Les limites de la politique de l’autruche

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La session d’automne des deux assemblées parlementaires prend fin dans une atmosphère de quasi indifférence. Des acteurs de la vie politique et sociale lui reprochent ouvertement son manque d’implication dans la vie du pays.

Cela s’est vérifié à plusieurs reprises. Au moment où la société a le plus grand besoin d’un air de renouveau, de remise en confiance et de perspectives tangibles, les députés se sont signalés par leur absences sur les bancs de l’hémicycle.

Oui, le président de l’APN, Abdelaziz Ziari, comme dans un collège où des élèves se font remarquer par le manque d’assiduité ou par leur absence injustifié a brandi des menaces contre les députés qui continueraient à se comporter avec mépris avec l’institution législative. Le sommet de la bêtise fut atteint lorsqu’une séance de l’Assemblée a été ajournée en raison de la forte proportions d’absences.

Les remous et la fébrilité de la société qui sont montés d’un cran depuis le début du mois de janvier 2011 n’ont pas eu leur prolongement au sein des deux assemblées parlementaires. On n’y a vu que du feu, comme l’a si bien souligné un caricaturiste lorsqu’il montre dans son dessin un jeune qui s’immole par le feu.

Lorsque, à la montée des périls-comme ceux qui guettent actuellement la société algérienne-, l’instance législative se débine, les voix qui appellent à sa dissolution ne risquent pas de rencontrer beaucoup de contradicteurs.

Certains de nos députés ont débattu quelques textes législatifs qu’on a daigné leur présenter ; d’autres se sont abstenus de toute observation, et d’autres encore se sont carrément absentés. Mais qui est à même de faire le bilan de l’action législative en Algérie ? Qui peut évaluer son apport à l’édifice institutionnel et au processus démocratique supposés soutenir la marche de l’Algérie vers des lendemains meilleurs ? Quel député partie ou autre instance, y compris les secteurs les plus concernés de l’administration se sont avisés de présenter un bilan critique, ne serait-ce que sommaire, d’une session ou d’une série de sessions de l’APN ?

Un tel travail aurait permis aux citoyens-électeurs de jauger du chemin parcouru, des dossiers traités et des insuffisances qu’il y a lieu, le cas échéant, de combler ou de rattraper lors des prochaines sessions assemblée ?

Nous n’avons pas connaissance d’un tel souci chez nos élus ou chez les départements de l’Exécutif qui sont censés suivre les propositions des projets de lois soumises aux députés pour examen et adoption. Pour toutes les peines que le pays s’est donné pour asseoir une ‘’mécanique’’ institutionnelle à façade démocratique, ce déficit de suivi et de présentation de bilan devrait inquiéter à plus d’un titre.

Un bicaméralisme de façade ?

L’on ne peut visiblement pas se contenter de ce qui est appelé habituellement la sanction populaire qui, soutient-on, pourrait faire barrage à des députés de se représenter ou au parti auxquelles ils appartiennent de réaliser de bon scores. La complexité des jeux institutionnels et la débandade de la classe politique jettent un tel brouillard sur les missions de l’APN et du Sénat qu’une telle éventualité c’est-à-dire la sanction populaire, demeure un vœu pieux, voire une virtualité. Seule une vie institutionnelle stable et dégagée des interférences parasitaires pourra un jour, si le pays s’engage résolument dans la voie démocratique, faire valoir les choix citoyens et leurs corollaires obligés, la sanction par les urnes et l’alternance au pouvoir.

Sur un autre plan, le mode fonctionnement des deux chambres parlementaires n’est pas au-dessus de toute critique. Loin s’en faut. Notre bicaméralisme inspiré des schémas de démocraties avancées ne cadre pas toujours avec les espoirs et la philosophie censés être le moteur des ces assemblées.

Dans la réalité l’on ne peut plus dissimuler les insuffisances ou de faire semblant d’oublier les griefs faits au fonctionnement de l’Assemblée populaire nationale par certains partis politiques et par des personnalités indépendantes.

On peu grossièrement résumer ces griefs probablement dans ce verdict peu supportable qui fait de cette noble institution une « caisse de résonance » de l’Exécutif. Certains, en forçant un peu le trait, ont carrément déclaré la confusion entre l’exécutif et le législatif, pourtant constitutionnellement bien distincts.

Les griefs les forts ont trait à la ‘’méthode’’ des ordonnances à laquelle a recours parfois le gouvernement pour faire passer ses projets de loi. Que peuvent valoir sur le plan technique et sur le plan de légitimité politique, des ordonnances proposées à l’Assemblée pour une adoption en bloc, sans aucun débat ?

Il est fort possible que, globalement et dans leurs objectifs et esprit, ces ordonnances soient d’une importance capitale dans la vie de la Nation.

Il n’est pas non plus à exclure qu’elles émanent d’une réelle volonté de l’exécutif de mettre de l’ordre dans un secteur donné et de le doter ainsi d’une réglementation salutaire. Néanmoins, les départements ministériels initiateurs des projets d’ordonnance et même les services de la présidence-lorsque de telles initiatives en émanent-ne sont pas infaillibles.

Les débats institués au sein de l’Assemblée et du Sénat sont justement conçus pour corriger le tir, amender, enrichir ou annuler des articles ou des paragraphes du texte proposé. Ce sont là les fondements même du travail législatif.

Pour les projets de loi qui ont bénéficié de débats en plénière ou lors des questions orales adressées au gouvernement, le cours de la discussion prend souvent un aspect politicien et électoraliste qui lui ôte tout intérêt pratique ou technique. On l’a vu à plusieurs occasions, ce genre de palabre se transforme en règlement de compte entre partis.

Dieu sait pourtant que le mandat actuel, qui prendra fin en mai 2012, est théoriquement riche en thèmes qui font l’actualité économique, sociale et politique du pays. Les projets de lois qui sont passés par l’Assemblée populaire nationale constituent les grandes lignes directrices pour les actions de développement de notre pays dans les prochaines années. À lui seul, le plan d’investissements publics 2010-2014 forme l’ossature économique et sociale appelée à prolonger celle des deux premiers plans quinquennaux mis en œuvre depuis 1999.

Il se trouve que ce plan, doté d’une enveloppe financière de 286 milliards de dollars, est passé comme une lettre à la poste, sans que les grandes leçons des deux premiers plans quinquennaux aient pu servir à quelque chose.

L’amendement de la loi sur le foncier agricole touchant les terres relevant du domaine privé de l’État- la jouissance avec un bail de 99 ans passe à une concession de 40 ans- est aussi une innovation de taille qui, d’une part, consacre le caractère public des terres domaniales et annule les privilèges des moudjahidin en matière d’attribution, et, d’autre part, soulève le courroux de certaines corporations d’agriculteurs.

Ces dernières jugent que la durée de 40 ans ne confère pas assez de stabilité et de confiance pour procéder à des investissements conséquents sur ces terres.

Déjà avec un bail de 99 ans, une certaine méfiance vis-à-vis de l’administration a éloigné les attributaires des terres des investissements pérennes (puits, forages, arboriculture, construction de hangars,…).

Il est bien regrettable qu’un dossier aussi déterminant pour l’économie nationale n’arrive pas imposer un débat sérieux au sein de l’instance législative.

Les mesures prises par le gouvernement en janvier dernier pour calmer le front social ont une échéance limitée, celle du 31 août 2011. Que deviendront les mesures de soutien des prix après cette date ?

Quel est le rôle de l’APN dans ce dossier explosif qui ne manquera de rebondir avec plus d’aplomb et moins de pitié dans quelques mois ?

Amar Naït Messaoud

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