À propos de la conférence de Bandung

Partager

En ce quatrième anniversaire de la disparition d’Aït Ahmed, j’ai une pensée particulière de gratitude pour l’homme, sa vision, son intelligence politique et ses actions décisives et prémonitoires en faveur de l’indépendance de notre pays depuis la seconde moitié des années 1940, et pour sa démocratisation après son indépendance.

Par Tahar Khalfoune

Un événement particulier survenu en 1955 retient l’attention : la conférence de Bandung. Suite au démantèlement de l’organisation spéciale (l’OS) en mars 1950, Aït Ahmed, recherché par les autorités françaises en tant que chef de cette organisation paramilitaire, s’exila au Caire en mai 1952, après près de deux années passées dans la clandestinité. Une fois au Caire, il devint membre de la délégation extérieure du PPA-MTLD.

Il insista sur l’importance de l’action diplomatique, notamment en Asie pour donner une meilleure visibilité politique du mouvement de libération sur le plan international et susciter le soutien de la communauté internationale. Il pensait que le niveau des luttes nationales conditionne celui de la solidarité internationale et vice-versa. Ainsi, Aït Ahmed assista à la première conférence des partis socialistes asiatiques, réunis du 6 au 12 janvier 1953, à Rangoon, siège du premier gouvernement socialiste homogène d’Asie, en Birmanie. L’une des premières résolutions adoptée par cette instance est le soutien de la lutte de libération du Maghreb.

À l’issue de ses travaux, la conférence avait mis en place un bureau anticolonial chargé de suivre les luttes indépendantistes auprès de l’Organisation des Nations unies (ONU). C’est dans ce contexte qu’Aït Ahmed se rendit au Pakistan, en Inde, en Birmanie et en Indonésie pour mettre en place des comités de soutien à la cause nationale.

Cinq mois après le déclenchement de la guerre de la révolution…

En avril 1955, il dirigea la délégation algérienne à la conférence de Bandung dont les résolutions ont été un franc soutien au droit à l’autodétermination et à l’indépendance des peuples du Maghreb. À l’occasion d’un échange sur cette conférence, il a précisé, ce que j’ignorais jusqu’alors, qu’autant il n’avait rencontré quasiment pas de difficultés à convaincre le Premier ministre chinois Chou en Lai et le Président égyptien Nacer pour soutenir la lutte des Algériens pour leur indépendance, autant le Président Nehru était hésitant à cause des possessions (comptoirs) françaises en Inde, c’est-à-dire Pondichéry, Karikal, Yanaon, Chandernagor et Mahé conquises aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Notons que dès 1848, les habitants des comptoirs français en Inde sont déclarés citoyens français, à la faveur de la Révolution de 1848 et de l’abolition de l’esclavage. Au même moment, la constitution du 4 novembre 1848, instituant la deuxième République, disposait (art. 109) : «l’Algérie est un territoire français» et, de ce fait, elle est soumise entièrement à la souveraineté française. Mais les Indigènes musulmans étaient exclus de la citoyenneté française.

Et c’est assez curieux, pour dire le moins, de constater cette politique de deux poids et deux mesures vis-à-vis des possessions françaises, et de vouloir assimiler la terre, même si la logique de spoliation a largement pris le pas sur celle de l’assimilation, et non les habitants de cette terre : les Indigènes algériens ! La décolonisation fut une question sensible dans le contexte des années 1950 où le processus de décolonisation était bien enclenché depuis que l’Empire britannique avait perdu son joyau : l’Inde. Nehru n’avait pas souhaité rentrer en conflit avec la France en raison de ces établissements français en Inde ; d’où sa réserve.

L’exception Nehru et Sir John Ketchwala

D’ailleurs, quand Aït Ahmed et Mohamed Yazid étaient arrivés à Bogor, ils étaient reçus par tous les chefs de délégation, à l’exception de Nehru et de Sir John Ketchwala, Premier ministre de Ceylan, l’actuel Sri Lanka, mais ils avaient remis à leurs équipes et à la presse des deux pays ainsi qu’à toutes les délégations le mémoire qu’ils avaient préparé sur l’Algérie. Tandis que les différents gouvernements de l’Inde tentaient de négocier avec la France pour récupérer ces territoires depuis la fin des années 1940, ce qu’ils ont obtenu à propos de Chandernagor, mais il a fallu attendre le gouvernement du général de Gaulle, à la fin de la guerre d’Algérie, pour que le transfert de souveraineté sur ces possessions soit enfin ratifié par le Parlement français en août 1962.

Aussi, Aït Ahmed et ses compagnons ont remarquablement réussi à inscrire la question algérienne à la 10e session de l’Assemblée générale de l’ONU en 1955 par 28 voix contre 27 et 5 abstentions. La France avait tenté en vain de s’y opposer en s’appuyant sur l’article 2, paragraphe 7 de la Charte des Nations unies en invoquant l’incompétence des Nations unies à statuer sur un problème relevant de la compétence exclusive de L’État français. Finalement, la question algérienne fut inscrite après un long débat. La délégation française, derrière le ministre des Affaires étrangères Antoine Pinay, quitta la séance.

En avril 1956, Aït Ahmed ouvre et dirige le bureau de la délégation du FLN à New York avec M’hamed Yazid et Abdelkader Chanderli, et où il a entrepris un travail de sensibilisation auprès des certaines personnalités politiques et syndicales américaines. Pour rendre hommage à l’action d’Aït Ahmed lors de la conférence historique de Bandung, Ferhat Abbas, premier président du GPRA, relevait, dans son ouvrage «Autopsie d’une guerre», l’aurore,Paris, Garnier, 1980, (p. 177) que l’impact international de la guerre d’indépendance s’était produit pour la première fois lors de cette conférence «où nous avons vu Aït Ahmed faire preuve de ténacité et d’habileté.

Durant des mois, il alla prêcher en Asie et il parvint ainsi à vaincre les hésitations du président Nehru, du Premier ministre Chou En-lai, et du président Nasser. Avec l’appui de ces trois hommes d’État, la partie était assurée d’être gagnée». L’historien Matthew Connelly parle à ce propos de véritable «révolution diplomatique». Aït Ahmed est, pourrait-on dire, le père fondateur de la diplomate algérienne.

Malgré son engagement précoce, son précieux apport à la révolution algérienne et son expérience diplomatique, il a été très tôt marginalisé, combattu et a souvent subi les feux nourris de l’anathème et de l’insulte, mais les Algériens lui ont rendu hier un vibrant hommage à l’occasion de la marche hebdomadaire des étudiants.

Tahar K., universitaire (Lyon)

Partager