Lorsque je reçus d’elle, en novembre 2004, un livre qui retrace la mémoire de certains acteurs “atypiques” qui ont une relation avec l’Algérie it sous le titre “Elles et Eux et l’Algérie” (éditions Tirésias – 2004), je me sentais quelque part coupable de ne pas avoir connu plus tôt cette grande famille de poètes, conteurs et artistes que sont les Belhalfaoui. Sa sœur Zohra-Dahmani, qui servit d’intermédiaire, dégageait ce regard et cette sérénité propres à ceux dont la vie intérieure est riche. Riche d’idéal, de spiritualité et de fraternité.Installée en France, Aïcha participe à la rédaction du livre cité plus haut par une contribution intitulée : “Comme si de rien n’était”, un ensemble de souvenirs, de sensations et d’opinions sur sa famille, l’Algérie et la France.La présentation du père Belhalfaoui que nous fîmes dans la Dépêche de Kabylie” du 2 mai 2004 a réveillé chez le reste de la famille un espoir que tout n’est pas perdu dans ce pays. Cet homme de lettres versé dans l’anthropologie culturelle, le premier qui publia chez Maspero une anthologie de la poésie arabe populaire, a été trop longtemps ignoré dans son pays, y compris par les médias qui prétendent travailler pour la culture. A partir de cette petite “brèche” ouverte par notre journal dans l’ignoble mur du silence qui enserre nos hommes de culture, s’est développée une relation sympathique avec le “clan” Belhalfaoui qui nous fera découvrir, un peu plus tard, Hamou, poète et conteur, frère de Nina Hayat, qui vit actuellement en France.Nina Hayat fait donc partie d’une famille particulière, une famille oranaise versée très tôt dans la culture et la littérature et ouverte sur le monde et les valeurs universelles.Née le 12 juin 1949 à Oran, Nina Hayat s’est exilée en France après avoir perdu son mari dans un attentat. Elle exprime l’horreur qui a frappé l’Algérie dans des récits et chroniques empruntant au témoignage direct et à la chronique. Elle écrit la biographie de son père sous le titre “L’Indigène aux semelles de vent”, paru en 2001 aux éditions Tirésias. Son éditeur, Michel Reynaud dit d’elle : “Je suis très fier d’avoir fait découvrir au public français ses talents d’écrivaine. Tout chez elle est émotion et passion. Ni Algérienne ni Française (pour les uns), ni Française ni Algérienne (pour les autres), elle est l’Algérie en France et la France en Algérie. Elle nous permet de faire cette recherche, sinon cette quête pour ne pas tricher avec nos racines. Obligatoire lecture pour nous faire comprendre notre sensibilité à vif sur ce “phénomène Algérie”.L’auteur a eu à préfacer le recueil de poèmes de son frère Hamou Belhalfaoui “Soleil vertical”. Après avoir rappelé la jeunesse truculente de son frère au lendemain de l’indépendance, elle nous rappelle cette ambiance d’euphorie et de fête qui semblait éternelle ayant succédé au cessez-le-feu. Des poètes et intellectuels se réunissaient en clubs pour discuter et donner des récitals et conférences. Jean Sénac, Ahmed Azeggagh, Youcef Sebti, Rachid Boudjedra, Kateb Yacine, Mustapha Kateb, Hamou Belhalfaoui, et tant d’autres encore. Un optimisme presque niais, propre aux poètes et artistes, marquait l’atmosphère de convivialité de tout ce beau monde. “Un vent vivifiant souffle sur l’Algérie”. L’Algérie libre marche vers le progrès. Qui en doute ? Artistes et poètes de tout poil s’inscrivent dans cette marche, s’en proclament même l’avant-garde. Et la nomenklatura, imperceptiblement, pose ses jalons. Sans qu’on y prenne garde, une tornade glaciale balaie l’une après l’autre les énergies créatrices. La prise de parole n’est plus à l’ordre du jour, à moins qu’elle ne soit apologétique et que les artistes, les poètes, les écrivains, les journalistes ne se fassent cireurs de godasses. L’Union des écrivains Algériens (présidée par Mouloud Mammeri, ndlr) est dissoute. On en crée une plus officielle par le haut et pour le haut, plus conforme à la logique du moment. En sont proscrits les trublions et autres iconoclastes qui ont l’outrecuidance d’appeler un chat un chat et de s’exprimer dans cette langue merveilleuse que l’histoire leur imposa : la langue de Voltaire et d’Hugo.D’autres s’arabisent à tout va pour composer désormais les œuvres dans l’unique langue décrétée nationale”.Nina Hayat fait un retour sur le passé et exprime sa rage de voir la fine fleur de la culture algérienne réprimée, brimée, voire tuée. Outre les interdictions ayant touché beaucoup de livres écrits par des Algériens “impertinents”, elle remonte à l’assassinat de Jean Sénac en 1973 et à celui de Djaout, Youcef Sebti et tant d’autres écrivains ensevelis, des dizaines ont surgi de l’ombre où les apparatchiks auraient voulu les cantonner à tout jamais”, écrit-elle. Croyant fermement en l’Algérie de demain, Nina ajoute : “Viendra le jour où se diront les plus beaux poèmes dans une Algérie de lumière ! Sous le soleil vertical exactement, le tamazight, l’arabe, le français, oui, le français, se mêlent déjà dans les épousailles les plus fécondes pour faire un pied de nez à la bêtise humaine”.Malade et se sachant condamnée, Nina Hayat écrit “Comme si de rien n’était” (titre de la contribution par laquelle elle participe à l’ouvrage collectif “Elles et eux et l’Algérie”). “Pourtant, pas un jour sans que la mort ne vienne me hanter (…) Je ne veux pas mourir à l’hôpital… C’est à la maison, la main de mon compagnon dans la mienne, que je veux m’en aller, pas dans une chambre impersonnelle de l’institut Curie où d’autres cancéreux viendront s’éteindre après moi… Je supplie mes proches de ne pas m’imposer une si triste fin… “Un jour viendra, couleur d’orange” où les contes et les chants venus du fond des âges qu’a tenté de transmettre Mohamed Belhalfaoui seront lus et chantés dans les écoles d’Algérie. Ce jour-là, je serais loin, emportée par “une longue et cruelle maladie, mais je sais que ce jour viendra”.
Amar Naït Messaoud
