’est le début de la révolution », affirme le jeune médecin. « Je veux vous dire quelque chose », interpelle un de ses amis, « Je suis égyptien et je suis fier! ». Les contestataires mettent un point d’honneur à rendre la place plus propre qu’elle ne l’a probablement jamais été. ddfdf des sacs poubelles à la main, balayant la poussière et les cailloux, ils s’improvisent offciers de la circulation, régulant le trafic assez important. Ils empêchent les journalistes de photographier ou filmer les quelques véhicules militaires ou de police incendiés. Et nombreux sont ceux qui abordent directement les journalistes et leur lancent un « Bienvenue en Egypte! ».

De temps à autre, des petits cortèges se forment et partent en défilé sur la place en criant des slogans anti-Moubarak. « Moubarak, t’es pilote, l’avion t’attend à l’aéroport », crient-ils par exemple. De quelques milliers en milieu de matinée, les manifestants sont de plus en plus nombreux, de plus en plus confiants au fil de la journée. Les slogans sont pourtant interrompus régulièrement par des coups de feu, en provenance du ministère de l’intérieur un peu plus loin, lieu depuis la mi-journée d’une bataille rangée entre manifestants et policiers armés et tirant sur la foule. En fin de journée, il était encore impossible de savoir combien de personnes étaient mortes dans ces affrontements.

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