Daniel Kupferstein au village de Bacha Abdellah

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L’auteur du livre et film documentaire Les balles du 4 juillet 1953, Daniel Kupferstein, était avant-hier à Ivehlal (Aghbalou) pour visiter le village de l’une des six victimes de la manifestation qui a eu lieu à Paris, un certain 14 juillet 1953. C’est au niveau de la médiathèque que l’hôte du village a été convié pour tenir une rencontre avec des villageois, en présence de l’un des gendres du défunt Bacha Abdellah. L’écrivain et documentariste expliquera les raisons qui l’ont motivées pour entreprendre son projet : «C’est pour dénoncer l’injustice et l’oubli par rapport à un événement peu connu ou quasiment méconnu en France et en Algérie.» D’ailleurs, il qualifiera ce qui s’est passé à Paris, le 14 juillet 1953, à la place de la Nation, où sept morts et une cinquantaine de blessés par balles ont été enregistrés, de crime raciste. Et de poursuivre avec son franc-parler : «C’est le carré où se trouvaient les Algériens qui a été la cible de tirs dans le tas.»

Daniel Kupferstein ajoutera : «Je suis revenu pour refaire le même parcours que j’avais fait lors du tournage de mon film documentaire en 2012, soit sept ans après, pour revoir les différentes familles des victimes dans les quatre lieux situés en Kabylie (Illoul Mouhoub d’Amizour, Tadjadit Amar de Tigzirt, Daoui Larbi de Guenzet et Bacha Abdellah ici à Ivehlal).» Kupferstein affirme avoir été souvent interrogé sur les raisons qui l’ont motivé pour la réalisation de ce film. Il dira dans ce sens : «C’est une répression contre les nationalistes algériens. C’est une histoire qui ne concerne pas uniquement les Algériens mais aussi les Français. Ce jour-là, il y avait sept morts tués par balles. Les assassins étaient des policiers parisiens.

C’est une histoire qui concerne les deux pays.» Il reviendra en filigrane sur son travail et enquête qui lui ont pris quatre années de recherches pour récolter l’essentiel des informations. Ce n’était pas facile au début, expliquera-t-il, «j’ai demandé de consulter les archives entre 1945 et 1954, concernant l’immigration et le problème d’intégration, ce qui a dû rassurer quelque part les autorités françaises. Ce fut difficile de rassembler les faits, avec les archives de la police et l’enquête administrative. Au fil de mes recherches, j’ai trouvé des noms et adresses de gens blessés ce jour-là et évacuées vers les hôpitaux, y compris des policiers.

Il a fallu une recherche de longue haleine pour découvrir certains faits et détails. J’ai même passé des annonces par le biais de la presse y compris la presse algérienne.» Daniel Kupferstein estime par ailleurs : «Il n’y avait réellement aucune justification de la police pour tirer dans le tas. Il n’y avait pas de guerre. En plus, c’était le 14 juillet, la Fête nationale. C’est d’ailleurs l’un des points qui m’ont motivé à chercher plus, une page d’histoire, d’injustice.

Certains témoignages de la police disaient avoir riposté à l’agression émanant des manifestants algériens. En tout cas, une chose est sûre, ce sont les Algériens qui ont été ciblés. La victime de nationalité française, Maurice Lérot, un syndicaliste de la CGT, avait reçu une balle en plein poitrine, alors qu’il criait à la police d’arrêter de tirer.» A noter que depuis 1950, les nationalistes algériens du PPA/ MTLD de Messali L’Hadj prenaient part aux manifestations cortèges.

Le 14 juillet 1953, sur les 20 000 manifestants, 6 000 à 8000 étaient des Algériens qui se sont mêlés aux manifestant français, lesquels répondaient à l’appel du PCF du CGT, parti communiste et syndicalistes français. Les Algériens, dont plusieurs des nationalistes du PPA/MTLD brandissaient la photo de Messali L’ Hadj, demandant sa libération, ainsi que l’arrêt de la colonisation de l’Algérie.

«Un crime raciste»

Les manifestants qui ont déferlé de la Bastille à la place de la Nation ont été reçus par des coups de feu tirés par la police sans sommation et dans le tas, ciblant le carré où se trouvaient les Algériens. Et Daniel Kupferstein de continuer : «Selon les différents témoignages, c’est l’apparition de l’emblème algérien, qui a été brandi par des manifestants, qui a irrité la police. Me concernant, c’est un crime raciste. Mon travail vise à faire plus de lumière sur un événement tragique occulté de part et d’autre.

En plus du livre, j’ai réalisé un film documentaire de 85 minutes intitulé «Les balles du 14 Juillet 1953». Un jeu de mots, car le 14 juillet, on organise des bals dansants. Mais ce jour-là, il y avait des balles assassines qui ont tué sept personnes.» A noter que le film a été projeté près de 70 fois en France mais aussi en Algérie, notamment à la Cinémathèque d’Alger, la semaine dernière. «Certaines personnes ont retrouvé la mémoire grâce à ce film, mais cela n’a pas fait plaisir à tout le monde», dira son réalisateur.

Depuis le mois de juillet 2017, les victimes ont leur plaque commémorative au niveau de la place de la Nation à Paris. Désormais, ce sont les familles des victimes qui s’interrogent sur le statut de victime des leurs tués par les balles de la police française. Il faut dire que le 1er Novembre 1954 a fait oublier tous les événements d’avant. Pourtant, l’Algérie a connu plusieurs événements tragiques avant le déclenchement de la Révolution. D’ailleurs, celui du 14 juillet 1953 était l’un des propulseurs de la Révolution déclenchée une année après. Bacha Moussa, gendre du défunt Abdellah, l’une des victimes de la manifestation du 14 juillet, a tenu à remercier Daniel Kupferstein pour son travail de mémoire contre l’oubli.

«Je ne comprends pas comment on occulte toute une page de l’histoire écrite par des Algériens pour l’indépendance de l’Algérie. On disait que mon oncle ne fait pas partie des martyrs de la Révolution. Je trouve cela aberrant. Pourtant, la Révolution pour l’indépendance du pays a commencé bien avant. Il ne faut pas oublier les massacres de Sétif, Guelma, Kherrata, les épopées de Fadhma N’ Soumer, de l’Emir Abdelkader, etc.

Ce sont tous des Algériens qui ont écrit la page de l’Algérie libre et indépendante.» Notre interlocuteur affirme qu’une rue au chef-lieu de Bouira portait le nom de son oncle dans les années 1980, juste derrière l’ancien siège de la commune et le cinéma Errich. «Mais depuis l’arabisation des panneaux et autres enseignes, au lieu de réécrire le même nom et prénom de mon oncle, le nom de Bacha Abdellah a été remplacé par Bacha Abdelkader. Malgré les multiples requêtes introduites auprès de l’ONM de Bouira, on n’a rien voulu comprendre. Ce qu’on veut, c’est juste la réhabilitation du nom de mon oncle correctement. Sinon, qu’on me dise qui est ce Bacha Abdellah», a conclu Bacha Moussa.

M’hena A.

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