Comment favoriser les conditions de stabilisations ?

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Le retour des populations déplacées au cours des années rouges du terrorisme a bien amorcé mouvement, même si les statistiques officielles sont trop parcimonieuses sur ce chapitre, comme elles l’ont été au cours du début de l’exode historique au milieu des années 1990

En tout cas, certaines enquêtes partielles menées sur le terrain par des bureaux d’études, et à partir aussi de simples observations, des centaines de ménages ont pu rejoindre leurs anciens régions d’habitation au cours de ces dernières années.

L’importance de ce mouvement est bien sûr étroitement liée aux nouvelles conditions d’habitat. Ce mouvement de retour dépend également des nouvelles conditions et des alternatives sociales qui sont offertes à ces populations. Même si, dans sa conception, le programme d’habitat rural n’est considéré que comme mesure d’accompagnement, confortant les projets locaux de développement générateurs d’emplois, il est néanmoins appréhendé par les ménages expatriés dans les villes comme une condition sine qua non pour un espoir de retour.

Et nous avons des exemples vivants dans certaines wilayas, à l’exemple de Bouira, où, contre toute attente, l’habitat rural a, à lui seul, attiré des dizaines de familles vers leurs communes d’origine. Une fois installés, les chefs de ménage tentent de décrocher des projets qui pourraient leur assurer un revenu minimal.

La politique du ministère de l’Agriculture au début des années 2 000 était d’assurer d’abord un emploi et un revenu pour le chef de famille, puis de l’aider à construire sa demeure avec un soutien de l’État qui était, initialement de 500 000 dinars, et qui est monté depuis deux ans à 700 000 dinars. Le mouvement de retour enclenché au cours des deux dernières années a été motivé en plus de l’intérêt que les pouvoirs publics ont accordé au développement des zones rurales, par d’autres facteurs tels que le retour de la sécurité dans la plupart des communes ayant subi l’exode et les pressions des conditions sociales devenues intolérables dans les villes où les familles ont élu domicile. Ce dernier est soit une masure en zinc dans un bidonville de banlieue, soit un appartement si chèrement loué que le chef de ménage a fini par ‘’lever les bras’’. Rétrospectivement, l’on se rend compte que les bouleversements qu’ont connus l’espace rural et le milieu urbain en Algérie au cours des vingt dernières années n’ont d’égal que l’extrême tension qui a caractérisé la situation sociale, politique et sécuritaire du pays pendant cette étape de la vie de la nation. Depuis l’indépendance du pays, aucun mouvement d’exode n’a pu égaler le déplacement des populations intervenu depuis le début des années 1990. Contrairement aux anciens mouvements où le chef de famille quitte le foyer rural à la recherche du travail dans la ville ou à sa périphérie, ce qui s’est produit au cours de la période noire est le départ massif de familles entières sans que le lien avec un improbable emploi soit réellement établi en ville. Dans la précipitation, des milliers de campagnards investiront les zones urbaines et loueront des appartements avec l’argent de bradage du cheptel. Les loyers montent en flèche profitant de l’état de détresse des familles. On exigeait aussi qu’une avance, généralement d’une année, soit payée au bailleur.

Une mobilité tourmentée

Sans espoir de décrocher un emploi décent, le chef de famille épuise son épargne au bout de quelques mois.

Les enfants, souvent déscolarisés, tombent dans le piège de la délinquance (drogue, banditisme,…) que tend imparablement le milieu urbain marginal.

A l’engrenage de la misère, des problèmes de santé et des ennuis avec le voisinage va se greffer la cessation des possibilités de location. À la fin des années 1990, des familles ont tenté le retour vers le village ou le hameau natal.

Mais, la tâche n’était pas de tout repos. Tout le paysage social, économique et même environnemental a changé dans le mauvais sens bien sûr. A la place de certaines écoles ou de certains centres de soins, les revenants ont découvert des guérites des gardes communaux.

Sur les versants des montagnes des Bibans, de l’Ouarsenis et dans d’autres lieux où la machine terroriste a accompli sa basse besogne, les anciens habitants qui ont tenté le retour à partir des villes où il s’était abrités temporairement ont été rapidement découragés par le nouvel environnement qui s’offrait à eux : routes abandonnées, pistes détériorées, maisons effondrées, dispensaires et écoles primaires fermées, réseau d’AEP disparu, poteaux électriques dégarnis de fils,…etc.

La demande en équipements sociaux (logements, écoles, salles de soins,…) explosera à la figure des gestionnaires des communes et des responsables politiques du pays. En outre, le déséquilibre de la répartition démographique caractérisant le territoire national- la zone côtière se trouve surchargée par rapport aux Hauts Plateaux et au sud du pays- ajouté à la consommation effrénée des terres agricoles pour les besoins du béton, font peser, à moyen terme, un lourd danger au cadre général de vie des Algériens et à l’environnement immédiat, déjà bien mis à mal par toutes sortes de pollutions et de ‘’rurbanisations’’.

L’abandon de l’espace rural pendant des décennies par les politiques publiques avait installé une forme de ‘’phobie’’ chez tous ceux qui ont goûté aux délices éphémères de la ville. L’on n’imagine le village natal qu’englué dans la gadoue, envahi par les moustiques et les mouches tournoyant sur la bouse de vache et dominé par le noir obscur dès la fin de la journée.

Une réalité vécue à l’échelle du monde a pourtant son pesant de réalité aussi en Algérie : une bourgade ou un hameau abandonnés par leur population ne peuvent pas être remplis spontanément par les gouvernants. La morale de l’histoire, comme le montrent des analyses et des études bien documentées, est qu’il faut d’abord réoccuper l’espace pour pouvoir attirer sur soi l’attention des pouvoirs publics.

Le développement local à la rescousse

C’est à la lumière de toutes ces données qu’il y a lieu d’analyser sans doute aujourd’hui la politique de l’État en direction de ces régions sinistrées et d’apprécier à leur juste valeur-malgré certaines limites de l’action- les efforts pour la revitalisation des espaces ruraux algériens. Le mot revitalisation prend ici tout sens étymologique sachant qu’il s’agit réellement de ‘’réinstaller la vie’’.

La chute aux enfers de cet espace rural et la misère qui a frappé ses habitants contraints de s’exiler par centaines de milliers vers les villes ont été a fait l’objet d’un examen approfondi par les experts lors d’une réunion walis-gouvernement en 2006. Un nouveau projet dénommé ‘’Plan de soutien au renouveau rural’’ (PSSR) y a été présenté par le ministre délégué au développement rural.

Depuis 2009, cet axe a évolué en programme de renouveau rural parallèlement au programme de renouveau agricole. Ses axes thématiques sont connus sous le nom de ‘’thèmes fédérateurs’’ et se répartissent en quatre grands groupes d’activités : amélioration des conditions de vie des ruraux (réhabilitation de villages et ksours), diversification des activités économiques en milieu rural (amélioration des revenus), protection et valorisation des ressources naturelles, protection et valorisation du patrimoine rural matériel et immatériel.

Des résultats sont déjà visibles dans plusieurs wilayas du pays où ces programmes ont été mis en œuvre. Habitat rural, désenclavement, construction des écoles, financement des métiers d’artisanat, renforcement du petit élevage, mobilisation des ressources en eau, renforcement des structures de santé…sont autant d’actions qui ont pu faire amorcer un mouvement de retour des populations vers les campagnes.

Le mouvement est, certes, à ses débuts, mais il augure d’une accélération du rythme dans les prochaines années au vu des nouvelles conditions de vie que les projets de développement comptent créer au niveaux des anciennes communes abandonnées par leurs populations

Amar Naït Messaoud

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