Verbicide

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Ce livre traite du 11 septembre, du triomphe de la téléréalité, des formes nouvelles de domination symbolique, du capitalisme culturel, mais il gravite autour d’un seul et même foyer : La destruction du récit. Il s’agit des minutes d’un procés ouvert depuis le 11 septembre 2001, que l’auteur qualifie de crise mondiale de narration, et dont le symptôme le plus visible serait une inflation narrative, la substitution de l’anecdote au récit. Quand il emprunte la forme de l’essai ou du récit, ce livre décrit la situation d’un homme sans recours narratif face à l’expérience. Un homme pour qui la distinction entre fait et fiction, (c’est à dire la réalité de l’expérience), et entre vrai et faux (les normes de la pensée), n’existe plus. Un homme qui caractérisait, pour Hannah Arendt, le sujet idéal du règne totalitaire. Un homme en somme sans récit.Aux pieds des tours en ruines, c’est le récit américain qui gît en pièces. C’est face à l’empire, le manque et l’impossibilité d’une contre narration, que Christian Salmon explore et déplore ici.Ce livre rassemble des textes écrits depuis le 11 septembre macabre. Ils traitent de sujets aussi différents que le terrorisme, les formes nouvelles de censure, l’engagement, la guerre en Irak la téléréalité, l’engagement des intellectuels, le conflit du proche Orient.Tous ces évènements internationaux, géopolitiques ou culturels, appartiennent à ce que l’on appelle l’actualité. Les évènements ont cessé de faire grève, a dit Jean Baudrillard, mais ils n’ont pas cessé toute résistance. Ils sont sortis de leurs réserve, mais leur signification est plus que jamais réservée.Selon l’auteur, le 11 septembre 2001, une nouvelle vie verbale a commencé. Le langage s’est démenti. Il a cessé d’avoir une valeur stable et reconnue et n’offre plus d’équivalent à l’expérience commun. Il n’a plus cours qu’au marché noir des médias, on abonde la fausse monnaie des rumeurs et des anecdotes. Ce qui arrive se passe ailleurs, à l’extérieur du langage, dans une réalité incognito, qui n’a pas encore forgé son vocabulaire, ni sa syntaxe. Littérature non verbale. La vie a perdu son caractère narratif. Comme la peinture avait cessé un jour d’être figurative.Le livre est très dense et riche en expérience personnelle, de beaucoup de personnalités qui ont marqué le monde d’hier et d’aujourd’hui, philosophes, hommes politiques, écrivains et autres. En effet, l’intertextualité constitue un pan non négligeable dans cet ouvrage de référence, où l’auteur n’a pas le temps de s’ennuyer. Il goûte à tous les goûts et tous les styles. Des points de vue s’affrontent et se frottent, on y trouve Kafka qui côtoie George Bush fils, et André Breton en coude à coude avec Walter Benjamin. Christian Salmon survole les temps et les lieux, pour voir le début du 20e siècle et le 21e siècle nez à nez, pour témoigner d’un sujet commun : le langage dans l’actualité, l’Asie perd la boussole et se retrouve tête à tête avec l’Amérique. L’Atlantique n’est là que pour leur ouvrir le chemin, pour narrer leurs préoccupations.Même au moment de guerre, le soldat n’est pas le seul maître du moment, pouvons-nous comprendre en lisant entre les lignes. L’écrivain se mêle et agite sa plume. Pour ce faire, l’auteur cité entre autres, André Breton, ce père du surréalisme : «ce qui me paraît avant tout justifier l’intervention de l’écrivain, c’est qu’il assume une charge dont il ne peut se démettre sans disqualification totale, celle du gardien du vocabulaire, c’est à lui de veiller à ce que le sens des mots ne se corrompe pas, de dénoncer impitoyablement ceux qui de nos jours font profession de la fausser, de s’élever avec force contre le monstrueux abus de confiance que constitue la propagande d’une certaine presse. Qui ne voit plus clairement aujourd’hui que jamais, que c’est de cette altération profonde que nous nous laissons doucement poster à la guerre d’extermination qu’on nous prépare ?».Salmon cite également Kafka. L’auteur de «métamorphose» écrivait «l’humanité le sent et lutte contre le péril ; elle a cherché à éliminer le plus qu’elle le pouvait le fantomatique entre les hommes, a obtenir entre eux les relations naturelles, à restaurer les paix des âmes en inventant le chemin de fer, l’avion, l’automobile, mais cela ne sert à rien (ces inventions ont été faites une fois la chute déclenchée ; là, l’adversaire est tellement plus fort, après la poste, il a inventé le téléphone, le télégraphe et autres».Dans l’avant-propos, l’auteur met en exergue une citation de Hermann Broc : «un monde qui se fait sauter lui-même, ne permet plus qu’on en fasse le portrait.A partir de cette citation, l’auteur va vendre la mèche et planter des jalons pour une écriture avec scrupule, et sans fioritures.Christian Salmon est notamment l’auteur de -Tombeau de la fiction (éditions Denoël, 1999)-Censure !, censure (éd. Stock, 2000)-Devenir minoritaire (ed. Denoël, 2003)Il fonda en 1994, avec l’appui de plus de trois cents intellectuels des cinq continents : Le Parlement international des écrivains et le Réseau des villes refuges.Il est également le directeur de la revue Autodafé.

Salem Amrane

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