Le dernier album de Boudjemaâ Agraw, sorti en cette fin de juillet aux éditions Akbou Production a tout d’un chef-d’œuvre à la hauteur de son auteur et de son long parcours.
Boudjemaâ comme à son habitude prend toujours soin de mettre un grain de sel pour assurer une certaine originalité à chaque album prêt à la consommation, afin d’améliorer les goûts d’écoute, et pourquoi pas de promouvoir la chanson raffinée devenue de plus en plus rare. Pour cette fois, le chanteur du célèbre groupe Agraw a osé disons le, bourrer son dernier succès d’ingrédients soit dans le menu musical ou de celui des paroles, une manière de sortir de l’ordinaire et d’assurer une certaine créativité dans le chant kabyle.
«Je veux faire de cette dernière œuvre une pièce d’exception pour réhabiliter le chantier de nos pionniers et chantres de la musique et de la poésie kabyle», dira Boudjemaâ, rencontré à Djoua lors de la soirée de clôture de ce festival. Pour cela, Agraw a préféré se remettre à la rhétorique et le verbe fort, avec comme un extrait témoin une chanson intitulée Si Muh Umhand, un hommage au plus célèbre et plus ancien poète kabyle en reprenant comme paroles des morceaux lyriques de ce dernier. En consécration à l’éloquence une chanson intitulée tout simplement «Awal» ou le verbe par laquelle l’auteur a tranché définitivement à renverser la vapeur de tout ce qu’on dit ça et là que la chanson parolière a tiré sa révérence. Il y va donc à rappeler par des segments de morceaux des plus célèbres chanteurs kabyles, à savoir Slimane Azem, Aït Menguellet, Matoub et Idir, qui dira mieux ? Agraw ira encore loin en présentant à ses nombreux fans une chanson nommée «Amdyaz» ou le poète par laquelle l’auteur s’est livrée définitivement aux paroles raffinées et une manière aussi de booster les esprits stéréotypés et de véhiculer les pensées du monde.
Par delà Boudjemaâ part en bandoulière, plutôt en révolutionnaire, en usant de son arme redoutable, le verbe pour tirer à boulets rouges sur les obscurantistes en leur «dédiant» deux chansons intitulées «Vuccamar» ou le barbu puis «Akhinir» ou le confus. Dans cette dernière, il interrogera un personnage lambda nommé Ddakli du sort de deux familles en cohabitation «la famille du savoir qui avance et celle de l’ignorance contrainte à reculer». Par son arme de guerre, le verbe, Boudjemaâ engagé de part la chanson phare de cet album «Zenga Zenga», rendra un vibrant hommage au peuple libyen. Pour Agraw, Zenga zenga est une malédiction qui accélérera la chute des régimes tyranniques, sinon une bénédiction de Dieu par la victoire des peuples opprimés sur leurs bourreaux. Dans la dernière chanson de cet album «Usinegh ara» ou j’ignore, l’artiste chantera la modestie : même à l’âge de vieillesse, on ne connaît que si peu de choses de la vie. Le côté musical choisi se marie merveilleusement avec la thématique et les rythmes mélodieux qu’on trouve dans les 7 chansons de ce dernier album.
L’auteur a opté pour une sonorisation musicale adoucissante en supprimant le synthé et laissant dominer la percussion mélangée aux airs de la mandoline, jouée en double de cet instrument à cordes grattées.
Boudjemaâ n’a pas perdu la tête à faire sortir un album qui nous ramène directement aux années 80, puisque c’était la décennie d’or de plusieurs chanteurs kabyles, parmi eux Agraw qui vient de produire un album néanmoins original. A écouter.
Nadir Touati

