Un recueil de vers chargés de symboles

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Qu’est-ce qui est donc immuable, et qu’est-ce qui est donc éphémère ? A cette question qui renvoie au titre du recueil de poésie publié en 2014 par la maison d’édition ‘’La Pensée’’, Ali Kharroubi répond en deux mots : son attachement aux valeurs et son amour de la patrie. Ne demandons pas aux poètes de nous expliquer ce qu’ils ont produit un jour sous le coup d’une forte émotion. Ils sont comme nous : ils en sont simplement incapables. Jaques Maritain, dans son livre L’intuition poétique, décrit très bien la façon dont s’articule le langage poétique : il ne passe pas dans sa phase d’élaboration par la raison. Il court-circuite la raison et arrive directement dans l’imagination. Il résulte intuitivement un langage où la logique n’est pas respectée, mais quelle force et quelle harmonie dans le vers! C’est les fameux vers de Paul Eluard : La Terre est bleue comme une orange/ Les mots ne mentent pas. Que nous livre ce petit ouvrage ? Un moment de joie, une émotion vive vécue par le poète dans les champs, au bord de la route, d’une rivière, à un moment du jour ou de la nuit… Les mots, par une étrange alchimie, se matérialisent et tournent dans l’air tel un essaim d’abeilles, et cet essaim, en tournant,  reproduit des images, des arabesques fantastiques. Et le poète, qui est le témoin de cette étrange manifestation, de ce phénomène langagier où les mots prennent corps et s’animent sous le souffle puissant, non de la narration (il n’y a pas de récit), mais du chant, devient inspiré et chante à son tour, et nous rend nous-mêmes témoins de son aventure. D’autres fois, le chant prend une forme épique. Ce sont des ombres fantastiques qui hantent  le ciel et courent dans toutes les directions. De leur entrechoquements violents, tels des nuages noirs, naissent des éclairs et le tonnerre. Et c’est de la contemplation fugitive de cet univers dantesque que naît le chant. Raconte-t-on l’orage ? Raconte-t-on le tonnerre et les éclairs ? Non, on chante pendant l’orage. Le chant cesse quand le tonnerre ne gronde plus, quand l’éclair ne déchire plus le ciel. Ami Ali chante l’espace d’un poème, puis se tait. Mais comme, c’est un poète fécond, il chante souvent. Il chante à la manière tendre et puissante de Rabah Djalti, de Ghania Sid Athmane, de Moufdi Zakaria qu’il admire. Ce natif de Ahl Ksar, chante la vigne en pleurs, les champs dévastés, les jours sombres, en d’autres termes, la misère, la solitude, la souffrance humaine sous toutes ses formes… Il pleure lui-même, mais ses pleurs se confondent avec le chant et deviennent à leur tour un chant, un chant qu’on aime entendre, car, il évoque notre propre souffrance. Ainsi venu du dehors, le chant du poète, qui a la capacité de chanter en plein orage, alors que nous nous taisons, terrifiés, dépassés par l’ampleur prodigieuse du phénomène naturel, le chant du poète, disons-nous, nous enveloppe et nous fait à notre tour chanter, mais ce chant reste en nous, car nous sommes incapables de l’extérioriser. La jouissance n’en est pas moins réelle et forte. Plusieurs recueils ont déjà vu le jour depuis que notre poète compose, à partir des années 70,  des vers rimés ou libres, en français (deux déjà), en Tamazight ou en arabe. Il n’aime pas la traduction. Il croit que l’essentiel du poème s’y perd. On traduit un récit, on ne traduit pas un chant. Le poète qui admire parmi les poètes français Rimbaud, le génial inventeur de la couleur des voyelles (Un jour, je dirai vos naissances latentes), a effectué une tournée qui l’a porté dans plusieurs wilayas, dont Alger, où il a été honoré dans des festivals. S’inscrivant dans une tradition plus symboliste, comme Rimbaud qu’il admire, que vraiment surréaliste, ce chantre de la misère ne sépare pas d’une ligne nette les deux univers qui incarnent à ses yeux les choses immuables et les choses éphémères. Ils préfèrent nous laisser la découvrir par nous-mêmes.

Aziz B.

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