De la rencontre de Chikh Mohand Oulhoucine avec Ssi Mouhand Oumhand (4)

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Par Abdennour Abdesselam:

Lorsque Ssi Mouhand se sent inspiré il va s’asseoir près du Chikh et lui annonce alors les raisons de sa visite inattendue : « A Ccikh Muhend welhusin ; Nusa-d a k-nissin ; Nedhmaâ di ldjiha-k cwit ; A lbaz izedghen lehsin; Ihubb-ik wehnin; Daradja-k hed ur tt-ibbwidh; Ar ssfer heggit aâwin ; Ul-iw d amudhin ; Tamurt a tbeddel wiyidh» (ô Chikh Mohand Oulhoucine; je viens à te connaître ; espérant m’abreuver à ton savoir ; ô! Aigle habitant les hauteurs ; tu es le plus près de Dieu ; tu n’as point d’égal ; dussions-nous profiter de ta sagesse ; mes forces m’abandonnent ; mais de nouvelles générations prendront alors le relais). C’est par ce poème que Ssi Mouhand aborde le Chikh. La réplique appelle à des remarques particulièrement pertinentes. La formule «nusa-d a k-nisin » consacre l’introduction. Il confirme par lui-même que c’était leur première rencontre. Elle sera aussi la dernière. Par «nedhmaâ si ldjiha-k cwit» le poète avoue que son œuvre, à lui, n’était pas totalement achevée et qu’il cherchait à l’accomplir plus auprès du Chikh. D’autre part, l’un et l’autre utilisent le mot «lbaz», mais pour des destinations différentes. Chikh Mohand l’utilise pour désigner Dieu habitant les cieux «a lbaz izedghen tignaw», alors que Ssi Mouhand l’utilise pour désigner le Chikh lui-même en son lieu fécond d’idées en lui disant «a lbaz izedghen lehsin». Pour Dieu, Ssi Mohand réserve le terme «ahnin» (le bon Dieu). Dans la culture kabyle, «lbaz» (l’aigle royal) habite les hauteurs et est aussi le plus majestueux des oiseaux. Mais c’est plutôt l’image symbolique des hauteurs qui prime chez le poète pour l’adresser à celui qu’il considère comme étant le plus grand des «imussnawen» de son temps et non encore égalé «daradja-k hedd wer tt-yebbwidh». Dans «ar sfar heggit aâwin», si le mot «sfer» désigne souvent une fin de vie, en revanche le mot «aâwin» ne semble pas se rapporter au viatique. Peu s’en faut pour Ssi Mouhend pour s’en inquiéter. Ici, «aâwin» suggère plutôt les provisions de savoir à l’accomplissement ultime recherché par le poète auprès du maître du verbe kabyle. Ssi Mouhend se savait très malade lui aussi, mais il n’hypothèque pas l’avenir de la société kabyle même sans lui et sans Chikh Mohand. Ainsi par «tamurt a tbeddel wiyidh», le poète fait dans l’optimisme. Il ne dit pas qu’après eux (lui et le Chikh), les valeurs de la Kabylie s’effondreront. Il évoque plutôt le principe de l’alternance et de la continuité dans la maîtrise du verbe. La pensée kabyle n’allait pas s’arrêter après eux. L’espoir d’une relève certaine reste alors vivace chez le poète. (à suivre).

A. A. ([email protected])

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